2008. L'ouverture d'une seconde ligne de communication de l'armée d'Espagne par les ports de Cize (1807-1808)

INTRODUCTION

A la suite de son inspection de la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port, Vauban écrivait le 6 décembre 1685 : « Il suffit de dire qu’elle est à l’entrée du passage de Roncevaux pour juger de sa conséquence ».
La campagne menée par Napoléon en Espagne1 à partir de 1807 confirma cette affirmation. La citadelle baroque, construite sous Louis XIII pour remplacer le château fort des rois de Navarre comme gardienne des « Ports de Cize », joua alors un rôle important, qui m’a semblé tombé dans l’oubli, alors que, paradoxalement, le passage de l’armée impériale reste inscrit dans la mémoire collective bas-navarraise.
Je me propose de vous raconter les étapes de l’ouverture d’une ligne de communication entre Bayonne et Madrid par les Ports de Cize, d’abord lors du déclenchement des opérations sur les Pyrénées fin 1807, puis lors de l’intervention personnelle de Napoléon fin 1808. En préambule, je rappellerai brièvement le cadre géographique et le contexte historico-politique de l’engagement français en Espagne.

CADRE GEOGRAPHIQUE

Limitant notre propos à la géographie humaine, il convient de souligner que le tracé des routes était au début du XIXe siècle nettement différent de ce qu’il est aujourd’hui. Depuis l’antiquité, et jusqu’à la révolution industrielle, les itinéraires, chemins et grands chemins, restaient déterminés par les points de franchissement des obstacles naturels, cols et gués. Ils évitaient les cours inférieurs des rivières en raison de leurs débits plus importants et des zones marécageuses insalubres. Ils contournaient les vallées encaissées, comme les zones de dense végétation ou de forêts, propices au banditisme.
Pour comprendre les opérations menées en 1807-08, il faut nous référer à la géographie humaine de l’époque. Elle nous est révélée par la « Carte de France » de Cassini, alors de publication toute récente (1744-1793), première cartographie systématique et géométriquement exacte de la France. Son échelle était de 1 ligne pour 100 toises, soit une échelle métrique de 1/86 400, proche de l’échelle actuelle du 1/100 000. Progrès considérable pour les opérations militaires, elle restait de lecture, donc d’exploitation, très difficile principalement en région montagneuse. Deux feuilles couvraient l’extrémité Sud-ouest de la France et la frontière franco-espagnole de l’embouchure de la Bidassoa à la Forest d’Iraty. Au-delà de la frontière, ces cartes étaient entièrement vierges. Elles ne permettaient donc pas de connaître la géographie de l’Espagne, notamment ses routes et chemins, lorsque l’armée impériale s’engagea au-delà des Pyrénées.
Les cartes de Cassini dont nous disposons datent de la réédition de 1815, sur laquelle figuraient à la fois les échelles en toises et en mètres. Elles montrent qu’alors la frontière n’était franchissable qu’au Pas de Béhobie et par les Ports de Cize. Ainsi deux itinéraires majeurs partaient de Bayonne vers l’Espagne :
  • Le premier entre Nive et Océan, appelé « Chemin de Fontarabie », puis « Route de Paris à Madrid », quittait Bayonne par la Porte d’Espagne ; il poursuivait par Bidart, Saint-Jean-de-Luz et Urrugne, jusqu’à Irun et Oyarzun ; la totalité de ce parcours était pavée avec quelques rectifications récentes de tracé ; après avoir franchi la rivière Bidassoa au Pas de Béhobie par un pont en bois, de construction très récente, il poursuivait vers Madrid par Tolosa, Vitoria et Burgos.
  • Le second entre Nive et Adour, appelé « Chemin de Saint-Jean-Pied-de-Port », quittait Bayonne par la Porte de Mousserole ; il gagnait Saint-Jean-Pied-de-Port par un chemin de crête, en totalité pavé, passant par Saint-Pierre d’Irube, Mendionde, Helette, Irissary et Lacarre. C’est le tracé de l’actuelle D.22. Après Saint-Jean-Pied-de-Port, il continuait, avec le nom de « Grande route d’Espagne », en direction de Pampelune, en suivant la ligne de crêtes entre les Nives de Béhérobie et d’Arnéguy, par la chapelle et le cabaret d’Orisson, le « Château Pignon », Ibagneta, l’abbaye de Roncevaux et Burguette. Il franchissait les Pyrénées aux Ports de Cize, précisément au col de Bentarte. C’est le chemin actuel des pèlerins de Saint Jacques.

