2005. Le village de Zaro
Le village de Zaro,
exemple de patrimoine géographique
Article paru dans la bulletin des Amis de la vieille Navarre, année 2005
Le
patrimoine n’est pas qu’historique, architectural, culturel ou
linguistique. Il est également géographique. Le plan cadastral
originel de la commune de Zaro en offre un exemple. Il s’agit du
« Plan terminé sur le terrain le 4 mai 1841, sous
l’administration de Mr le Vicomte N. Duchatel, préfet, de Mr
Irigoyen, maire, sous la direction de Mr Cassan, directeur des
contributions et Mr Larrière, géomètre en chef, par Mr Perret,
géomètre du cadastre ». Il est dénommé ‘Cadastre
Napoléon’, car il a été exécuté à la suite d’une
décision de l’Empereur. Il comprend, comme le plan cadastral
actuel qui en a conservé la structure et les échelles:
-
« le tableau d’assemblage du plan cadastral parcellaire de
la commune de ZARO, canton de St Jean Pied de Port, arrondissement de
Mauléon, département des Basses Pyrénées, à l’échelle d’un
à 10.000 »,
-
« la section A, dite du village en une feuille, à
l’échelle d’un à 2.000 », qui inclut le bourg ainsi
que les parties Nord et Nord-est de la commune,
-
« la section B, dite d’Ilharréguy et d’Olhonce, à
l’échelle d’un à 2.000 », en deux feuilles, dont la
première inclut la partie Sud de la commune et la seconde la partie
Ouest jusqu’à « la rivière de Béhérobie »
et, au-delà de celle-ci, jusqu’au « château d’Olhonce ».
Ce
plan cadastral présente la structure du village au milieu du XIXe
siècle, produit d’une lente évolution continue depuis sa
fondation.
Extrait du 'Cadastre Napoléon' |
La
Commune de ZARO au milieu du XIXe siècle,
topologie, situation et forme
En
1841, la commune de Zaro est déjà constituée dans ses limites
actuelles. Son territoire revêt la forme d’un triangle curviligne
de 3000 mètres de côté environ. Il s’étend de part et d’autre
de la ligne de crête orientée Nord-Sud qui, descendant du massif de
l’Handiamendy, se termine à Saint-Jean-Pied-de-Port par
l’éperon rocheux sur lequel est bâtie la citadelle. La commune de
Zaro couvre les versants Est et Ouest de cette ligne de crête. Son
versant Ouest descend en pente raide vers la Nive, la « rivière
de Béhérobie » qu’elle domine, tandis que son versant
Est appartient au bassin du Laurhibar.
Le
plan cadastral de Zaro en 1841, fait apparaître que l’habitat de
la commune comprenait alors:
-
d’une part, un village regroupant l’église et une vingtaine de
fermes,
-
d’autre part, une quinzaine de fermes, ou bâtiments isolés,
répartis sur l’ensemble du territoire communal.
Le
village est d’abord caractérisé par son site. Il est établi à
une altitude de 246 mètres à proximité d’un ensellement de la
ligne de crêtes entre le mont Cherrapo (299 m) et le mont Harispuru
(282 m). Il s’étend, légèrement en contrebas, sur un balcon
naturel donnant de larges vues sur les collines qui s’étendent
depuis Saint-Jean-le-Vieux et Aincille jusqu’au pied de la chaîne
pyrénéenne. Plusieurs auteurs voient le tracé de l’antique voie
romaine conduisant d’Imus Pyrenaeus à Summus Pyrenaeus
dans cette zone de collines, jalonnée par les châteaux d’Irumberry,
d’Urrutia et d’Harietta.
L’originalité
du village réside dans sa forme qui mérite toute notre attention.
Les maisons sont disposées de part et d’autre d’un chemin en
forme d’anneau elliptique, de 200 mètres de grand axe orienté
Nord-Sud et de 100 mètres de petit axe. L’église, entourée du
cimetière, est bâtie en bordure et à l’intérieur de cet anneau.
