2015. La contre-offensive du Maréchal Soult sur Pampelune

Le Maréchal Soult à Bayonne et Saint-Jean-Pied-de-Port 
(12 au 30 juillet 1813)

Article publié par le Bulletin de la Société des sciences lettres et arts de Bayonne, n° 170, année 2015

INTRODUCTION

En l’année 2013, le bicentenaire de la contre-offensive menée par le Maréchal Soult, de Saint-Jean-Pied-de-Port vers Pampelune, en juillet 1813, aurait, à plusieurs égards, mérité d’être célébré. Le 21 juillet 1813, Nicolas Soult, maréchal d’Empire, arrivant de Bayonne, parvenait à Saint-Jean-Pied-de-Port, où il installait son Quartier Général au château d’Olhonce. Quatre jours plus tard, le 25 juillet 1813 à l’aube, il lançait, en direction de Pampelune, la contre-offensive de l’Armée des Pyrénées, dont il venait de prendre le commandement. Cette contre-offensive, qui visait à rattraper le grave échec subi à Vitoria, un mois plus tôt le 21 juin 1813, constitua l’ultime tentative de reprise de l’initiative, au cours des derniers jours de la guerre que les armées napoléoniennes menaient en Espagne depuis octobre 1807.
C’est le 1er juillet à Dresde, alors qu’il cherchait à tirer avantage de ses récents succès, que Napoléon apprit la cuisante et humiliante défaite que son frère Joseph, roi d’Espagne, avait essuyée, à Vitoria, dix jours plus tôt, le 21 juin 1813. A cette nouvelle, Napoléon, entré dans une violente colère, destitua son frère Joseph, limogea le maréchal Jourdan, son major-général, et décida de renvoyer en Espagne le maréchal Soult1. Par décret signé à Dresde le 6 juillet 1813, il le nomma « Lieutenant de l’Empereur, Commandant-en-chef de l’armée en Espagne et sur les Pyrénées ». Soult quitta Dresde dès le 1er juillet 2013, le jour même de la décision de l’Empereur. Le 6 juillet, il était à Paris. Le 12 juillet, il arrivait à Bayonne pour y prendre son commandement. La veille, 11 juillet, l’émissaire de l’Empereur avait signifié sa destitution au roi Joseph, alors à Saint-Pée-sur-Nivelle, au quartier d’Ilbarron, où il s’était installé le 8 juillet avec sa cour, arrivant de Vitoria par Pampelune et les cols de Velate et d’Otsondo. Après sa destitution, Joseph s’installa au château de Marracq à Bayonne, d’où il gagna ensuite Bagnères-de-Bigorre, puis Barèges.
Empruntant la voie transpyrénéenne historique, mythique et légendaire, du Grand Chemin d’Espagne par Orisson et Roncevaux, la contre-offensive de Soult fut la dernière grande bataille de la Guerre d’Espagne du Premier Empire, la ‘Guerre d’Indépendance’ des Espagnols. Dans l’histoire millénaire des conflits livrés sur cette voie, elle constitua le dernier épisode guerrier majeur, vingt ans exactement après les durs et sanglants combats de la Convention. Elle atteignit un paroxysme dans la violence guerrière, en termes de volume des forces engagées, d’importance des pertes, morts et blessés, d’ampleur des dommages causés aux populations locales. Nos aïeux, habitants des pays de Cize et de Baïgorry, en furent les témoins directs ; nombre d’entre eux y participèrent comme gardes nationaux ou civils réquisitionnés ; tous en subirent les conséquences, souvent désastreuses pour leurs biens ou leurs personnes.

-1- Le MARECHAL SOULT à BAYONNE (12 juillet 1813)

Lors de l’arrivée du maréchal Soult à Bayonne, le 12 juillet, les trois armées françaises d’Espagne, qui ont été défaites à Vitoria2, sont déployées en rideau défensif sur la frontière, depuis le cours de la Bidassoa et les monts pyrénéens jusqu’à la forêt d’Iraty. Par ailleurs, une garnison de 3 500 hommes a été laissée aux ordres du général Cassan dans la citadelle de Pampelune, le général Rey s’est enfermé dans la place de Saint-Sébastien avec 3 000 hommes, le brigadier Lameth a fait de même avec 1 500 hommes dans le port de Santona3 sur la côte cantabrique. De son QG installé à Lesaca, au Sud de Vera, Wellington décide de terminer la campagne de 1813 sur les Pyrénées en s’emparant de ces trois places fortes de Pampelune, Saint-Sébastien et Santona, et de ne poursuivre son offensive en territoire français qu’au printemps suivant.

11- Dispositif des armées d’Espagne à l’issue de la retraite de Vitoria

L’armée du Portugal, du général Reille, est installée défensivement sur la Bidassoa, de Vera à Hendaye, où elle a relevé la division de réserve du général Lhuillier, commandant d’armes de la place de Bayonne, qui y avait installé les unités territoriales dont il disposait4. L’armée du Centre, du général Drouet d’Erlon s’est déployée entre San Esteban et Elizondo, elle se trouve en pointe du dispositif français. Malgré le soutien de l’armée du Midi, elle a été repoussée sur la frontière par les avant-gardes anglaises de Wellington qui ont immédiatement occupé le col de Maya, tandis que des unités portugaises se sont emparées du col d’Ispéguy. L’armée du Midi, du général Gazan, a reflué de Pampelune vers Saint-Jean-Pied-de-Port, où elle est arrivée le 26 juin, en empruntant le Grand Chemin d’Espagne par Orisson et Roncevaux, tout en se livrant au pillage. La conduite des soldats de cette armée a été scandaleuse dans toutes les communes du Pays Basque. Elle a été l’objet de plaintes au préfet de Vanssay qui, lui-même en tournée à Saint-Jean-Pied-de-Port le 11 juillet, a été le témoin de leurs actes d’indiscipline. Sur ordre du maréchal Jourdan, l’armée du Midi s’est déployée, le 1er juillet, sur la Nive et la Nivelle de Cambo à Saint-Pée, avec son PC à Ustaritz, tout en maintenant une division, commandée par le général Conroux, dans la place de Saint-Jean-Pied-de-Port, avec des unités à Arnéguy, Anhaux, Baïgorry et au mont Arrola.
La garnison de Saint-Jean-Pied-de-Port ne comprend alors qu’un dépôt de cent chasseurs pyrénéens et le bataillon d’élite des gardes nationaux du département des Basses-Pyrénées, qui y est basé depuis 1811. Le chef de ce bataillon de gardes nationaux qui assurait la garde des ports de Cize, le chef de bataillon Lalanne, rend compte dans un rapport au général Lhuillier, commandant d’armes de la place de Bayonne, qu’après avoir préservé du pillage l’abbaye de Roncevaux, il a dû évacuer la fonderie royale d’Orbaiceta sans emporter vers Saint-Jean-Pied-de-Port les projectiles qui y étaient stockés.
Quant à l’armée du Nord du général Clauzel, qui n’a pas participé à la bataille de Vitoria, elle est dispersée en Navarre où elle assure la sécurité des communications dans cette province où l’hostilité de la population à l’égard des armées françaises est particulièrement grande et où les guérilleros navarrais, notamment les bandes d’Espoz y Mina, mènent des actions de guérilla, souvent avec succès, contre les troupes françaises. Après avoir appris la défaite de Vitoria, le général Clauzel, le 30 juin, a regroupé l’armée du Nord autour de Saragosse. Il parvient à échapper à Wellington qui cherchait à détruire cette armée, et à effectuer sa retraite vers la France par Jaca, puis le col du Somport. Immédiatement, Espoz y Mina occupe Tudela et Saragosse. Après avoir reçu, le 8 juillet, l’ordre du roi Joseph qui craint une menace sur les ports de Cize, de poursuivre vers Saint-Jean-Pied-de-Port, dès son arrivée à Bedous en vallée d’Aspe, il est parvenu à Tardets le 12 juillet5.