Par ailleurs, la carte de Cassini montre qu’en amont de Saint-Jean-Pied-de-Port, la « Route de Bayonne » venant d’Irissary, était rejointe à Lacarre par la « Route de Pau », appelée aussi « Chemin de Navarreinx », en provenance de ces deux cités. Le territoire français était sous l’Empire divisé en vingt divisions militaires, dont dans la zone frontière des Pyrénées, la 10e à Toulouse2 et la 11e à Bordeaux, capables de fournir aux armées la subsistance à partir de leurs ressources agricoles et les équipements à partir de leurs arsenaux, dont celui de Bayonne profondément rénové en 1794-95. Saint-Jean-Pied-de-Port se trouvait ainsi au débouché de deux itinéraires majeurs en provenance de chacune de ces deux divisions militaires.
D’autres documents des XVII° et XVIII° siècles, plans, cartes et surtout « Mémoires », établis par les ingénieurs-géographes3 du Roy permettent de compléter les données des cartes de Cassini. Parmi ceux-ci, les rapports de Canut et Touros, préparatoires à l’inspection en août 1753 du marquis de Paulmy4, sont d’un intérêt particulier. Ils précisent que la « Grande route d’Espagne » par Saint-Jean-Pied-de-Port et les Ports de Cize, qui avait été, depuis l’antiquité, la voie transpyrénéenne majeure, restait alors le seul itinéraire empruntable par les voitures, les charrois et l’artillerie pour rejoindre l’Espagne, franchissant la Nive de Béhérobie par des ponts de pierre, au moins depuis 1650. Quant à la « Route de Paris à Madrid » par le Pas de Béhobie, elle était alors un itinéraire tout récemment valorisé par la construction, entre 1795 et 1801, d’un pont en bois à 50 mètres en amont de l’Isle de la Conférence, à l’endroit où les documents antérieurs indiquaient un gué. Cet itinéraire, plus rapide pour les courriers, n’était utilisable que tant que leur sécurité n’était pas menacée. Il restait moins carrossable, surtout l’hiver, que celui empruntant les Ports de Cize. Tels étaient, sous l’Empire, les « Grands chemins », pavés ou non pavés, sur lesquels l’infanterie se déplaçait à pied avec deux caissons par bataillon, la cavalerie faisait mouvement partie à cheval, partie à pied, l’artillerie était tractée par des chevaux ou des bœufs.
Au cours des siècles, les échanges de fiancés royaux s’étaient effectués aussi bien aux Ports de Cize qu’au Pas de Béhobie, où avaient été construits pour ces occasions des « maisons de la conférence », la dernière en 1739 au col de Bentarte pour Madame, fille de Louis XV, mariée au fils de Philippe V.
Les mémoires des géographes et les statistiques départementales indiquent que les ressources vivrières et fourragères des provinces frontalières, comme du territoire espagnol, étaient insuffisantes à la subsistance d’armées en campagne. Ils concluent à la nécessité d’emporter de France céréales et fourrages et de créer, dans les places frontières de Saint-Jean-Pied-de-Port, Navarrenx et Bayonne, des magasins capables d’assurer le ravitaillement d’une armée engagée au-delà des Pyrénées.

La géographie humaine était donc clairement peu favorable à un engagement militaire d’envergure dans la péninsule ibérique. Napoléon et ses généraux n’avaient certainement pas conscience des réalités géographiques de la péninsule ibérique et des zones françaises frontalières. Ils méconnaissaient donc les difficultés, tant de mouvement et déplacement, que de subsistance et soutien logistique, que rencontrerait une armée engagée en Espagne à partir de la France.


CONTEXTE HISTORICO - POLITIQUE

La paix, conclue en 1761 entre les Bourbon de France et les Bourbon d’Espagne par le Pacte de famille, avait été rompue sous la Révolution. Sortie de la première coalition par le traité de Bâle du 22 juillet 1795, l’Espagne était restée depuis une alliée fidèle de la France. Sa flotte, commandée par le Basque Churruca avait été pratiquement détruite en même temps que la flotte française, lors de la défaite navale de Trafalgar, au large de Cadix, le 21 octobre 1805.
L’alliance des empereurs français et russe scellée par les traités de Tilsit des 7 et 9 juillet 1807, Napoléon se trouvait à l’apogée de sa puissance sur le continent. Il concentra alors ses efforts contre l’Angleterre, qu’il décida d’affaiblir en renforçant le blocus continental, institué par le décret de Berlin du 21 novembre 1806.
Or, le Portugal était l’allié de l’Angleterre, quasiment son protectorat, depuis le traité de Methuen de 1703. La paix établie à Tilsit, Napoléon rentra en France, après avoir confié le commandement de la Grande armée à Davout resté à Varsovie. Sur le chemin du retour, de Dresde le 19 juillet, il lança à la dynastie portugaise des Bragance un ultimatum, pour lequel il donna à Talleyrand ses instructions :
« Monsieur le prince de Bénévent, il faut s’occuper sans retard de faire fermer tous les ports du Portugal à l’Angleterre ».

Il décida ensuite de s’appuyer sur l’alliance espagnole pour se retourner contre le Portugal et le contraindre à appliquer le blocus continental. Réciproquement, l’alliance française était indispensable à l’Espagne face à l’Angleterre qui occupait Gibraltar depuis 1713. Napoléon signa, le 27 octobre 1807, avec le roi d’Espagne Charles IV, le traité secret de Fontainebleau prévoyant l’occupation conjointe et le partage du Portugal.



DECLENCHEMENT des OPERATIONS sur les PYRENEES (Août 1807 - Avril 1808)

D’août à décembre 1807, Napoléon donna plusieurs séries d’ordres afin de mettre sur pied successivement, à partir des réserves disponibles, trois corps d’armée qu’il engagea, le premier au Portugal, les deux suivants en Espagne. Ainsi, lorsqu’il signa le 27 octobre la Convention de Fontainebleau avec l’Espagne, l’Empereur disposait de l’instrument militaire nécessaire à la réalisation de ses projets, dont un premier corps d’armée avait déjà commencé à franchir la Bidassoa.