Le centre de l’anneau est vide de bâtiments. Ainsi, le village
présente une forme ovale atypique, différente des ‘villages
rue’, des ‘villages carrefour’ ou des ‘villages
en tas’ que l’on trouve communément en Pays de Cize.
Cette
position sur un balcon donnant des vues lointaines, notamment sur
l’itinéraire probable de la voie romaine, et cette forme favorable
à la défense suggèrent une origine ou une vocation militaire du
village de Zaro.
Sur
ce plan cadastral apparaissent quelques bâtiments remarquables qui
méritent une mention particulière :
-
le château
d’Olhonce1,
construit sur le modèle des châteaux forts médiévaux, de plan
carré avec une tour ronde à chacun de ses angles. Malheureusement
détruit dans les années 1950, il se présente comme une ‘tête de
pont’ du village de Zaro sur la rive ouest de la Nive. Son rôle
militaire à l’époque médiévale apparaît assez clairement, dès
lors qu’il contrôlait le chemin longeant la Nive, menant de
Saint-Jean-Pied-de-Port à Saint-Michel ;
-
deux redoutes, ouvrages avancés de la citadelle de
Saint-Jean-Pied-de-Port, la redoute de Picoçury de forme
pentagonale sur la colline de Cherrapo au Nord-ouest du bourg
et la redoute de Harispuru en forme de demi-lune sur la
colline du même nom au Sud-ouest du bourg. Ces deux ouvrages
faisaient partie du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port établi
en 1793 et reconstitué en 1813. Eclairant et couvrant la citadelle
face à la Nive de Béhérobie, ils en empêchaient le contournement
par Saint-Michel et Zaro.
Lors
des guerres de la Révolution et de l’Empire, le château d’Olhonce
contrôlait en outre le chemin reliant ces ouvrages aux redoutes
construites au-dessus de la ferme d’Antonenea, en limite de
la commune de Saint-Jean-Pied-de-Port, sur le « Grand Chemin
d’Espagne par Orisson ». Ce chemin de rocade franchissait
la Nive à proximité du château sur un pont en bois, aujourd’hui
remplacé par une passerelle en béton.
La
vocation militaire du village de Zaro, suggérée par une situation
et une topologie favorables à la défense, se trouve ainsi
confirmée, tant pour la période médiévale par la présence du
château d’Olhonce, que pour la période de la Révolution
et de l’Empire par l’existence de ces deux redoutes de Picoçury
et de Harispuru.
Les
voies de communication du village de Zaro au milieu du XIXe
siècle, essai de typologie
Le
territoire de la commune de Zaro est, au milieu du XIXe siècle,
traversé par un réseau dense de chemins. Il mérite une attention
particulière car il est l’aboutissement d’une évolution longue
et continue tout au long de l’histoire du village depuis ses
origines, à travers le Moyen-âge et les Temps modernes. Le chemin
en forme d’anneau ovale, autour duquel se distribuent l’église
et les maisons du village, est le centre d’une toile d’araignée
très dense d’itinéraires rayonnants qui comprennent :
En
premier lieu, les chemins de liaison entre le village de Zaro et les
villages limitrophes :
-
en direction du Nord-est, le chemin de Zaro à Saint-Jean-Pied-de-Port qui passe le long de la crête au pied de la redoute de Picoçury,
-
en direction de l’Ouest, le chemin de Zaro à Aincille,
-
en direction du Sud-est, le chemin de Zaro à Saint-Michel, qui passe en contrebas de la redoute d’Harispuru.
En
deuxième lieu, les chemins reliant directement chacune des fermes
isolées au village et à son église:
-
le chemin d’Astabide qui se divise en de nombreuses branches vers les fermes de la zone Nord-est, comme Ourtiague et Ipharce,
-
le chemin d’Harcarreçacobidia qui se divise en plusieurs branches et sous branches vers les fermes de la zone Sud-est, comme Elguia ; l’une de ces sous branches, le « chemin de la montagne », permet de rejoindre des zones d’estive,
-
le chemin de Putchulu qui se divise également en plusieurs branches vers les fermes de la zone Ouest, comme Mahastecoborda, et le pont du château d’Olhonce, qui est ainsi directement relié au village.