12- La réorganisation de l’armée des Pyrénées

Nommé « Lieutenant de l’Empereur, commandant en chef de l’armée en Espagne et sur les Pyrénées », Soult arrive à Bayonne le 12 juillet 1813, soit six mois après avoir quitté l’armée du Midi. Il trouve sur les Pyrénées un ensemble de forces regroupant 70 000 baïonnettes environ et 50 canons, réparti entre les quatre armées décrites ci-dessus. Il réorganise immédiatement cet ensemble de forces, en application d’un décret également signé à Dresde, en une seule armée articulée en trois corps d’armée. Le commandement de ces trois corps d’armée est confié aux anciens commandants d’armée, Reille, Drouet d’Erlon et Clauzel, ramenés aux grades de lieutenants-généraux et directement subordonnés à Soult. Le quatrième commandant d’armée, Gazan, devient le chef d’état-major de Soult, fonction qu’il exerçait auprès de lui à l’Armée du Midi, en Andalousie, jusqu’en début 1813, avant d’assurer sa succession lors de son départ.
Le soin est laissé à Soult de choisir les commandants de division et d’organiser ses forces selon les principes suivants : divisions d’infanterie à 6 000 hommes, articulés en 5 ou 6 bataillons avec deux batteries d’artillerie à pied, divisions de cavalerie avec une batterie d’artillerie à cheval, en réserve d’armée deux batteries à cheval et plusieurs batteries d’artillerie de gros calibre. Sur ces principes, Soult met sur pied dix divisions d’infanterie et deux divisions de cavalerie, constituant trois corps d’armée, chacun à trois divisions d’infanterie et un régiment de cavalerie légère : le corps Reille avec les divisions Foy, Maucune et Lamartinière, le corps Drouet d’Erlon avec les divisions Darmagnac, Abbé et Darricau, le corps Clauzel avec les divisions Conroux, Vandermaesen et Taupin. S’y ajoutent une division d’infanterie de réserve, commandée par Villatte, et les deux divisions de cavalerie.
Au total l’armée, ainsi reconstituée, comprend 72 000 hommes, 8 500 chevaux et 140 canons, auxquels s’ajoutent 4 500 non combattants. Les matériels ont été fournis par la 10ème division militaire de Toulouse et la 11ème de Bordeaux. L’artillerie nécessaire a été trouvée dans l’arsenal de Bayonne. Mais cette armée reste qualitativement faible : les troupes sont démoralisées et surtout indisciplinées, les unités sont en sous-effectifs et surtout sous-encadrées. Malgré ses efforts énergiques, Soult ne parvient que très partiellement à rétablir une certaine discipline.
En ce 12 juillet 1813, quels itinéraires s’offrent au maréchal Soult, parvenu à Bayonne, pour faire franchir la barrière des Pyrénées à son armée et l’engager offensivement en Espagne ?

13- Géographie physique et Humaine : Le franchissement de la barrière des Pyrénées

Les cartes de Cassini, datant de la réédition de 18156 dont nous disposons, montrent qu’à cette date, deux itinéraires carrossables partant de Bayonne permettent à des convois militaires de gagner l’Espagne, l’un par le Pas de Béhobie, l’autre par les Ports de Cize :
  • Le premier itinéraire carrossable, situé en zone littorale, dénommé « Route de Paris à Madrid », quitte Bayonne par la Porte d’Espagne en direction de Burgos et Madrid, par Saint-Jean-de-Luz et Urrugne. Il nécessitait précédemment une rupture de charge au Pas de Béhobie, où le franchissement de la Bidassoa se faisait, à gué ou en gabarres. Mais, dans les années 1795 à 1801, un pont en bois y a été établi à l’emplacement du gué, 50 mètres en amont de l’Isle de la Conférance. Cet itinéraire, en totalité pavé ou empierré au moins sur son parcours français, qui constituait la « Ligne d’Opérations » de l’armée d’Espagne, a été largement amélioré depuis son engagement militaire en péninsule ibérique à l’automne 1807 ;
  • Le second itinéraire carrossable, dénommé « Chemin de Saint-Jean-Pied-de-Port », suit le tracé de l’ancienne voie romaine en ligne de crête entre Nive et Adour. Quittant Bayonne par la Porte de Mousserole, il passe par Saint-Pierre d’Irube, Helette et Lacarre, jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, où il franchit la Nive de Béhérobie par un pont, bâti en pierre au moins depuis 1650. Poursuivant, sous le nom de « Grande Route d’Espagne », par la ligne de crête qui sépare les Nives de Béhérobie et d’Arnéguy, jalonnée par la « chapelle d’Orisson » et « Château Pignon », il franchit les Pyrénées au col de Bentarte avant de redescendre vers Roncevaux7, et Burguete. Jusqu’en 1800, cette « Grande Route d’Espagne »8 avait été la seule voie transpyrénéenne empruntable par les carrosses, les charrois, les convois et l’artillerie. Erigé sur ordre personnel de Napoléon en 1808 en seconde ligne de communications de l’armée d’Espagne, il a été maintenu en bon état, mais il a perdu sa prééminence.
D’autres itinéraires, praticables seulement à cheval ou à pied, abondamment décrits par les ingénieurs géographes du 18ème siècle et du début du 19ème siècle permettent le franchissement de la partie occidentale des Pyrénées. Ce sont :
  • le chemin venant de Sare qui emprunte le col d’Otsondo, ou de Maya, pour gagner Elizondo, puis poursuit, par le col de Velate, jusqu’à Pampelune,
  • le chemin de Saint-Jean-Pied-de-Port à Burguete par le Val Carlos et le col d’Ibañeta9, simple chemin muletier, souvent non sécurisé,
  • le chemin de Mauléon à Ochagavia par le port de Larrau et la vallée de Roncal,
  • le chemin d’Oloron à Jaca, puis Saragosse, par la vallée d’Aspe et le Somport, où, malgré son étroitesse, le courrier de Saragosse est passé deux fois par semaine pendant la guerre d’Espagne.
Enfin, les multiples sentiers de bergers et de contrebandiers, empruntant les cols, ou « ports », notamment en Pays de Cize et de Baïgorry, permettent à des unités d’infanterie allégées, et bien guidées de pénétrer en Espagne, en franchissant les Pyrénées par des itinéraires détournés.
Pour l’armée de Soult, l’absence de cartographie détaillée autre que la carte de Cassini, est aggravée par la difficulté de communication avec les guides locaux, qui parlent des dialectes basques, mais peu le Français ou le Castillan. Les difficultés d’orientation en zone montagneuse, aggravées par des conditions météorologiques exécrables, expliquent nombre des erreurs commises par l’armée de Soult lors de son engagement en direction de Pampelune.