Engagement d’un premier corps d’armée au Portugal par Béhobie (Août-Octobre 1807)
De Saint-Cloud, le 2 août, Napoléon donna l’ordre de créer à Bordeaux le « 1er corps d’observation des côtes de la Gironde ». Il en confia le commandement à Junot, qui avait été ambassadeur au Portugal en 1804-05. Ce corps, d’un effectif de 25 000 hommes, comprenait trois divisions d’infanterie, une division de cavalerie et 36 pièces d’artillerie.
Napoléon s’inspira d’un plan datant de 1767, qui préconisait d’éviter le passage par Madrid et d’utiliser le chemin de Bayonne à Lisbonne le plus court par Vitoria, Valladolid, Salamanque et Alcantara. C’était vraisemblablement l’itinéraire emprunté par Junot lors de son ambassade. Le plan de stationnement initial prévoyait le déploiement du corps d’armée, les divisions les unes derrière les autres, en arrière de la frontière d’Espagne. A son arrivée à Bordeaux le 31 août, Junot modifia ce plan. Il déploya ses divisions d’infanterie le long de la frontière comme s’il voulait les faire pénétrer en Espagne simultanément par deux itinéraires. Le corps d’armée se déploya à la mi-septembre dans le département des Basses-Pyrénées avec son Q.G. à Bayonne. La 1ère division fut resserrée entre Espelette et Saint-Jean-de-Luz, tandis que la 3ème division installait son P.C. à Navarrenx et ses bataillons de Saint-Jean-Pied-de-Port à Oloron et Orthez. Quant à la 2ème division, elle était placée en second échelon, avec son P.C. à Bidache.
Le 12 octobre, avant même la conclusion du traité de Fontainebleau (27 octobre), Napoléon donna à ce corps d’armée l’ordre « de marcher sur les frontières du Portugal ». La 1ère division traversa la Bidassoa le 18 octobre par le pont de Béhobie, suivie par les deux autres divisions, dont la 3ème division qui, bien que déployée sur l’itinéraire des Ports de Cize, pénétra en Espagne par le Pas de Béhobie. Chaque régiment organisa à Bayonne un petit dépôt provisoire pour gérer les isolés qui devaient rejoindre ultérieurement.
Le corps d’armée était pour son mouvement organisé en seize colonnes, de deux à quatre bataillons chacune, se succédant à une journée de marche, afin de rendre moins lourde la charge pour le pays traversé. La durée d’écoulement du corps était ainsi de 16 jours. Ainsi, la première colonne partie de Bayonne le 16 octobre, atteignait Valladolid quand la seizième franchissait la Bidassoa. La durée du déplacement de Bayonne à Salamanque était de 24 jours de marche, y inclus trois séjours de repos, soit un total de 40 jours pour l’ensemble du mouvement.
L’organisation de ce mouvement illustre la charge et les contraintes qu’imposaient, aux villes et campagnes traversées, le passage et la subsistance d’une force de 25 000 hommes. Selon les stipulations de la Convention de Fontainebleau, les autorités espagnoles fournissaient les gîtes d’étapes de la frontière française à la frontière portugaise. L’Espagne comptait alors 10 millions d’habitants. L’accueil des populations fut cordial. Les soldats français observaient la plus grande discipline. Mais, dès le début, se posèrent des problèmes d’approvisionnement, les conditions de vie en Espagne étant plus dures qu’en France. Les chevaux de l’artillerie et de la cavalerie furent décimés par la mauvaise qualité et le manque de fourrages.
Formé en majorité de conscrits âgés de moins de vingt ans, le corps de Junot n’était pas préparé à entrer en campagne dans des conditions aussi difficiles. La discipline se relâcha rapidement et les traînards devinrent très nombreux. Après une halte à Abrantès afin de regrouper ses unités, Junot entra à Lisbonne le 30 novembre 1807.

Engagement de deux corps d’armée en Espagne par Béhobie (Octobre–Décembre 1807)
Napoléon était soucieux d’assurer le soutien de l’armée du Portugal et la sécurité de ses communications. Aussi ordonna-t-il rapidement la formation de deux autres corps d’armée, puis leur entrée successive en l’Espagne.
En premier lieu, le 12 octobre, le jour même où il ordonnait à Junot de franchir la Bidassoa, Napoléon décida de former à Bayonne un deuxième corps d’armée : le « 2e corps d’observation des côtes de la Gironde ». Ce corps, placé aux ordres du général Dupont, franchit la Bidassoa à partir du 17 novembre Pour le 16 janvier 1808, il était déployé autour de Valladolid, au carrefour des itinéraires conduisant soit à Madrid, soit à Lisbonne.
En second lieu, le 5 novembre 1807, Napoléon ordonna la formation d’un troisième corps à Bordeaux, le « corps d’observation des côtes de l’océan ». Le commandement en fut donné au maréchal Moncey, capitaine en 1789 au bataillon des Chasseurs Cantabres à la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port et commandant de l’Armée des Pyrénées Occidentales en 1794-1795. Le général Harispe fut désigné comme son chef d’état-major.
Le 6 décembre 1807, alors que le corps de Dupont venait de commencer son entrée en Espagne, Napoléon donna l’ordre au corps de Moncey de glisser vers Bayonne, puis d’entrer en Espagne. Le corps franchit la Bidassoa à partir du 9 janvier 1808. Le 13 février le corps était déployé de Vitoria à Aranda avec son P.C. à Burgos.
Mais, déjà, le peuple espagnol très fier commençait à trouver pesante la présence des troupes françaises. Les ordres donnés par Napoléon montrent clairement son souci de ne pas irriter la population espagnole. L’itinéraire de Bayonne à Burgos par le Pas de Béhobie avait été l’itinéraire unique pour les mouvements des trois corps d’armée français s’engageant dans la péninsule ibérique. Il était également la ligne d’opérations unique pour leur soutien logistique à partir de la place de Bayonne. La charge était à l’évidence trop lourde pour la population des villes et des campagnes traversées.

