La citadelle et la place de Saint-Jean-Pied-de-Port de la Renaissance à l'époque contemporaine



Ce cahier n° 25 du Centre d’Etudes d’Histoire de la Défense, consacré à l’histoire de la fortification, présente les résultats d’une recherche appliquée consacrée à la citadelle et à la place de Saint-Jean-Pied-de-Port. Cette étude particulière s’appuie sur les travaux conduits au sein de l’une des commissions spécialisées du Centre, la commission « Histoire de la fortification », ou « séminaire Bastion », fruits d’une démarche approfondie et d’une concertation pluridisciplinaire, incluant réflexions théoriques et approches pragmatiques.
Cette recherche, fondée sur l’exploitation de sources archivistiques en majorité inédites, permet d’approcher une connaissance rénovée et enrichie de l’histoire de la citadelle et de la place, mais aussi de la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port. Sa position géographique lui confère une importance stratégique qui explique son destin militaire. Au Moyen-Âge, les rois de Navarre y érigèrent un château fort, gardien du col de Roncevaux, historique et légendaire voie de franchissement des Pyrénées, dont la citadelle est l’héritière. La recherche établit que cette citadelle, symbolisant le retour à la paix religieuse et l’union des royaumes de France et de Navarre, fut construite par l’ingénieur préféré de Louis XIII. Parvenue quasi intacte jusqu’à nous, elle constitue un exemple rare, sans doute unique car authentique, de l’essor de l’école française de la fortification bastionnée au début du XVIIe siècle, sous l’impulsion d’ingénieurs du Roy, remarquables précurseurs de Vauban dont ils préparent la voie et annoncent les chefs-d’œuvre. La riche documentation fournie par les fonds d’archives du Génie permet de restituer la vie d’une citadelle à l’époque des Temps Modernes et de connaître les projets, restés sans suite, d’aménagement d’une véritable place forte. Quant à la cité avec ses deux enceintes, elle complète l’illustration de l’histoire de la fortification du Moyen-Âge à l’Epoque Contemporaine.
Assurant la liaison avec la problématique développée par une autre commission du Centre, la commission « Nouvelle histoire bataille », cette recherche permet de rappeler le rôle de la citadelle dans les relations de conflit quasi permanent prévalant jusqu’au XIXe siècle entre la France et l’Espagne. Elle permet de redécouvrir son implication en première ligne dans les combats défensifs, puis offensifs et à nouveau défensifs, qui se déroulèrent sur le théâtre d’opération ouvert sur leur frontière des Pyrénées au cours des guerres de la Révolution, puis de l’Empire.
Le travail de recherche présenté par le présent cahier confirme l’originalité architecturale et l’intérêt historique de la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port. Il établit les conditions de mise en valeur du patrimoine fortifié, historique et géographique ainsi révélé, dont il met en lumière la richesse souvent encore insoupçonnée, ou méconnue.