14- L’espace géostratégique des Pays de Cize et Baïgorry

Au début du 19ème siècle, les deux vallées de Cize et de Baïgorry, autour de la citadelle baroque de Saint-Jean-Pied-de-Port, construite sous Louis XIII, constituent un seul espace géographique fermé de tous les côtés par des barrières montagneuses, entrecoupées de cols. La carte de Cassini montre que cet espace est situé au débouché de deux itinéraires carrossables majeurs qui se rejoignent à Lacarre, la « Route de Bayonne », d’une part, la « Route de Pau », ou « Chemin de Navarreinx », d’autre part, en provenance respectivement de chacune des deux divisions militaires de Bordeaux et Toulouse. Le territoire français était sous l’Empire divisé en vingt divisions militaires dont, dans la zone frontière des Pyrénées, la 10ème à Toulouse10 et la 11ème à Bordeaux, capables de fournir à des armées en campagne les subsistances à partir de leurs ressources agricoles, et les équipements à partir de leurs arsenaux, dont celui de Bayonne profondément rénové en 1794-95.
L’engagement de la guerre d’Espagne par Napoléon, en octobre 1807, avait fait de cet espace géographique une zone de transit incessant de troupes allant et revenant d’Espagne. Il avait provoqué la militarisation de la frontière et de ses habitants engagés dans la garde nationale. Cependant, aucun combat ne s’y était déroulé malgré l’insurrection en Navarre espagnole. En revanche, les troupes de l’armée d’Espagne en retraite après la cuisante défaite de Vitoria, s’étaient abattues comme un fléau sur les campagnes du pays Basque durant la première quinzaine de juillet. Les combats qui s’ensuivirent entre juin 1813 et avril 1814, provoquèrent dans toute la zone frontalière un nouveau paroxysme guerrier qui atteignit un niveau encore jamais connu de sauvagerie et de misère.
Cet espace géographique des Pays de Cize et Baïgorry était ainsi susceptible de devenir la base opérationnelle et logistique d’une armée s’engageant offensivement en l’Espagne. Les itinéraires franchissant les Pyrénées permettaient cet engagement, soit directement vers la place forte de Pampelune, soit, à rebours par la vallée du Baztan vers la place forte de Saint-Sébastien et les ports de la côte atlantique, dont Pasajes11. Cet espace a donc bien pour le maréchal Soult, un intérêt géostratégique.

15- La manœuvre du maréchal Soult

Selon les instructions qu’il a reçues, le maréchal Soult est tenu de « prendre sans délai les mesures nécessaires pour sauver Saint-Sébastien, Santoña, Pampelune et Pancorbo (15 Km S.W. de Miranda del Ebro), de reprendre l’offensive à cet effet et de rentrer en Espagne le plus tôt possible »12
Les 13 et 14 juillet, Soult effectue des reconnaissances le long de la Bidassoa. Il en fait effectuer sur les chemins carrossables directs de Saint-Jean-de-Luz à Saint-Jean-Pied-de-Port. Clarke, ministre de la guerre, lui a recommandé d’agir en priorité sur Saint-Sébastien. Mais Soult, après réflexions et hésitations, espérant obtenir l’effet de surprise, opte pour une action prioritaire vers Pampelune, en utilisant la place forte de Saint-Jean-Pied-de-Port comme base de sa contre-offensive. Sa manœuvre a un double objectif : attaquer Pampelune en force pour en faire lever le blocus subi par le général Cassan et provoquer ainsi un relâchement de la pression sur Saint-Sébastien, où le général Rey subit le siège mené par Wellington. Dans une phase ultérieure, Soult prévoit d’attaquer en direction de Saint-Sébastien par une attaque à revers menée depuis Pampelune.

16- Le nouveau redéploiement de l’armée des Pyrénées

Ses structures de commandement une fois établies et sa manœuvre ainsi décidée, Soult redéploye son dispositif. Il concentre les gros de son armée dans les pays de Cize et Baïgorry, tout en masquant sa manœuvre par un dispositif de couverture sur la Bidassoa. Pour ce faire, les 18 et 19 juillet, il déploie la division de réserve Villatte, renforcée d’une vingtaine de pièces d’artillerie, sur la Bidassoa de Sarre à la mer, face aux débouchés de Vera.
Les premiers ordres de Soult sont pour Clauzel, afin de lui confirmer l’ordre de rallier Saint-Jean-Pied-de-Port. Arrivant de la vallée d’Aspe, Clauzel y parvient dès les 15 et 16 juillet avec les deux divisions Vandermaesen et Taupin. Il y prend sous ses ordres la division Conroux qui tient la région de Saint-Jean-Pied-de-Port et de Baïgorry. Recentrée sur Baïgorry, la division Conroux met en place des avant-postes face au col d’Ispéguy et à la fonderie des Aldudes et elle s’installe fortement avec deux bataillons sur le mont Arrola en avant de Banca, au-dessus des Aldudes. Quant aux gardes nationaux, ils poussent des reconnaissances vers le mont Lindus. Le 18 juillet, la division Vandermaesen s’installe à la chapelle d’Orisson, avec un bataillon en deçà de Château Pignon qui connaît des engagements avec les postes avancés du camp anglais du Leizar Atheka et de l’Alto Biscar. La division Taupin déploie ses bataillons dans la vallée de la Nive d’Arnéguy, prêts à soutenir la division Vandermaesen. Clauzel effectue des reconnaissances vers le Lindus et l’Alto Biscar qu’il constate être solidement tenus. Il admet qu’il faut quatre à cinq jours de travail pour rendre le Grand Chemin d’Espagne praticable à l’artillerie.
Soult a attendu l’arrivée de Clauzel à Saint-Jean-Pied-de-Port, pour faire commencer les marches de concentration. Les trois divisions du corps de Reille disposées de Sarre à Hendaye, où elles ont été relevées par la division Villatte, reçoivent l’ordre de faire mouvement vers Saint-Jean-Pied-de-Port, le 18 juillet. Les trois divisions du centre de Drouet d’Erlon restent déployées dans la région d’Aïnhoa, Itxassou et Espelette.