Création de la « Division d’observation des Pyrénées occidentales » (Décembre 1807)
Napoléon montra bientôt sa volonté de disposer d’une seconde ligne de communication de Bayonne à Pampelune par les Ports de Cize. Par le même ordre du 6 décembre 1807, décidant l’engagement du corps d’armée de Moncey en Espagne, Napoléon prescrivit la création d’une division supplémentaire à Saint-Jean-Pied-de-Port, dénommée « Division d’observation des Pyrénées occidentales ». Placée à l’entrée du « Grand chemin d’Espagne par Orisson et Roncevaux », elle n’avait pas encore mission de s’engager vers Pampelune.
Cette division devait être formée d’unités provenant de Bretagne, d’un effectif de 5 000 hommes, articulés en six bataillons, avec douze pièces d’artillerie. Au 1er janvier 1808, les éléments de quatre bataillons de la « division d’observation des Pyrénées occidentales » venaient d’atteindre Saint-Jean-Pied-de-Port, après avoir positionné au passage un bataillon à Lacarre. Le 15 janvier, de son Poste de Commandement implanté à Saint-Jean-Pied-de-Port, le général Mouton, commandant la division, rendait compte de sa situation5 :
4e Bataillon du 15e régiment de ligne
1er Bataillon du 47e régiment de ligne
3e Bataillon du 47e régiment de ligne
3e Bataillon du 70e régiment de ligne
3e Bataillon du 86e régiment de ligne
Lacarre
Saint-Jean-Pied-de-Port
Saint-Etienne-de-Baïgorry
Saint-Jean-Pied-de-Port
Lecumberry
Effectif : 394
Effectif : 1 193
Effectif : 272
Effectif : 455
Effectif : 173
Son effectif n’était donc que de 2 487 hommes, formant cinq bataillons, au lieu des 5 000 hommes prévus en six bataillons. Seul un bataillon, le 1/47, était opérationnel. Le 3e régiment d’artillerie à pied et le 6e bataillon du train étaient attendus le 1er février à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le dernier bataillon, le 3e bataillon du régiment Suisse, devait la rejoindre, en partant de Rennes le 20 Février 1808.