Ce
réseau de chemins reliant directement chacune des fermes isolées au
village, donc à l’église montre que le plan de Zaro confirme la
tradition du Hilbide, ou Elizbide, le chemin
particulier assurant la liaison directe entre chaque Etche et
sa tombe située dans l’église (jar leku) ou dans le
cimetière adjacent.
En
troisième lieu, les chemins reliant les fermes isolées aux villages
avoisinants et aux moulins auxquels les habitants de Zaro apportaient
leurs grains : moulin de la Magdelaine sur la commune de
Saint-Jean-le-Vieux et de Matcharta à Saint-Michel, auquel
donnait accès le pont du moulin de Matcharta sur la Nive en
amont du pont du château d’Olhonce, en limite de la commune de
Saint-Michel. Les fermes d’Ipharce, de Bordagorry et
d’Ourtiague sont ainsi le centre d’un ensemble de chemins
en étoile les reliant directement, en plus de Zaro, à
Saint-Jean-Pied-de-Port, Taillapalde, Aincille, La Magdelaine,
Saint-Michel ou Irrumberry.
Par
ailleurs, le territoire de la commune est traversé par plusieurs
chemins qui relient directement entre eux les villages limitrophes,
en évitant le village de Zaro:
-
le chemin de Saint-Jean-Pied-de-Port à Saint-Michel, doublé le long de la Nive de Béhérobie sur la rive Est par un ‘chemin de service’ à partir du pont d’Olhonce,
-
le chemin d’Aincille à Saint-Jean-Pied-de-Port passant par la ferme d’Ipharce,
-
le chemin d’Aincille à Saint-Michel passant par la ferme de Bordagorry.
Enfin,
deux chemins remarquables méritent une mention particulière:
-
le chemin de la citadelle qui part du chemin de Zaro à Saint-Jean-Pied-de-Port à hauteur de la limite de la commune de Zaro, contourne le ‘trou de Pochinborda’ et emprunte la ligne de crête pour rejoindre directement la citadelle par le mouvement de terrain de Mendiburru. Ceci fournit une nouvelle confirmation du rôle militaire du village de Zaro,
-
le chemin de la Magdelaine à Bordagorry qui se poursuit jusqu’à Saint-Michel-Pied-de-Port selon un tracé qui serait celui de l’antique voie romaine déjà citée conduisant de Saint-Jean-le-Vieux aux ports de Cize, dont le col de Roncevaux, par la Magdelaine et les communes de Zaro et Saint-Michel.
Ce
très riche et très dense réseau d’itinéraires, assurait au
milieu de XIXe siècle des liaisons directes entre
villages, entre fermes et entre fermes et villages. Il est
caractéristique de l’époque où la marche à pied était le moyen
normal de déplacement, avec le souci d’aller au plus court d’un
point à un autre.
Evolution
et transformations du village de Zaro au XXe siècle
La
topologie de la commune de Zaro et le réseau d’itinéraires
desservant le village, tels que décrits par le plan cadastral établi
en 1841, restèrent inchangés pendant encore cent ans. Ce n’est
qu’après 1930 qu’ils commencèrent à subir des modifications
lors de la construction d’un réseau d’itinéraires asphaltés.
Actuellement
le village de Zaro est desservi par trois routes goudronnées qui le
relient respectivement à Saint-Jean-Pied-de-Port, Aincille et
Saint-Michel. Celles conduisant respectivement à Aincille et à
Saint-Michel qui ont été réalisées par agrandissement des chemins
préexistant, partent du chemin périphérique du village dont elles
ne modifient pas la nature. En revanche, la route goudronnée de Zaro
à Saint-Jean-Pied-de-Port a été construite sur un tracé
entièrement nouveau qui oblitère l’ancien. En outre et surtout,
dans le village de Zaro, elle coupe en diagonale l’ellipse formée
par l’ancien chemin en anneau de forme elliptique qui, bien
qu’encore existant et usité, s’en trouve ainsi occulté.