TABLE DES MATIERES

Tome 1

INTRODUCTION 1
I- CADRES GEOGRAPHIQUE et HISTORIQUE 6
11- SITUATION GEOGRAPHIQUE GENERALE 7
12- Les CHEMINS TRAVERSANT SAINT-JEAN-PIED-de-PORT 13
13- La PLACE de SAINT-JEAN-PIED-de-PORT et l’HISTOIRE de NAVARRE 18
14- La PLACE de SAINT-JEAN-PIED-de-PORT et la PARTITION de la NAVARRE 24
15- La PLACE de SAINT-JEAN-PIED-de-PORT et l’HISTOIRE de FRANCE 32
II- L’ECOLE FRANCAISE de FORTIFICATION au XVIIe siècle 45
21- Les PROGRES de l’ARTILLERIE à l’aube de la RENAISSANCE 45
22- L’ADAPTATION de la FORTIFICATION MEDIEVALE à l’ARTILLERIE 49
23- La FORTIFICATION BASTIONNEE : ORIGINES et DEFINITIONS 50
24- L’ESSOR de la FORTIFICATION BASTIONNEE au XVIe siècle 52
25- La NAISSANCE de l’ECOLE FRANCAISE sous HENRI IV 55
26- Les INGENIEURS du ROY sous LOUIS XIII 57
27-L’ORGANISATION des FORTIFICATIONS sous LOUIS XIV 63
III- CITE et CHATEAU FORT de SAINT-JEAN-PIED-de-PORT au MOYEN-AGE 72
31- Le CHATEAU FORT MEDIEVAL ORIGINEL 72
32- Le BOURG CASTRAL MEDIEVAL 74
33- La CITE MEDIEVALE PRIMITIVE 77
IV- HISTOIRE de la CONSTRUCTION de la CITADELLE de SAINT-JEAN-PIED-de-PORT 82
41- La CITADELLE BASTIONNEE en 1685 84
42- CRITIQUE de l’HYPOTHESE ‘Antoine de VILLE’ 87
43- Les TRAVAUX de RENOVATION des années 1643 à 1648 89
44- L’EDIFICATION de la CITADELLE BASTIONNEE PRIMITIVE 93
45- La CASEMATE d’ARTILLERIE du XVIe siècle 96
46- Les TRAVAUX PROVOQUES par l’INSPECTION de VAUBAN 98
47- Les TRAVAUX REALISES au XVIIIe siècle 103
48- Les AMENAGEMENTS du XIXe siècle 108
V- DESCRIPTION, VIE et FONCTIONNEMENT de la CITADELLE de SAINT-JEAN-PIED-de-PORT au XVIIIe siècle 111
51- Les FORTIFICATIONS et les CAPACITES DEFENSIVES de la CITADELLE 111
52- Les CASERNEMENTS de la CITADELLE 116
53- Les SOUTERRAINS de la CITADELLE 121
54- L’ARMEMENT de la CITADELLE 123
55- Les CAPACITES LOGISTIQUES de la CITADELLE 125
56- Les CAPACITES LOGISTIQUES de la CITE 127
57- Les QUALITES et DEFAUTS de la CITADELLE 128
VI- Le CAMP RETRANCHE de SAINT-JEAN-PIED-de-PORT sous la REVOLUTION et l’EMPIRE 131
61- Le PROJET de PLACE FORTE de 1773 131
62- La CAMPAGNE de 1793-1795 dans les PYRENEES 132
63- Le CAMP RETRANCHE de 1793 139
64- La GUERRE d’ESPAGNE (1807-1813) 141
65- La RETRAITE de VITORIA (1813) 144
66- La CONTRE-OFFENSIVE de SOULT (1813) 147
67- L’OFFENSIVE de WELLINGTON (1813-1814) 150
68- Le CAMP RETRANCHE de 1813 153
VII- La PLACE de SAINT-JEAN-PIED-de-PORT aux XVIIIe et XIXe siècles 157
71- La CITE à l’aube du XVIIIe siècle 157
72- Les PROJETS du XVIIIe siècle 162
73- La CITE à la veille de la REVOLUTION FRANCAISE 165
74- Les PROJETS du XIXe siècle 167
75- La CITE et la PLACE jusqu’à la fin du XIXe siècle 169
CONCLUSION 174