17- La situation logistique en Pays de Cize-Baïgorry

Cette concentration de forces sur la frontière et à Saint-Jean-Pied-de-Port à partir du 15 juillet pose de graves problèmes de ravitaillement et de transport. Les services de subsistance, déjà pris au dépourvu par la retraite de Vitoria, sont désorganisés, car le ravitaillement d’une armée sur le territoire français n’est pas prévu. Les capacités du département se révèlent insuffisantes et les mesures prises pas à la hauteur de la situation. Le 11 juillet, veille de l’arrivée de Soult à Bayonne, le préfet de Vanssay, venu d’urgence à Saint-Jean-Pied-de-Port où rien n’était prévu pour ravitailler le corps de Clauzel à son arrivée le 15 juillet, dresse le constat de l’incapacité de l’administration de la guerre à assurer le service des vivres. A cette date, le sous-préfet de Mauléon, Detchepare, s’est déjà installé à Saint-Jean-Pied-de-Port. Les Pays de Cize et Baïgorry sont frappés de réquisitions considérables en rations, voitures bouvières et chevaux ou mulets de transport.
A son arrivée à Bayonne le 12 juillet, l’un des premiers ordres de Soult est de faire acheminer sur Saint-Jean-Pied-de-Port cent mille rations. La réorganisation de l’armée devait en faciliter le ravitaillement. De fait, il n’en est rien. Vidal de la Blache écrit : « L’exécution des Services des Subsistances donna les plus grands mécomptes. Soult considérait comme indispensable d’entrer en opérations avec une avance au moins de quatre jours de vivres. Mais la fabrication du biscuit ne fut pas achevée à Bayonne avant le départ des troupes de Reille qui arrivèrent à Saint-Jean-Pied-de-Port en portant dans leurs sacs, faute de moyens de transport, de la farine mouillée. Les troupes de Drouet d’Erlon en position à Ainhoa ne recevaient même pas quotidiennement les vivres du jour. A Saint-Jean-Pied-de-Port régnait un désordre inexprimable. La viande, l’avoine, les fours manquaient à la fois. Les bœufs rassemblés pour atteler l’artillerie attiraient l’attention des cuisiniers. Il fallait défendre contre les soldats, les parcs de voiture et le bétail, et même les maisons particulières que les soldats dévalisaient pendant que leurs hôtes, le fusil à la main, faisaient dans les montagnes leur service de gardes nationaux. »

-2- Le MARECHAL SOULT à SAINT-JEAN-PIED-de-PORT (21 juillet 1813)

Le maréchal Soult quitte Bayonne le 20 juillet 1813. Arrivant à Saint-Jean-Pied-de-Port le 21 juillet au matin, il installe son quartier général au château d’Olhonce13, au pied du mouvement de terrain sur lequel est bâtie la citadelle. Ce château se dresse à mi-parcours du chemin menant de Saint-Jean-Pied-de-Port au village de Saint-Michel, à proximité de la Nive de Béhérobie. Du château d’Olhonce, une bretelle permet de gagner directement la « Grande Route d’Espagne par Orisson ».

21- Le dispositif de contre-offensive du maréchal Soult

Dès son arrivée, Soult effectue, les 21 et 22 juillet, les ultimes reconnaissances et se fait rendre compte de la situation au contact par Clauzel, arrivé à Saint-Jean-Pied-de-Port depuis six jours. Les trois divisions du corps de Reille, arrivant d’Hendaye, parviennent à Saint-Jean-Pied-de-Port le 22 juillet au soir, soit une semaine après le corps de Clauzel. Elles s’installent en cantonnements à Aphat-Ospital, Aincille et Anhaux. En fin des mouvements, sont ainsi concentrées à Saint-Jean-Pied-de-Port, les six divisions des corps de Reille et de Clauzel, ainsi que les deux divisions de cavalerie et soixante-six pièces d’artillerie.
Soult dispose alors d’un total de 72 000 hommes, tandis qu’à l’extrémité orientale des Pyrénées, Suchet dispose de 25 000 hommes face à 70 000 Anglais, Siciliens et Catalans. Le dispositif de Soult est flanc-gardé sur son Est par le général Pâris, commandant la brigade de l’armée de Suchet restée en Aragon, auquel Soult a demandé de tenir Jaca et le col du Somport, et de maintenir la communication avec Suchet.
La manœuvre envisagée par Soult peut être exprimée comme suit :
« Tout en masquant son balancement d’effort et en maintenant, en liaison avec la garnison assiégée de Saint-Sébastien, la pression sur la basse Bidassoa face à Fontarabie, avec la seule division Villatte renforcée en artillerie,
Attaquer en force en direction de Pampelune, pour en libérer la garnison assiégée, en débouchant le 25 juillet avec trois corps d’armée de front :
  • Deux corps d’armée, soit 40 000 hommes au total, chargés de l’effort principal, agissant depuis le bassin de Cize-Baïgorry, doivent conquérir initialement les ports de Cize, puis Roncevaux et Burguete :
    • le corps de Clauzel, avec les divisions Conroux, van der Maësen et Taupin, attaquant depuis Saint-Jean-Pied-de-Port par la Grande Route d’Espagne pour s’emparer du col de Bentarte,
    • le corps de Reille, avec les divisions Lamartinière, Maucune et Foy, attaquant, depuis Baïgorry pour s’emparer du col de Lindus.
  • Le corps d’armée de Drouet d’Erlon, avec les divisions Darricau, Abbé et Darmagnac, chargé de l’action secondaire, agissant à partir d’Ainhoa, doit conquérir successivement le col de Maya, puis le col de Velate.
Ultérieurement, une fois Pampelune reconquis, conduire une seconde attaque en direction de Saint-Sébastien, où est assiégé le général Rey avec plus de 3 000 hommes, par une action à revers à partir de Pampelune »