Ouverture d’une seconde ligne de communication par les Ports de Cize (Février 1808)
Le 14 janvier 1808, le général Mouton fut appelé par l’empereur à de nouvelles fonctions. Le général de brigade Darmagnac, son adjoint, reçut la mission de marcher sur Pampelune, sans attendre le bataillon suisse. Cette action avait été préparée par des reconnaissances et des contacts jusqu’à Pampelune. La consigne était d’entrer dans la ville en souplesse sans se heurter aux Espagnols, selon les instructions reçues du général Clarke, ministre de la guerre :
« L’instruction de S.M. est que vous preniez possession de cette place (de Pampelune) et que, sans affectation et fort naturellement, sans que les Espagnols en puissent prendre ombrage ou s’en alarmer, vous ne vous dispensiez sous aucun prétexte d’en occuper la citadelle et les fortifications. La sûreté des troupes de S.M. exige cette précaution indispensable, et il n’est pas moins nécessaire que les Espagnols ne voient dans cette occupation qu’une chose très simple et qui ne peut aucunement les inquiéter. Vous vous attacherez, en conséquence, à traiter avec la plus grande courtoisie le commandant espagnol et les habitants, et vous éviterez avec soin qu’aucune rixe ne s’élève, qui puisse être préjudiciable à la bonne harmonie qu’il est important de maintenir entre les deux nations. »
Partant de Saint-Jean-Pied-de-Port, le général Darmagnac entra en Espagne le 6 février par le col de Bentarte. Il parvint le 9 février à Pampelune. Le soir de son arrivée, il dîna chez le Lieutenant-général de Villesantoro, Vice-roi pour la Navarre, qui resta sur la réserve. Obéissant aux ordres de l’empereur, Darmagnac essaya d’obtenir que les portes de la citadelle soient ouvertes à ses troupes, ce que le Vice-roi refusa poliment, mais fermement. Les troupes françaises furent donc casernées dans la ville. La garnison de Pampelune, constituée par le bataillon d’infanterie légère de Tarragone, s’enferma dans la citadelle.
Darmagnac, fraîchement accueilli par une population inquiète de l’arrivée de troupes françaises, était perplexe. La situation devenait chaque jour plus délicate, car les moines, les étudiants et le peuple excité par le clergé, s’inquiétaient de cette occupation étrangère. Darmagnac décida donc d’occuper la citadelle autant pour obéir aux ordres, que pour mieux assurer sa propre sécurité. Le 16 février, au lever du jour, il réussit par ruse à surprendre la garnison espagnole et à s’emparer de la citadelle.
Il avait observé que les ravitaillements, effectués tous les quatre jours, s’opéraient dans un désordre certain. Dans la nuit du 15 au 16 février, Darmagnac qui logeait près du glacis de la citadelle, abrita chez lui cent grenadiers et ordonna à un bataillon cantonné à proximité de prendre les armes au lever du jour. Le 16, jour de distribution, à 07H00 du matin, soixante soldats espagnols en tenue de corvée se présentèrent à l’entrée de la citadelle, franchirent le pont-levis et s’arrêtèrent, trente sur le pont-levis, trente devant le corps de garde. Comme il pleuvait à torrents, ils entrèrent dans le corps de garde pour s’abriter. Alors, les cent grenadiers se précipitèrent. Les hommes de garde empêchés par la présence des hommes de corvée, ne purent pas saisir leurs armes et donc réagir. Les grenadiers occupèrent les bastions où se trouvaient les canons qui commandaient le pont-levis. Le bataillon français en alerte entra dans la citadelle avant que la garnison ne soit revenue de sa surprise. Le Vice-roi protesta. L’ordre, momentanément menacé mais sans gravité excessive, fut rétabli assez rapidement.
Après avoir délogé la garnison espagnole de la citadelle, Darmagnac la remplaça par deux bataillons français. Il eut à faire face à une certaine agitation dans la ville, surtout le 16 et le 17 février, agitation menée par les étudiants avec des slogans nettement hostiles aux Français. Le Vice-roi, laissé sans instruction face à la fermeté des Français, jugea prudent d’apaiser la situation. Il accepta de maintenir l’ordre. Le 19, les troupes espagnoles dispersèrent les manifestants. Pour éviter tout contact de ses troupes avec la population surexcitée, Darmagnac tint ses troupes consignées dans la citadelle et leurs cantonnements. Il ne participa pas au service de garnison, exclusivement assuré par les soldats espagnols. Ainsi, la ville reprit peu à peu son aspect ordinaire. Un calme apparent s’installa dans la ville tandis que Darmagnac conduisait l’instruction des jeunes conscrits de ses bataillons.
Le général Darmagnac, nommé commandant de la place de Pampelune, y disposa bientôt de 3 800 hommes répartis en six bataillons, dont deux cantonnés dans la citadelle, et d’une compagnie d’artillerie à pied réduite. Le reste de sa division continuait d’être acheminé depuis Saint-Jean-Pied-de-Port par les Ports de Cize. Cette entrée dans Pampelune et la prise de sa citadelle illustrent l’ambiguïté de la position et de l’attitude des troupes françaises face aux autorités, à la population et aux troupes espagnoles.
Jusqu’alors, la raison invoquée pour motiver la présence de troupes françaises sur le territoire espagnol avait été la nécessité d’appuyer le corps de Junot engagé au Portugal. Cette raison n’apparaît pas suffisante pour expliquer le recours à une ligne de communication unique et à une ligne d’opérations unique de la France en Espagne par le Pas de Béhobie pour les trois corps d’armée engagés. Dans l’esprit de Napoléon, l’armée d’Espagne devait organiser sa propre logistique à partir des ressources du territoire espagnol, ce qu’elles ne permettaient pas. En temps de paix déjà, l’Espagne était importatrice de blé et de viande. La nourriture des chevaux notamment se révéla difficile. Compte tenu du volume des forces françaises engagées dans la péninsule ibérique, un second itinéraire aurait du s’imposer, peut-être dès l’engagement du corps de Dupont, certainement lors de l’engagement du corps de Moncey.
L’ordre de créer une division à Saint-Jean-Pied-de-Port, qui fut donné le jour même de l’entrée en Espagne du troisième corps d’armée engagé en péninsule ibérique, indique bien la volonté de Napoléon de créer alors une seconde ligne de communication. L’ordre qu’il donna à la mi-janvier de s’emparer de Pampelune, le confirme. A la mi-février 1808, seul le premier tronçon en était établi et contrôlé militairement : celui franchissant les Pyrénées par les Ports de Cize entre les places de Saint-Jean-Pied-de-Port et Pampelune.

Création de l’armée d’Espagne – Entrée à Madrid (Mars 1808)
C’est alors, le 20 février 1808, que le maréchal Murat reçut le commandement en chef de l’armée française en Espagne, soit de l’ensemble des deux corps d’armée de Dupont et Moncey, avec le titre de Lieutenant de l’Empereur en Espagne. Arrivé le 25 février à Bayonne, Murat montra d’abord des préoccupations d’ordre logistique. Il ordonna de porter à quinze jours l’autonomie des deux corps engagés en Espagne. A son tour, il souligna l’importance de Pampelune pour assurer les communications de l’armée.
Repartant de Bayonne le 9 mars, il rejoignit le corps de Moncey, avec lequel il poursuivit vers Madrid où il entra le 23 mars 1808. Pendant son mouvement lent et prudent par Burgos et Aranda de Duero, le corps de Moncey fut très bien accueilli par la population. Le courrier de l’Empereur du 9 mars lui rappelait la nécessité d’éviter tout contact hostile dans la péninsule. Le corps de Dupont, liant son mouvement à celui de Moncey, poursuivit au-delà de Burgos jusqu’à Valladolid, puis gagna Ségovie et le col de Guadarrama.