Tome 2




INTRODUCTION


Construite au pied du col de Roncevaux, voie traditionnelle de franchissement des Pyrénées depuis la plus haute antiquité, la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port est dominée par une citadelle datant des débuts des temps modernes1. Elle se compose d’une ville haute enserrée par une muraille d’origine médiévale sur la rive droite de la Nive et, sur la rive opposée, d’une ville basse entourée d’un simple mur d’enceinte à meurtrières de facture plus récente.
Cet ensemble architectural a, au cours du XXe siècle, fait l’objet de plusieurs monographies et publications2 essentiellement fondées sur l’exploitation des archives municipales, ou départementales, et de documents personnels. Or, le Service Historique de l’Armée de Terre (SHAT)3 implanté à Paris, au château de Vincennes, possède un important fonds d’archives4 tant manuscrites que cartographiques ou bibliographiques concernant Saint-Jean-Pied-de-Port. Ce fonds est utilement complété par des livres anciens, gravures, cartes et autres documents d’époque, conservés par la Bibliothèque Nationale de France (BNF)5, tant sur ses sites de Richelieu et de Tolbiac, que sur celui de l’Arsenal qui détient les archives de l’ancien Collège de Navarre. La cartothèque de l’Institut Géographique National (IGN) 6, implantée à Saint-Mandé près de Paris, possède également un fonds cartographique ancien d’un grand intérêt. Seules certaines de ces sources semblent avoir été consultées lors des recherches antérieures, mais sans avoir été réellement étudiées en tant que corpus cohérent. Elles restent donc, dans leur grande majorité, inédites. Il importe aujourd’hui d’en entreprendre une exploitation systématique afin de parfaire notre connaissance de la place de Saint-Jean-Pied-de-Port et de préciser l’histoire de la construction de sa citadelle.
Le fonds des archives du Génie, conservé au SHAT se compose de deux ensembles. Le premier comprend des mémoires, atlas, cartes et plans7 établis pour le Roy par les ingénieurs militaires envoyés par lui en inspection au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Il inclue, notamment, le mémoire rédigé en décembre 1685 par Vauban, Commissaire Général des Fortifications, et la réponse que lui adressa en janvier 1686 Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, secrétaire d’Etat à la Marine, le fils du grand Colbert pour lui transmettre les décisions de Louis XIV. Il contient aussi des plans de 1683, 1689, 1700, 1715 et 1738, dont ceux établis par les ingénieurs géographes Claude Masse et François Beauvilliers, le mémoire sur la citadelle rédigé par M. de Salmon en 1718, le rapport de 1770 et le projet de 1773. Le second ensemble comprend les rapports et projets, avec les plans légendés joints en appui8, adressés à la fin du XVIIIe siècle et durant le XIXe siècle, sous le timbre de la direction du génie de Bayonne, au Comité des Fortifications du Ministère de la Guerre. Le carton contenant les plus anciens de ces documents (1685-1791) a malheureusement été détruit dans un incendie survenu au début du XXe siècle, au Dépôt des Fortifications où ils étaient conservés avant le regroupement des archives militaires au château de Vincennes en 1948. Seul subsiste l’inventaire de ce carton ; ainsi, nous savons qu’ont disparu des documents importants qui précisaient le détail des travaux réalisés depuis l’inspection de Vauban jusqu’à 1791. Cependant des copies de plusieurs de ces documents nous sont parvenues, car le SHAT possède la bibliothèque personnelle9 léguée au Dépôt des Fortifications par le colonel Bérard, qui servit à Bayonne de 1783 à 1802, notamment comme directeur des fortifications à partir de 1792. Les ouvrages in quarto la constituant, qui s’intitulent Mémoires militaires – Cabinet du colonel Bérard, contiennent les copies manuscrites des principaux mémoires écrits à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècles par les ingénieurs militaires sur les citadelles et forteresses des Pyrénées occidentales. Les huit cartons subsistant incluent le mémoire de 1793, celui du 18 septembre 1826, le plan de Saint-Jean-Pied-de-Port de 1831, le rapport très complet établi en 1834 ainsi que divers plans postérieurs de 1860, 1866 et 1870.
Quant aux documents concernant Saint-Jean-Pied-de-Port conservés par la Bibliothèque Nationale de France (BNF)10, ils comprennent un croquis perspectif réalisé en 1614 par le voyageur hollandais Joachim De Wiert, les mémoires sur la citadelle rédigés en 1753 par les ingénieurs Canut et Touros, et surtout deux cartes non datées, mais dont l’étude comparative avec les autres sources disponibles montre qu’elles remontent au XVIIe siècle et qu’elles sont plus anciennes que celles conservées au château de Vincennes. L’une de ces deux cartes appartient à un atlas daté de 1676, dont l’origine, probablement le portefeuille d’un ingénieur du XVIIe siècle, n’a pas pu être établie. Cet atlas provient des archives d’Antoine René de Voyer d’Argenson, marquis de Paulmy (1722-1787), ministre de la guerre de Louis XVI, fondateur de la bibliothèque de l’Arsenal. Dans ses fonctions précédentes d’adjoint du ministre son oncle, il assumait la responsabilité des places frontières, ce qui lui valut en 1753 d’inspecter les places de Bayonne et Saint-Jean-Pied-de-Port.
Le fonds cartographique ancien détenu par l’Institut Géographique National (IGN), de moindre taille, contient quelques documents importants, dont la carte générale des Pyrénées, en neuf grandes feuilles réalisée par les ingénieurs géographes Roussel et La Blottière en 1718-1719, et une carte ancienne de Saint-Jean-Pied-de-Port portant le nom de son auteur, « l’ingénieur et géographe du Roy » Desjardins, ce qui permet de la dater du milieu du XVIIe siècle, ainsi que des cartes plus tardives de 1793 et 1825.