22- Le déploiement préalable à l’offensive

Le 23 juillet, le maréchal Soult diffuse ses ordres. Il écrit : « Demain 24, les dispositions préparatoires seront faites sur toute la ligne et le 25, à 4 heures du matin, le mouvement sera général et spontané ». A cette date, la Grande Route d’Espagne, réparée par les sapeurs du commandant Burel, est praticable aux voitures jusqu’à Château-Pignon.
Les troupes françaises prennent leurs dispositions préparatoires le 24 juillet. Derrière l’échelon d’attaque constitué par les trois divisions du corps Clauzel, la Grande Route d’Espagne est réservée à l’artillerie, à la cavalerie et aux bagages de l’ensemble des trois corps d’armée. Trois cents paires de bœufs, rassemblés à Saint-Jean-Pied-de-Port, doivent permettre de hisser les 66 pièces d’artillerie au col de Bentarte, à plus de 1 300 mètres d’altitude en ménageant les attelages. Le 24 après-midi, le général Tirlet fait monter l’artillerie à cheval de Clauzel à force de bœufs et de bras jusqu’à la « Venta d’Orisson » où, dès le 24 au soir, quelques pièces d’artillerie sont mises en batterie. Les batteries à cheval de Reille prennent le même itinéraire le lendemain matin, les bœufs tirant les pièces, les chevaux étant haut-le-pied. Les divisions de cavalerie de Treilhard et Pierre Soult suivent les canons.
Dans la nuit du 24 au 25 juillet, le dispositif d’attaque finit de se mettre en place. A partir d’une heure du matin, les trois divisions du corps de Reille, quittent leurs cantonnements d’Anhaux, Aincille et Aphat Ospital, où elles ne sont arrivées que dans la soirée du 22, les trainards ayant rejoint dans la journée du 23. Le capitaine Vidal de la Blanche écrit : « Les trois divisions cantonnées à Anhaux, Aincille et Aphat Ospital se mirent en route vers 1 heure. De plus, elles traversèrent Saint-Jean-Pied-de-Port pour y recevoir une distribution de deux jours de pain14. L’encombrement était si grand dans les ruelles étroites et montantes de la vieille place que les troupes n’arrivèrent qu’à une lieue en arrière des points assignés ». Elles gagnent la vallée de Baïgorry, où elles relèvent la division Conroux, qui peut alors rejoindre son corps, celui de Clauzel, sur la Grande Route d’Espagne.
Cependant l’exécution du service des subsistances donnent de graves mécomptes. Les unités démarrent avec seulement deux jours de vivres, au lieu des quatre jours jugés indispensables par Soult. Les soldats sont rapidement réduits à dévaliser la campagne et les fermes dont les hommes, réquisitionnés comme gardes nationaux, sont de service dans les montagnes. De surcroît les pluies continuelles, qui durent depuis trois semaines, s’abattent sur les troupes au cours de la nuit, trempant les hommes et mouillant leurs munitions.

23- Le débouché de l’attaque (25 juillet 1813) – La bataille de Château Pignon

Le mouvement général d’attaque est déclenché le 25 juillet 1813, au matin. Les trois divisions de l’aile Gauche aux ordres de Clauzel s’élancent, en tête, par la Grande Route d’Espagne, avec pour objectif la montagne d’Altobiscar (ou Mendi Chipi : 1 506 m) qui domine le col de Bentarte (1 337 m). La division de tête, celle de Vandermaesen, démarre des positions d’Orisson et d’en deçà de Château Pignon, qu’elle occupe depuis le 18. La division Taupin, agissant de concert sur sa droite, monte directement de la vallée d’Arnéguy, par Ondarolle en direction de Château Pignon. La division Conroux, une fois relevée à Baïgorry, s’engage derrière la division Vandermaesen sur la Grande Route d’Espagne. Cette action principale est accompagnée de l’attaque d’un bataillon par le Val Carlos en direction de la chapelle d’Ibañeta, et par celle du bataillon d’élite des gardes nationaux, aux ordres du lieutenant-colonel Lalanne, agissant depuis Esterençuby en direction des forges d’Orbaïceta, par Eropil et le col d’Orgambide.
Au démarrage de l’offensive, Soult marche avec la division Vandermaesen sur la Grande Route d’Espagne. C’est ainsi qu’il lui revient de commander la dernière bataille de Château Pignon. Dans la nuit du 24 au 25, la division Vandermaesen, en tête de la colonne Clauzel, a vainement tenté de s’emparer des positions anglaises installées à hauteur de Château Pignon. Le 25 vers six heures du matin, les premiers éléments français parvenus à la hauteur de Château Pignon, voient leur progression arrêtée par les avant-postes ennemis, disposant de canons, fortement retranchés autour des rochers d’Urdanasburu, d’Urdanare et de Leizar Atheka. L’affaire s’engage, mais traine en longueur. Les assauts des deux bataillons de tête de la division Vandermaesen, comme leurs tentatives de débordement, échouent jusque vers dix heures, devant la résistance opiniâtre des Anglais.
Le maréchal Soult prend alors personnellement le commandement des unités de tête. Il ordonne à deux à trois bataillons de se former en colonnes d’attaque, puis il leur commande de repartir à l’assaut, entre onze heures et midi, pour s’emparer des positions anglaises. Devant l’attitude résolument offensive de ces bataillons qui marchent l’arme au bras comme s’ils défilaient en temps de paix, l’ennemi décontenancé résiste faiblement, son feu perd progressivement de son intensité. Finalement, emportant leurs canons, les unités anglaises abandonnent leurs retranchements et quittent toutes leurs positions en avant du col de Bentarte. Les bataillons français, dont les pertes ne sont que d’une centaine d’hommes, s’en emparent. Après que Soult ait pris personnellement les choses en mains, les positions anglaises sont donc finalement emportées. L’objectif du col de Bentarte, le mythique « col de Roncevaux », est atteint. Mais les colonnes d’attaque sont contraintes de s’arrêter en raison de la tombée d’un épais brouillard. Soult bivouaque face au mont Altobiscar, le 25 juillet au soir.
Quant aux trois divisions du Centre, après avoir traversé Saint-Jean-Pied-de-Port, aux ordres de Reille, elles atteignent Baïgorry, puis gagnent leurs positions autour de Banca et du mont Arrola où elles relèvent les bataillons de la division Conroux. Les trois divisions prennent alors, depuis le mont Arrola, le chemin de montagne par la crête dominant le Val Carlos, pour gagner le col de Lindus, dominé par la redoute du mont éponyme, vieille position espagnole de 1793. Leur action est accompagnée d’une attaque d’un bataillon de gardes nationaux, aux ordres du commandant Etcheverry, en direction des cols d’Ispéguy et de Berdaritz, tenus par une unité portugaise. Les trois divisions progressent en file indienne par un sentier de montagne très difficile, sur un terrain peu propice à l’attaque car le déploiement des unités y est impossible. La division Foy, en tête, empruntant un sentier de crête, dépasse le pic d’Adarza (1 250 m), puis atteint vers 13h30 le pic de Laurigna (1278 m). Ainsi, elle perd beaucoup de temps. Le corps de Reille ne dispose que de huit pièces de canon de montagne de 3 livres, portées à dos de mulets, avec leurs munitions, son artillerie suivant la colonne de Clauzel sur la Grande Route d’Espagne. L’assaut, en fin d’après-midi, du mont Lindus où les Anglais ont eu le temps de renforcer leurs positions, échoue d’autant que l’épais brouillard qui tombe, rend impossibles les manœuvres de débordement. Reille doit remettre l’attaque du mont Lindus au lendemain. Il s’installe pour la nuit sur le mont Achistoy (1230) voisin.
Dans la vallée du Baztan, les trois divisions de l’Aile Droite, placée aux ordres du général Drouet d’Erlon, débouchent également le 25 juillet matin d’Itxassou et d’Aïnhoa, en progressant de part et d’autre du mont Mondarrain. Elles s’emparent de leur premier objectif, le col d’Otsondo (ou de Maya) dans la journée du 25, mais elles ne parviennent pas à en déboucher, tandis que les Anglo-portugais se replient en ordre sur Elizondo.