Mission de la « Division d’observation des Pyrénées occidentales » (Mars-Avril 1808)
A la même date du 20 février, Napoléon décida de renforcer l’armée d’Espagne. Il ordonna la création à Bayonne d’un corps d’armée supplémentaire, le « Corps d’observation des Pyrénées Occidentales ». Ce corps placé aux ordres du maréchal Bessières, nommé gouverneur de la Haute Espagne, recevait la mission d’assurer la sécurité des communications en zone arrière des armées d’Espagne et du Portugal. Il devait comprendre trois divisions, dont la « division d’observation des Pyrénées occidentales », alors déjà déployée à Pampelune.
Cette création provoqua une réorientation de la mission de cette division. Le général Merle, son nouveau commandant, quitta Pampelune le 17 mars pour Vitoria avec trois bataillons d’infanterie (les 1/47, 3/86 et le 6ème bataillon suisse) et avec ses douze pièces d’artillerie, soit la valeur d’une brigade dont Darmagnac prit bientôt le commandement.
Avant de quitter Pampelune, le général Merle acheva de mettre la citadelle en état de défense. Il l’arma d’un total de 80 pièces d’artillerie, dotées de la poudre nécessaire, provenant de l’arsenal et de la poudrerie de la ville. Il y laissa comme garnison le reste de la division, les bataillons (3/47, 3/70 et 4/15) soit 1 100 hommes. Il y créa également un hôpital. Le 20 mars, Napoléon désigna le général d’Agoult comme gouverneur de Pampelune.
La « division d’observation des Pyrénées occidentales », avec son P.C. à Vitoria, avait, dès lors, une double mission : continuer d’assurer la sécurité sur la ligne de communication en cours de création par les Ports de Cize, et commencer à assurer la sécurité des communications sur l’itinéraire conduisant de Bayonne à Burgos par le Pas de Béhobie. Pour ce faire, Napoléon prévoyait de lui adjoindre une seconde brigade, qui devait se déployer dans la région de Saint-Sébastien et Pasajes.
Les nouvelles unités constituant le « Corps d’observation des Pyrénées occidentales », comme les trois corps précédents, entrèrent en Espagne par l’itinéraire empruntant le Pas de Béhobie. Fin avril 1808, il contrôlait la totalité de l’itinéraire de Tolosa à Aranda, sur lequel ses trois divisions étaient déployées, à l’exception d’une brigade encore en cours de formation à Bayonne. Il avait également à ses ordres les garnisons de Saint-Sébastien du général Thouvenot (22 officiers et 661 hommes) et de Pampelune du général de brigade d’Agoult (36 officiers et 1 150 soldats des bataillons 4/15, 3/47 et 3/70 ainsi qu’une compagnie d’artillerie).
Ainsi, le centre de gravité du dispositif français se replaçait sur l’itinéraire conduisant de Bayonne à Madrid par le Pas de Béhobie, Vitoria et Burgos. Malgré l’ouverture d’une ligne de communication de Saint-Jean-Pied-de-Port à Pampelune par les Ports de Cize, l’armée d’Espagne continuait à n’utiliser q’une ligne d’opérations unique, celle passant par le Pas de Béhobie. En fait, à cet instant, Napoléon et ses généraux ignoraient les possibilités d’itinéraires au-delà de Pampelune en direction de Madrid. Ils se rabattaient donc sur le seul itinéraire connu et reconnu vers Madrid, qui offrait en outre une option en direction du Portugal à partir du carrefour-clef de Valladolid.

Organisation de la Sécurité dans les départements français frontaliers (Juin 1808)
Murat était prêt à entrer dans Madrid le 22 mars 1808, lorsqu’il apprit le déclenchement de « l’insurrection d’Aranjuez », des 17 et 18 mars. Ces événements entraînèrent le « Guet-apens de Bayonne », où Napoléon, arrivé à Bayonne le 14 avril, obtint, le 24 mai, que le roi d’Espagne Charles IV et son fils l’infant Ferdinand lui cédassent leur trône. Il fit proclamer son frère Joseph roi d’Espagne. Entre temps, le soulèvement madrilène, sévèrement réprimé dès le 2 mai, le « Dos de Mayo », s’était étendu à toute l’Espagne.
De Bayonne, Napoléon, informé de ces événements, fit, début juin, renforcer la garnison de Pampelune par des troupes provenant de Bayonne. Puis, il décida de renforcer la sécurité dans la zone frontalière en deçà des Pyrénées. Dans chacun des deux départements des Hautes et des Basses-Pyrénées, il nomma un général commandant des troupes et il ordonna de lever un bataillon de gardes nationaux à quatre compagnies de 120 hommes. Il décida leur renforcement par 3 000 gardes nationaux sédentaires de Bordeaux aux ordres du général Lamartillière qui installa son P.C. à Pau et dont un bataillon fut déployé à Saint-Jean-Pied-de-Port. C’est à leur présence, de 1808 à 1814, sur l’axe de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port dont ils assuraient le maintien en état et la sécurité, que remonte sans doute la tradition de participation de soldats en tenue d’empire dans les cavalcades bas-navarraises et lors des cérémonies de la Fête-Dieu à Mendionde, Iholdy ou Hélette.
La victoire de Bessières, le 14 juillet 1808 à Medina de Rio Seco, permit au roi Joseph, d’entrer dans sa capitale le 20 juillet. Ainsi Napoléon put-il quitter Bayonne le 21 juillet, d’autant que les rapports lui indiquaient que le corps d’armée du général Dupont, parvenu en Andalousie, poursuivait vers Cadix où se trouvaient encore, commandés par l’amiral Rosily, les restes de la flotte française défaite à Trafalgar.
Napoléon n’apprit que le 2 août à Bordeaux, le désastre, survenu le 22 juillet, le lendemain de son départ de Bayonne, de la capitulation à Bailén du corps d’armée de Dupont. Cette défaite provoqua le redémarrage de l’insurrection espagnole, puis son extension au Portugal où, un mois après Bailén, Junot, capitulait à son tour le 30 août devant Wellington. Le roi Joseph quitta Madrid après dix jours de règne et se replia sur Vitoria. L’ensemble des troupes françaises évacua la péninsule jusqu’à l’Ebre. Poursuivant sa route vers Paris, Napoléon, dès le 5 août de Rochefort, donna l’ordre de diriger sur l’Espagne la moitié des troupes de la Grande Armée alors en Allemagne, en vue d’un déclenchement d’opérations en Espagne en novembre. Le Décret impérial du 7 septembre 1808, portant création de l’Armée d’Espagne, portait ses effectifs de 88 000 hommes à 286 000 hommes en sept corps d’armée, dont un corps de réserve composé de régiments de la Garde impériale.