L’établissement
de ces nouveaux axes routiers a profondément modifié les habitudes
de circulation. Auparavant, le paysan privilégiait l’usage de la
ligne droite pour aller à pied à l’église, au moulin, au marché
ou chez ses voisins. A partir de la construction des routes
goudronnées, soucieux de rapidité, il a cherché à rejoindre au
plus vite le réseau asphalté. A partir des années 1950, la
généralisation de l’automobile et la motorisation de
l’agriculture ont fortement accéléré ces transformations. Le
nombre des itinéraires utilisés s’en trouvant réduit, plusieurs
chemins sont tombés en désuétude. Le remembrement a finalement
provoqué la disparition de certains d’entre eux qui sont cependant
restés inscrits au cadastre de la commune.
Par
ailleurs, à partir des années 1970, la disparition des entreprises
agricoles les plus petites et la construction de résidences,
principales ou secondaires, sur la commune tendent à modifier son
aspect. Les nombreuses constructions nouvelles établies le long de
la route menant à Saint-Jean-Pied-de-Port renforcent l’importance
de cet axe nouveau et tendent à masquer la structure originelle du
village autour du chemin de forme ovale qui l’entoure. Il prend une
apparence de ‘village rue’.
Ainsi,
au XXe siècle, la création des routes goudronnées, la
généralisation de l’automobile et du tracteur et la construction
d’habitations neuves ont profondément modifié la géographie
humaine du village de Zaro. Son patrimoine géographique spécifique
et original s’en trouve ainsi occulté.
Conclusion
Le
plan cadastral dit ‘cadastre Napoléon’ de la commune de
Zaro, établi en 1841, révèle la topologie initiale du village et
la structure originelle du réseau de chemins qui le desservait. Ces
caractéristiques spécifiques, encore présentes bien qu’occultées
par les conséquences de la révolution industrielle du XXe
siècle constituent son patrimoine géographique. Il est
l’aboutissement d’une évolution continue au cours d’une
histoire séculaire remontant aux origines du village. Etabli sur un
balcon dominant la zone des collines pré pyrénéennes que la voie
romaine aurait empruntée, ayant adopté une forme ovale propice à
sa défense, le village de Zaro témoigne d’une origine ou d’une
vocation militaire. Centre d’un dense réseau de voies de
communications, il présente un exemple caractéristique des
traditions ancestrales et des modes de circulation à l’époque
préindustrielle. Cependant, il connaît, depuis les années 1930,
une transformation profonde qui menace de disparition ce patrimoine
humain.
Or,
pour leur grande majorité, les fermes et les bâtiments répertoriés
dans le cadastre de 1841 existent encore. La forme atypique du
village et son réseau d’itinéraires spécifique subsistent. Ils
sont masqués, mais encore visibles. Il serait envisageable de
conserver ce patrimoine géographique authentique et de le préserver
de nouvelles altérations en le mettant en valeur. Il s’agirait de
sauvegarder le chemin de ceinture constituant la structure ovale du
village. Les itinéraires anciens pourraient être réhabilités pour
constituer un réseau pédestre, équestre ou cyclable. Cette
conservation du patrimoine géographique pourrait participer à la
préservation de la richesse linguistique, en sauvegardant les noms
originels des chemins, des ruisseaux et des lieux-dits portés sur le
cadastre ‘Napoléon’.
Le
patrimoine géographique de toutes les communes du Pays de Cize peut
nous être de même révélé par le cadastre ‘Napoléon’.
Cette source documentaire indiscutable et irremplaçable mérite
d’être précieusement conservée.
Général
Gérard Folio
1
Ce château appartenait à la famille de Logras, élevée au rang de
marquis d’Olhonce au XVIIIe siècle, dont un descendant
a été désigné par les « Etats de Navarre » comme
député de la noblesse aux Etats Généraux convoqués par Louis
XVI en 1789.
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