24- La poursuite de l’offensive vers Pampelune (26-27 juillet 1813)

Au cours de la journée du 26 juillet, le corps de Clauzel, démarrant du mont Altobiscar poursuit sa progression en direction de Pampelune. Il atteint, le 26 au soir, la ligne de crête entre Zubiri et Viscarret, à hauteur du col d’Erro. Le 26 au matin, le corps de Reille s’empare des cols de Lindus et de Burdincurutcheta, de part et d’autre du mont Lindus. Il s’aperçoit que les Anglais, par crainte d’être débordés par la progression de Clauzel, ont évacué dans la nuit leurs positions du mont Lindus. Quant aux deux brigades portugaises qui tenaient des positions vers Les Aldudes, elles se sont retirées dès le 25 au soir. Reprenant sa progression en direction d’Espinal, au sud de Burguete, Reille se perd dans le brouillard, sans parvenir à être aidé par les guides basques dont il ne comprend pas la langue.
Quant au corps de Drouet d’Erlon, il ne parvient toujours pas à déboucher du col d’Otsondo pour poursuivre son attaque vers Elizondo et le col de Velate. Cependant, les divisions anglaises de la vallée du Baztan se replient en ordre d’Elizondo vers Pampelune.
Le maréchal Soult, apprenant le 26 au soir que Drouet d’Erlon n’a pas débouché du col d’Otsondo, décide de poursuivre le 27 matin vers Pampelune avec les seules six divisions des corps de Reille et de Clauzel. Le 27 juillet, Clauzel occupe la ville de Sorauren, située à hauteur des monts dominant Pampelune à 7 km à son Nord.

25- La bataille de Sorauren (28-30 juillet 1813)

Ayant appris l’offensive française le 25 juillet à Saint-Sébastien où une attaque de la place venait d’échouer, Wellington gagne au plus vite, le 26 juillet, Pampelune vers laquelle il transfère le gros de ses forces. Ainsi, le 27 juillet au soir, Soult et Wellington se retrouvent face à face devant Pampelune. L’armée française, réduite à deux corps d’armée, soit six divisions, se déploie sur les deux rives de la rivière Arga, face à Wellington qui, disposant de 30 000 hommes, veut arrêter les Français en avant de Pampelune. Soucieux d’attendre l’arrivée du corps de Drouet d’Erlon pour agir tous moyens réunis, Soult ne se décide à passer à l’attaque que le 28 après-midi. Les Français, fatigués et à jeun, essaient en vain de bousculer les Anglais galvanisés par la présence de Wellington, et de s’emparer des hauteurs de Sorauren, qui commandent les accès à Pampelune, dont la garnison française assiégée entend le canon de la bataille. Soult lance une attaque limitée de Clauzel qui, partant du village, réussit à s’emparer de la crête couronnée par la chapelle de Sorauren. Mais il ne parvient pas à s’y maintenir et il est repoussé par la contre-attaque anglaise, subissant de lourdes pertes dans des combats acharnés. Finalement, le 28 vers cinq heures de l’après-midi, Soult décide le repli sur ses positions de départ.
De son côté, Drouet d’Erlon, le 28 juillet dans la matinée, constatant le décrochage des divisions anglaises face à lui, franchit enfin le col de Velate. Le 28 au soir, il atteint Lanz et parvient le 29 à midi à Ostiz, quinze kilomètres au nord de Pampelune.
Le 29 juillet, sur le champ de bataille, les troupes françaises sont épuisées et à court de vivres, dont elles n’ont perçu aucune distribution depuis leur départ de Saint-Jean-Pied-de-Port. Conscient de l’échec de sa contre-offensive contre Pampelune et craignant l’arrivée des divisions alliées dont Drouet d’Erlon a permis le repli en ordre, Soult « malgré son indomptable énergie » ordonne la retraite. Voulant profiter du fait que Wellington a maintenant concentré ses forces devant Pampelune et qu’il est venu se placer à leur tête, Soult décide de reporter son effort sur la zone côtière, en basculant son dispositif contre Saint-Sébastien. Il décide de se replier avec le gros de ses divisions, à partir du lendemain 30 juillet, en coupant en ligne droite par la montagne à partir du col de Velate, pour rejoindre les positions tenues sur la Bidassoa par la division Villatte. Il confie au corps de Reille la mission de couvrir son repli. Le jour même, 29 juillet, il renvoie son artillerie, sa cavalerie et ses bagages vers Saint-Jean-de-Luz par Saint-Jean-Pied-de-Port en empruntant le seul itinéraire carrossable de la Grande Route d’Espagne.
De son côté, le 30 juillet, Wellington craint une attaque d’envergure de Soult, que le corps de Drouet d’Erlon vient de rejoindre. Il surveille agressivement les mouvements français. La bataille de Sorauren connaît ainsi une seconde phase le 30, entre l’armée de Wellington et le seul corps d’armée de Reille, chargé de la mission de couverture de l’armée française. Wellington s’empare du village de Sorauren et commence à déborder Reille qui doit, à son tour, ordonner la retraite. Certaines de ses unités commencent alors à se débander.
Ainsi donc, la contre-offensive de Soult échoue à la bataille de Sorauren devant Pampelune, face à Wellington, du 28 au 30 juillet 1813. Jomini, général de l’armée impériale, chef d’état-major du maréchal Ney et penseur militaire, écrit :
« Cette manœuvre était bonne, mais l’aspérité des montagnes, un peu de lenteur dans la marche et la défense opiniâtre de la droite anglaise sous le général Picton donnèrent le temps à Wellington d’accourir avec son corps de bataille. … . Dans le fait, son mouvement conçu sur d’excellents principes, aurait eu plus de succès si la route de Roncevaux eût été meilleure et si on eût mis plus d’activité, de précision et de vigueur dans les premières marches ».

26- Le repli après la défaite de Sorauren

Quand il entame, le 30 juillet, son repli en direction de Saint-Sébastien par le col de Velate, Soult veut exécuter une « marche manœuvre » et reprendre l’initiative en cours de retraite. Il marche avec le corps de Drouet d’Erlon qui forme l’avant-garde de l’armée. Il réussit initialement à progresser dans de bonnes conditions, grâce à des succès locaux contre les unités anglaises rencontrées. Mais après l’échec subi par Reille au cours de la seconde bataille de Sorauren, la retraite, qui s’effectue alors sous la pression anglaise, se poursuit dans la confusion. Les unités françaises se trouvant sans vivres ni munitions, perdent confiance et tout sens de la discipline. Le 1er août au soir, Soult réussit à regrouper à hauteur d’Etchalar les restes de son armée, que le corps de Reille réduit à deux divisions a rejoints.
En effet, la troisième division du corps de Reille, la division Foy s’est égarée. D’Eugui, elle s’est dirigée par erreur vers Esnazu par le col d’Urquiaga, col qu’elle tient jusqu’au 31 juillet au soir. Sur le même itinéraire se replient des traînards appartenant à des unités complétement débandées, que Foy dirige vers Saint-Jean-Pied-de-Port. Sans liaison avec Soult depuis le 30 juillet, Foy continue son repli par la vallée des Aldudes, sous la pression des Anglais.
La cité de Saint-Jean-Pied-de-Port, à partir du 30 juillet, assiste au repli des convois, de l’artillerie et des divisions de cavalerie de l’armée de Soult. Ensuite, elle voit arriver les blessés, les déserteurs et les isolés, dont ceux récupérés par la division Foy. Huit mille traînards, au total, se répandent dans les Pays de Baïgorry et de Cize, au cours de la première quinzaine d’août. La débandade qui annonce l’arrivée des forces ennemies, provoque une véritable panique, d’autant que les troupes battues recommencent à ravager le pays dans une véritable fièvre de vandalisme. Cette retraite semble encore plus désastreuse que celle qui suivit la défaite de Vitoria, un mois plus tôt.