L’exploitation de ces fonds d’archives, conservés au SHAT, à la BNF et à l’IGN, constitue le fondement de la présente recherche. Toutes les sources étudiées sont répertoriées en annexe ainsi que la bibliographie consultée. Elles y sont classées par fonds d’archive et, pour chacun, par type. La démarche adoptée s’inscrit dans une volonté d’étude directe des sources archivistiques inédites. Elle fait abstraction des études publiées antérieurement sur les fortifications de Saint-Jean-Pied-de-Port, d’autant que leurs auteurs n’ont généralement pas cité leurs propres sources et n’ont pas explicité leurs interprétations. Il est apparu primordial d’éviter l’utilisation de matériaux de seconde main, sans être assuré du contenu des textes originaux. Lorsqu’elles ont pu être identifiées et retrouvées, ces sources n’ont été prises en compte que dans la phase ultime de l’étude. Ainsi la présente recherche ambitionne de parvenir à des conclusions, ou de formuler des hypothèses, en se fondant exclusivement sur une exploitation de sources incontestables, en majorité inédites.
L’exploitation de ces sources archivistiques a été conduite selon une méthodologie précise et systématique. Chaque document a fait l’objet d’une analyse critique rigoureuse portant sur l’authenticité de l’auteur, la garantie de sa qualité de témoin, l’originalité du document, sa date d’établissement, le caractère explicite du titre, des légendes et des annotations marginales. L’étude critique des plans et cartes est particulièrement importante. Plusieurs ne sont pas datés, même si la reliure du portefeuille les contenant porte une date qui constitue une indication précieuse. Certains plans semblent avoir été établis en réutilisant des cartes plus anciennes sur lesquelles des projets, ou des représentations de travaux récents ont été surajoutés. La codification conventionnelle des couleurs enfin, étudiée par Emilie de Thonel d’Orgeix11, n’est pas encore établie ou pas toujours strictement respectée lors de l’établissement des cartes les plus anciennes, induisant le risque de confondre travaux réalisés, travaux en cours et travaux projetés. Cette analyse critique permit ainsi d’établir le crédit à accorder à chaque document, pris individuellement.
La deuxième phase de l’exploitation des sources a consisté en leur étude comparative associée à un processus itératif. Les informations contenues pouvaient ainsi se recouper et se compléter, ou s’éclairer et s’expliciter mutuellement. Des convergences apparurent qui permettaient de corroborer les premières conclusions, tandis que les divergences conduisaient à les infirmer. A ce stade, il fut donc possible, d’une part, de définir les premiers faisceaux de conclusions quasiment avérées, celles établies par le recoupement d’au moins deux sources de nature différente, un mémoire et un plan par exemple, d’autre part d’élaborer les premiers groupes d’hypothèses. Il est apparu que le rapport de Vauban de 1685 constituait une date charnière, de différenciation entre période d’ombre et période de lumière. A partir de cette date, en effet, malgré la perte du carton contenant les archives du génie les plus anciennes, s’établit un excellent niveau de connaissance sur la base de l’ensemble des mémoires, cartes et plans dûment datés et signés, établis par des auteurs dont la qualité et la connaissance des lieux est indiscutable. Antérieurement à cette date au contraire, les sources peu nombreuses et de moindre qualité sont d’interprétation plus délicate. Elles ne permettent d’élaborer que des hypothèses.

Ce premier travail purement archivistique fut complété par une phase pratique d’enquête architecturale détaillée sur le terrain. Il convenait de confronter les résultats de l’étude critique des sources à l’observation détaillée des bâtiments et des lieux, conduite au cours de visites approfondies du site. Ainsi, les premières conclusions théoriques furent complétées et précisées par la réalité des styles architecturaux, des appareils de pierres, des modes de construction, des traces de reprise. Cette phase permit de progresser dans la définition des faisceaux de conclusions et des groupes d’hypothèses, en précisant notamment les étapes et les périodes de construction.
Il s’agissait alors d’apprécier la vraisemblance de ces premières conclusions et hypothèses, en les mettant en perspective dans leur environnement spatial et temporel. Il fallait d’abord les replacer dans leur cadre géographique, ou géostratégique, rapporté à l’époque considérée. Si la géographie physique est immuable, son appréciation dépend du niveau technique atteint, la portée des armes par exemple. Quant à la géographie humaine, elle évolue grandement avec le temps, au rythme du développement des infrastructures, voies et moyens de communication notamment. Il fallait ensuite s’assurer de leur cohérence avec l’histoire des relations internes et externes des États concernés, royaumes de Navarre, d’Espagne, de France et d’Angleterre. A l’époque comme aujourd’hui, les décisions, prises en fonction des conjonctures politique et budgétaire, dépendaient des priorités du moment.