INTERVENTION PERSONNELLE de NAPOLÉON en Espagne
(Novembre 1808 - Janvier 1809)

L’alliance russe confirmée par son entrevue d’Erfurt, le 12 octobre 1808, avec le Tsar Alexandre I de Russie, Napoléon décida d’intervenir lui-même en Espagne. Il arriva à Bayonne le 3 novembre à 3 heures du matin, après avoir traversé les Landes « à franc étrier ». Il s’installa au château de Marracq. Il disposait alors en Espagne de la quasi-totalité des moyens dont il avait ordonné l’acheminement, deux mois auparavant. Peu satisfait de la situation opérationnelle dans la tête de pont sur l’Ebre, il donna immédiatement l’ordre de reprendre Burgos. Le lendemain 4 novembre au soir, il franchit la frontière au Pas de Béhobie. Il parvint, dans la nuit du 5 au 6, près de Vitoria où il prit le commandement effectif de l’armée.

Décision d’ouverture d’une seconde ligne d’opérations par les Ports de Cize (Nov. 1808)
La première préoccupation de l’Empereur fut de mieux connaître la géographie de ce théâtre d’opérations, nouveau pour lui. A Paris, il avait étudié le Mémoire établi à l’issue de son commandement, par le général Servan, le premier commandant de l’Armée des Pyrénées occidentales en 1793. Pour compléter sa documentation, il ordonna immédiatement l’établissement d’une carte des routes de Tolosa et de Vitoria à Pampelune et il adressa des demandes de renseignements géographiques détaillés sur les itinéraires rayonnant autour de Pampelune, notamment la route conduisant de Pampelune à Madrid :
Napoléon à son frère Joseph, roi d’Espagne – Vitoria, le 6 novembre 1808 matin :
« des détails sur chacune de ces routes, … . L’artillerie peut-elle passer ? …. Faites-moi tracer sur une grande carte la grande route de Tolosa à Pampelune … . Déterminez les routes depuis Pampelune jusqu’à Madrid. Est-ce une chaussée faite ? … . Quelles rivières ? Quelles gorges ? Quels obstacles naturels ? ».

La deuxième préoccupation de Napoléon fut de remédier aux difficultés logistiques rencontrées. L’itinéraire utilisé par tous les corps de la Grande armée récemment entrés en Espagne, avait été, comme précédemment, la route empruntant le Pas de Béhobie. Les régiments avaient franchi la frontière avec trois bataillons et laissé à Bayonne les cadres de leurs 4ème bataillons pour recevoir et encadrer les conscrits. Même le corps de Ney qui se dirigeait vers Pampelune, avait franchi la frontière au Pas de Béhobie, puis emprunté la rocade conduisant de Tolosa à Pampelune. Dès son arrivée à Vitoria le 6 novembre matin, Napoléon donna l’ordre à Berthier d’établir une ligne d’opérations de Bayonne à Pampelune par Saint-Jean-Pied-de-Port et les Ports de Cize, pour doubler l’itinéraire unique de Bayonne à Vitoria par le Pas de Béhobie. L’Empereur qui venait de le parcourir, avait constaté son encombrement et le mauvais état dans lequel l’avaient mis les passages incessants de troupes et de matériels. Il confirmait ainsi sa volonté de disposer de deux lignes d’opérations pour l’armée d’Espagne, volonté déjà implicite dix mois auparavant dans son ordre de constitution d’une « division d’observation des Pyrénées occidentales », mais qui n’avait pas été concrétisée.
L’empereur au Major Général Berthier, Vitoria, le 6 novembre 1808
Mon cousin, la route de Saint-Jean-Pied-de-Port à Pampelune sera organisée. Il sera placé à l’étape un commandant d’armes, une garnison de 200 à 300 hommes et un magasin de subsistances pour le passage. La route sera tenue en bon état et ouverte toute l’année. Les mesures seront prises pour que les neiges soient déblayées. Un des officiers du génie qui sont à Pampelune parcourra cette route, en fera le croquis, fera connaître les travaux qu’il sera utile de faire pour la facilité des transports d’artillerie et les différentes mesures à prendre pour que pendant l’hiver les neiges n’empêchent pas la communication.
Le préfet des Basses-Pyrénées donnera des ordres et proposera spécialement un ingénieur des ponts et Chaussées pour tenir en état la route de Saint-Jean-Pied-de-Port à Bayonne. Vous prendrez toutes les mesures pour l’exécution du présent ordre. Mon intention est, aussitôt que faire se pourra, d’établir la communication de l’armée par Saint-Jean-Pied-de-Port et Pampelune.