27- Le dispositif en fin de retraite

Du 25 juillet au 2 août, Soult a perdu 12 443 hommes, dont 423 officiers. Son armée vaincue, mais moins profondément désorganisée qu’il ne peut paraître, réussit à reprendre ses anciennes positions défensives sur la frontière. Soult réorganise son dispositif depuis l’embouchure de la Bidassoa jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, avec son centre sur La Rhune.
Le 9 août, Foy reçoit l’ordre de gagner Saint-Jean-Pied-de-Port avec sa division, pour constituer un détachement de flanc-garde, placé aux ordres directs de Soult. Il doit y prendre le commandement de toutes les troupes qui s’y trouvent, et notamment des traînards, qui s’y sont réfugiées dans le désordre de la retraite. Il déploie sa division autour de Saint-Jean-Pied-de-Port, avec des unités à Orisson, Arnéguy, et Baïgorry. Sa mission est d’assurer la flanc-garde du dispositif, face aux possibilités de contournement par les cols de Larrau et du Somport.
Les Anglais, certes vainqueurs, ont, eux aussi, subi des pertes importantes. Hors d’état de poursuivre, Wellington déploie un dispositif de couverture afin d’achever le siège de Saint-Sébastien et le blocus de Pampelune. Ainsi, les deux armées, anglaises et françaises, se retrouvent dans le statu quo ante sur la Bidassoa et les cols pyrénéens.
Soult décide de reporter son effort sur le secteur côtier et d’attaquer Saint-Sébastien pour en faire lever le siège. Le 29 août15, il repasse la Bidassoa pour attaquer les hauteurs de San Marcial16 qui dominent le gué de Biriatou et soulager la garnison de Saint-Sébastien toujours assiégée. Malgré quelques succès locaux des Français, la contre-attaque échoue le 1er septembre. Le 9 septembre, la garnison de Saint-Sébastien capitule après trois mois de siège.
Fin septembre, Foy réussit à rejeter les avant-postes ennemis de la vallée de Baïgorry dans celle du Baztan. Cependant, en face de lui, les anglo-portugais tiennent les redoutes de l’Alto Biscar, du Lindus et d’Ispéguy. Début octobre, par un mètre de neige, une brigade anglaise attaque les avant-postes de Foy à la fonderie de Banca. Le 31 octobre enfin, le général Cassan capitule à Pampelune. Le colonel Lameth à Santona ne capitule que cinq mois plus tard, le 21 mars 1814.
Sur le front européen, après la désastreuse défaite de Leipzig, la « Bataille des Nations », du 16 au 19 octobre 1813, Napoléon doit battre en retraite. La campagne d’Allemagne se termine en fin d’année 1813 par la perte totale du territoire allemand à l’exception, de la rive gauche du Rhin et de sept places fortes, dont Hambourg où Davout s’est enfermé. Fin décembre 2013 les alliés de la 6ème coalition franchissent le Rhin.

CONCLUSION

Revenant à Saint-Jean-Pied-de-Port en début d’octobre 1813, le maréchal Soult constata que la citadelle ne barrait qu’insuffisamment la Grande Route d’Espagne, le débouché des vallées de la Haute Nive et les sentiers descendant des ports de Cize. En conséquence, il conçut le projet d’en faire le centre d’un vaste camp retranché qui contrôlerait les itinéraires conduisant d’Espagne à Saint-Jean-Pied-de-Port, puis poursuivant vers Bayonne et Pau. Ce camp retranché, devait englober un plus large périmètre autour de la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port et comprendre un nombre plus important d’ouvrages que celui aménagé en 1793, sous la Convention. La construction en fut immédiatement entreprise.
Pour Soult, commença alors la manœuvre de défense mobile en profondeur, dont la place forte de Bayonne devait être le pivot, avant d’être à son tour assiégée, qui se termina, en avril 1814, par la bataille de Toulouse. Pendant cette campagne, les pays de Cize et de Baïgorry furent dévastés par la division espagnole, placée aux ordres du chef de bande Espoz y Mina, devenu général, qui investit finalement la place de Saint-Jean-Pied-de-Port à partir de février 1814. Les pays de Cize et Baïgorry connurent de nouveaux combats à la mi-janvier 1814, lors de la contre-attaque menée par le général Harispe jusqu’au château d’Etchaux, dont son épouse, fille du dernier vicomte, était l’héritière. La place de Saint-Jean-Pied-de-Port comme celle de Bayonne ne capitulèrent pas devant l’ennemi. Elles se rendirent au roi de France, une fois l’armistice signé, fin avril 1814.
Ces combats, qui se déroulèrent il y a deux siècles, furent les derniers épisodes, mais aussi les plus tragiques, d’une histoire millénaire riche en conflits le long de la Grande Route d’Espagne, anciennement Grand Chemin d’Espagne par Orisson et Roncevaux, l’itinéraire majeur de franchissement des monts Pyrénées. Ces conflits avaient crû en intensité lorsque la frontière entre les royaumes de France et d’Espagne s’était établie sur les monts Pyrénées à la suite du repli, en 1530, de Charles Quint de la province nord-pyrénéenne du royaume de Navarre que Ferdinand d’Aragon avait usurpé quinze ans plus tôt. Ils attinrent leur paroxysme lors des guerres de la Révolution de 1793 à 1795, puis surtout durant la contre-offensive de Soult en juillet 1813, ultime bataille de la Guerre d’Espagne du Premier Empire.
Ces combats qui marquèrent profondément les esprits au XIXème siècle, sont aujourd’hui tombés dans l’oubli, dans une Europe fort heureusement pacifiée. Or, ils mériteraient d’être remémorés afin que les enjeux et les risques du monde d’aujourd’hui soient replacés dans leur perspective historique et, ainsi, mieux perçus. Il appartient aujourd’hui aux habitants des Pays de Cize et de Baïgorry, de conserver et de transmettre la mémoire des conflits séculaires, notamment des combats paroxystiques de la fin du Premier Empire, survenus vingt ans après ceux également tragiques de la Révolution Française, dont nos aïeux furent les témoins, les participants ou les victimes. Cette mémoire renouvelée permettrait à leurs descendants de mieux apprécier la valeur de la paix des armes établie sur la frontière pyrénéenne depuis deux siècles maintenant, alors que l’Europe, dans son ensemble, n’en jouit que depuis cinquante ans, à peine.