Il importait enfin de rapporter les étapes de la construction de la citadelle à l’histoire de la fortification au XVIIe siècle, période de naissance, puis de développement en France d’une école d’architecture bastionnée qui atteignit son apogée sous Louis XIV, avec les chefs-d’oeuvre de Vauban. Or, notre connaissance de l’histoire du bastion s’est grandement enrichie au cours des dernières décennies grâce aux recherches universitaires fondamentales sur l’histoire de l’architecture bastionnée et sur les ingénieurs du Roy des XVIe et XVIIe siècles. A cet égard, il convient de citer les publications des professeurs Buisseret12, Pernot13, Blanchard14 et Faucherre,15 ainsi que la thèse de doctorat soutenue en Sorbonne, en décembre 2002, par Reynald Parisel16. Ainsi, il fut loisible de mieux apprécier comment la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port s’insérait dans l’histoire de la fortification bastionnée en France, donc, d’une part, de préciser la période et les conditions de sa construction, et, d’autre part, de mieux prendre conscience de son intérêt historique comme de sa valeur patrimoniale.
Ce ne fut que dans une phase ultime que les conclusions de la présente étude furent confrontées à celles des publications précédemment réalisées, fondées essentiellement sur l’exploitation des archives municipales et départementales. Cette comparaison permit de s’assurer de leur compatibilité. En plusieurs occurrences, la présente recherche a conduit à une réinterprétation des sources précédemment exploitées.

La démarche ainsi adoptée, fondée sur une étude précise de sources archivistiques en majorité inédites, permet d’approcher une connaissance rénovée de la cité, de la citadelle et de la place de Saint-Jean-Pied-de-Port. Les sources renseignent avec précision sur l’état de la muraille enserrant la ville haute au tournant du XVIIe au XVIIIe siècle, comme sur les périodes et la nature des rénovations et modifications qu’elle subit à partir de cette époque. Elles fournissent également des informations et des indices originaux sur la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port au Moyen-Âge, permettant d’esquisser des pistes de recherche novatrices et ainsi de relancer la réflexion sur son histoire médiévale. Concernant la citadelle, les documents étudiés confirment définitivement qu’elle a été érigée à l’emplacement même du château fort des rois de Navarre et qu’elle a été construite avant Vauban, donc par des ingénieurs militaires d’une génération précédente. Le mémoire que Vauban rédigea à la suite de l’inspection de la citadelle « la plus petite du royaume17 », qu’il effectua en 1685, atteste qu’elle n’est pas son œuvre et qu’elle lui est antérieure. Mais aucune des sources consultées ne révèle ni sa date de construction, ni le nom de son constructeur. Aucune ne confirme l’hypothèse, retenue par la tradition locale, de sa construction par le Chevalier Antoine de Ville, dont aucune source ne cite le nom. Le but de la recherche fut donc, au-delà de cette certitude et de ces premiers éléments, d’approfondir notre connaissance de l’histoire de son établissement. Il s’agissait de renouveler les hypothèses portant sur l’époque de construction de la citadelle primitive et sur le nom de l’ingénieur du Roy qui en dressa les plans. Il convenait de préciser les phases et les étapes de ses rénovations, d’en cerner la nature, d’en circonscrire les dates ou les périodes. Il s’agissait de savoir à quelle époque, baroque ou classique, et à quelle école, ou génération, d’ingénieurs elle se rattache : Vauban, de Ville, ou lequel de leurs contemporains ou précurseurs.
Par ailleurs, en révélant précisément la nature et l’ampleur des modifications, dont celles provoquées par l’inspection de Vauban, que la citadelle a subies depuis sa construction initiale, l’étude devait permettre d’apprécier le degré d’authenticité de la citadelle que nous visitons aujourd’hui. En outre, les sources nous renseignent abondamment tant sur l’organisation et le fonctionnement de la citadelle, que sur la composition de la garnison et ses conditions de vie au XVIIIe siècle et aux siècles suivants. Elles complètent notre information sur l’implication de la citadelle dans l’histoire des relations et des conflits franco-espagnols durant les Temps modernes et au début de l’Epoque contemporaine. Elles précisent enfin les dates et les conditions d’établissement d’une enceinte autour de la ville basse ainsi que les projets de création d’une place forte englobant citadelle et cité, élaborés au cours des XVIIIe et XIXe siècles.