BIBLIOGRAPHIE

1) Histoire Militaire de la France par André Corvisier, Tome 2 : De 1715 à 1871 (PUF, Paris 1992)
2) La Campagne d’Espagne de Napoléon (1807-1814) par Jean Tranié et Juan Carlos Carmigniani, Editions Pygmalion, Paris 1998
3) L’évacuation de l’Espagne et l’invasion dans le Midi, juin 1813-avril 1814 », par le Capitaine Vidal de La Blache, Paris 1914, Ed. Berger-Levrault (Trois Tomes)
4) L’invasion du Pays Basque Français en 1813-1814, par Pierre Hourmat, Bulletins du Pays Basque N°35 et N°36, 1967
5) Histoire Militaire de Bayonne par le Général Jean Ansoborlo, Revue d’histoire de Bayonne, du Pays Basque et du Bas Adour N° 150, Année 1995
6) Batailles de Napoléon dans le Sud-Ouest, par Pierre Migliorini et Jean Quatrevieux, Ed. Atlantica, Anglet 2002
7) Saint-Jean-Pied-De-Port et les Vallées de la Nive, Conférence faite aux officiers du 3° Bataillon du 142° Territorial, par le Lt-Colonel Strasser, Bayonne 1890, BNF, Site de Tolbiac
8) La Dernière Bataille de Château Pignon en 1813, dans « La Voie Romaine de Bordeaux à Astorga dans sa Traversée des Pyrénées, par L. Colas, Bayonne 1913
9) Les Redoutes de la Révolution et du 1er Empire au Pays Basque, par le Général Francis Gaudeul (Bulletin SSLA de Bayonne N° 144 (Année 1988), Pages 213 à 230)


1Soult, l’un des quatorze Maréchaux d’Empire de la grande promotion de mai 1804, a combattu au sein de la Grande Armée jusqu’en 1807, puis à l’armée d’Espagne de 1808 à janvier 1813, date à laquelle il rejoint la Grande Armée en Saxe. Le 21 mai 1813, il contribue à la victoire de Bautzen à la tête du 4ème corps, victoire qui confirme celle de Lützen obtenue, le 2 mai, trois semaines plus tôt.
2Après la bataille, le parc d’artillerie de 120 pièces de tous calibres, 400 caissons, 1 500 voitures de bagages, dont les équipages du roi Joseph, ont été abandonnés dans la précipitation du repli.
3L’occupation par les Français de Santona prive les Anglais d’un port bien placé entre La Corogne et Pasajes, qui en outre sert d’abri à des corsaires français. Santona est défendu par deux forts.
4En juin 1812, de Dresde, où il prépare la logistique de sa campagne de Russie, Napoléon se soucie de la guerre d’Espagne. Il établit le château de Marracq en qualité de « Quartier Général Impérial » et il ordonne au général Clark, ministre de la guerre, de renforcer la réserve du général Lhuillier à Bayonne des 3ème et 195ème régiments d’infanterie. De Koenigsberg, le 13 juin, il ordonne son renforcement d’une demi-brigade de Cherbourg. Ainsi il calcule disposer à Bayonne en plus des cinq ou six bataillons de la réserve de Bayonne, de deux cohortes et quatre demi-brigades, soit un total de 22 à 24 bataillons, engerbant 15 à 18 000 hommes capables d’intervenir dans le Nord de l’Espagne.
5Par ailleurs, dans la partie orientale de la péninsule ibérique, l’armée du maréchal Suchet poursuit ses opérations vers Valence, où, avec la valeur de deux divisions, dont la division commandée par le général Harispe, il tient la ligne du Xucar face à deux armées espagnoles. Depuis que Clauzel commande les troupes de pacification de la Navarre, Suchet n’a laissé en Aragon que la Brigade Pâris, brigade appartenant à la division Harispe. Quand il apprend à son tour le désastre de Vitoria, Suchet décide d’évacuer Valence et de se replier sur l’Ebre.
6Sur cette édition figurent à la fois les échelles en toises et en mètres.
7La dénomination de « col de Roncevaux » est un terme générique et non un terme géographique, qui désigna successivement au cours de l’histoire, celui des trois cols conduisant à l’abbaye de Roncevaux : dans l’antiquité, le col d’Arnostéguy, au 18ème siècle le col de Bentarte, aujourd’hui le col d’Ibaneta,
8Alors, parfois encore dénommé « Grand chemin d’Espagne par Orisson », il est le chemin actuel des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle.
9C’est aujourd’hui le tracé de la route goudronnée de Saint-Jean-Pied-de-Port à Pampelune,
10Le Bas Languedoc et la région de Toulouse sont alors réputés pour leur richesse agricole, cultures céréalières et élevage, ainsi que pour l’importance de leurs productions textiles.
11Le port de Pasajes, ou Pasaia en langue basque, situé à l’embouchure du rio Oyartzun en face de Saint Sébastien, était le plus grand port de la province de Guipuzcoa jusqu’à l’époque contemporaine ; proche de Saint Sébastien, il est remarquablement abrité car situé au fond d’une baie ne communiquant avec la mer que par un étroit goulet.
12En ordonnant la reprise de Pancorbo, Napoléon entend conquérir une tête de pont au Sud de l’Ebre, dans le but de poursuivre en direction de Burgos et de reprendre cette ville stratégique.
13Le château d’Olhonce, bâtisse carrée avec quatre tours d’angle, encore debout vers 1950, était la propriété du marquis de Logras. Ce nom est, celui d’un jurat de Saint-Jean-Pied-de-Port, cité dès 1350 en Navarre. Le seigneur de Logras était, depuis le 17ème siècle, Conseiller au Parlement de Navarre, siégeant à Pau. Fait marquis d’Olhonce au XVIIIème siècle, il avait été désigné, lors de la convocation en 1789 des Etats Généraux, comme représentant de la noblesse de Navarre, dans la « députation vers le roi » des Etats de Navarre, chargée de recevoir le serment promis le 31 janvier 1776 par Louis XVI de respecter les Fors de Navarre.
14A Saint-Jean-Pied-de-Port, existaient alors six artisans boulangers ; quant aux fours de la citadelle, ils permettaient de cuire trois mille rations de pain par jour.
15Napoléon bat l’armée alliée des Autrichiens, Prussiens et Russes, commandée par le prince de Schwartzenberg, à Dresde le 27 août.
16Eminence d’une altitude de 258 mètres, au Sud de la Bidassoa, plein Est de Biriatou qui commande le gué et domine la ville d’Irun ; un ermitage à une altitude de 225 mètres occupe la crête militaire en dessous du sommet.

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