Présenter les résultats de cette recherche, les hypothèses et les conclusions auxquelles elle est parvenue, tel est l’objet du présent mémoire. Le premier chapitre retrace les grandes lignes du cadre historique et géographique dans lequel s’inscrivent la construction de la citadelle et les projets d’aménagement d’une place forte. Le deuxième chapitre rappelle les phases majeures de l’histoire de la naissance et de l’évolution de la fortification bastionnée jusqu’à Vauban, histoire à laquelle la citadelle participe. Le troisième chapitre esquisse quelques pistes novatrices de recherche concernant les origines du château médiéval antérieur à la citadelle, ainsi que sur les étapes de la naissance et de l’évolution de la vieille cité au Moyen-Âge. Quant au quatrième chapitre, il est consacré à l’exposé du coeur des résultats de la recherche, à l’approche discursive des conclusions et des hypothèses concernant les dates et les étapes de la construction de la citadelle primitive, l’identité de son constructeur, les conditions de son achèvement, l’ampleur et la nature des transformations et modifications qui lui ont été apportées jusqu’à ce jour. Le cinquième chapitre est dédié à une présentation thématique et une description détaillées de la citadelle, vues sous l’angle de ses capacités militaires. Une évocation du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port et de son rôle dans les guerres de la Révolution et de l’Empire fait l’objet du sixième chapitre. Le septième chapitre expose l’évolution de la cité à l’époque moderne ainsi que les projets et travaux tant de restauration de la muraille médiévale que d’établissement d’une enceinte autour de la ville basse. Il présente les plans d’aménagement d’une véritable place forte autour de la citadelle et de la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port. La conclusion tente de résumer les points établis par la présente recherche tout en balisant les questions restant ouvertes.

Les résultats de l’étude confirment la valeur patrimoniale et l’intérêt historique de la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port. Cet intérêt et cette valeur sont d’autant plus grands que l’étude démontre que la citadelle est, non une réalisation de Vauban, mais un exemple rare de citadelle bastionnée primitive de l’époque baroque. Il est ainsi établi que la commune de Saint-Jean-Pied-de-Port, témoin de l’histoire commune de la Navarre, de l’Espagne et de la France, possède avec ses enceintes fortifiées, et surtout sa citadelle, un patrimoine original de grande qualité.
1 Voir photographie n° 1.
2 Cf. bibliographie n° 27, 29, 30, 31, 33, 34, 39, 40 et 42.
3 Organisme relevant du Ministère de la Défense, le Service Historique de l’Armée de Terre (SHAT) conserve 54 kilomètres d’archives militaires et possède une bibliothèque riche de 600 000 volumes (voir Tome II).
4 Cf. sources manuscrites n° 01 à 12 et cartographiques n° 19 à 29.
5 Cf. sources manuscrites n° 13 à 18 et cartographiques n° 30 à 34.
6 Cf. sources cartographiques n° 35 à 39.
7 Ces documents sont conservés dans la bibliothèque située dans le pavillon du roi du château de Vincennes.
8 Ces documents font partie des archives du Génie conservées dans le pavillon des armes du château de Vincennes.
9 Cf. sources manuscrites n° 04 et 05.
10 La BNF est actuellement implantée sur plusieurs sites, dont les principaux sont la bibliothèque Richelieu, la bibliothèque de l’Arsenal et la bibliothèque François Mitterrand construite en 1998 dans le quartier de Tolbiac (voir Tome II).
11 Cf. Les cahiers du CEHD – Histoire de la fortification – Cahier n° 10, pages 131 à 149.
12 Cf. David Buisseret, bibliographie n° 14.
13 Cf. source publiée n° 45 et bibliographie n° 17 à 20.
14 Cf. sources publiées 41 et 42.
15 Cf. source publiée n° 43.
16 Cf. source publiée n° 44.
17 Cf. source manuscrite n° 04-a. Cette affirmation de Vauban fut plagiée par plusieurs mémoires postérieurs dont celui de Canut rédigé en 1753 (source manuscrite n° 15).

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