Deux jours plus tard, le 8 novembre, il confirma sa décision en donnant l’ordre d’utiliser la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port comme base avancée de soutien logistique de l’armée d’Espagne.
L’empereur au Major Général (Berthier, duc de Neufchâtel) – Vitoria, le 8 novembre 1808 –
Il y a à Saint-Jean-Pied-de-Port 20 000 Kg de poudre. Donnez des ordres pour qu’ils soient expédiés sur le champ à Pampelune. Ils seront remplacés par l’intérieur.

Il convient de noter que cette quantité de poudre correspond exactement à la capacité totale de stockage de la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port, avec ses deux magasins à poudre situés dans les bastions dominant la cité. Le même jour, Napoléon nommait un commandant de division expérimenté comme commandant de la province de Navarre, avec son P.C. à Pampelune :
L’empereur au Major Général (Berthier, duc de Neufchâtel) – Vitoria, le 8 novembre 1808 –
Le général Bisson prendra le commandement de toute la Navarre et portera son Q.G. à Pampelune. Le général de division Lagrange se portera sur le champ à Logroño, y prendra le commandement de la division Bisson.

En même temps, Napoléon donna des ordres de réorganisation de la place de Pampelune où il fit regrouper tous les éclopés, jusqu’alors à Bayonne, du corps de Moncey, bientôt chargé du siège de Saragosse, pour lequel le soutien logistique fut dès lors assuré par l’itinéraire empruntant les Ports de Cize. Il confirmait ainsi l’importance qu’il attachait aux places de Saint-Jean-Pied-de-Port et Pampelune, pour participer au soutien de l’Armée d’Espagne.
Une semaine plus tard, le 16 novembre, dès son arrivée à Burgos Napoléon confirmait sa volonté de prolonger cette seconde ligne d’opérations de Pampelune jusqu’à Madrid, en ordonnant des reconnaissances. En effet, à cette date, la route conduisant de Pampelune à Madrid n’avait pas été reconnue, après presque une année d’opérations en Espagne. Napoléon demanda, donc, des renseignements géographiques précis sur cet itinéraire qui, venant de Pampelune, passait par Soria, Almazan, Paredes de Sigüenza et Guadalajara pour aborder Madrid par son Nord-Est.
L’empereur au Maréchal Bessières – Burgos, le 16 novembre 1808 à 6 heures du soir
Informez-vous quelle serait la route la plus courte si d’Aranda on jette des partis sur la route de Madrid à Pampelune, du côté de Paredes (Paredes de Sigüenza sur la route menant alors d’Almazan à Guadalajara), dans l’endroit le plus près d’Aranda et le plus favorable pour les localités. On m’assure que la montagne de Buitrago (immédiatement au Nord de Soria) finit à 8 ou 10 lieux et que la route de Madrid à Pampelune, une fois passé Almazan, marche en plaine.

Ouverture d’une seconde ligne de communication par les Ports de Cize (Décembre 1808)
Après la prise de Burgos le 10 novembre, Napoléon venant d’Aranda, fit son entrée à Madrid le 4 décembre 1808, à l’issue d’une campagne brillante. L’existence et la viabilité d’un itinéraire direct de Pampelune à Madrid furent alors confirmées par les reconnaissances géographiques que Napoléon ordonna, et dont les résultats étaient reportés sur les cartes dont il prescrivit l’établissement.
L’empereur au Major Général Berthier – Chamartin (Madrid), le 15 décembre 1808
Mon cousin, envoyez l’ingénieur Guilleminot pour faire un croquis de la route d’ici à Tolède et, s’il y a plusieurs routes, pour les tracer toutes en indiquant la nature des chemins, les villages, la population et chargez d’autres ingénieurs de lever les environs de Madrid jusqu’à Buitrago, Ségovie, l’Escorial, Tolède, Aranguez sur une grande carte avec les routes et les reconnaissances des différentes routes en mettant le détail à cinq lieues aux environs de Madrid.

Aussi, la seconde ligne d’opérations par Saint-Jean-Pied-de-Port et les Ports de Cize devint alors opérationnelle. Elle fut initialement utilisée pour le soutien du corps de Moncey qui, le 8 décembre, reçut l’ordre de s’emparer de Saragosse, dont le siège dura du 20 décembre 1808 à février 1809. En aval de Saint-Jean-Pied-de-Port, la ligne d’opérations remontait vers Bayonne et non vers Navarrenx. Il apparaît que tous les approvisionnements, en provenance de la 10ème division militaire de Bordeaux comme de la 11ème de Toulouse, transitaient par Bayonne, base logistique unique de l’armée d’Espagne, dont Saint-Jean-Pied-de-Port constituait au pied des Ports de Cize, une base avancée.
Le 20 décembre, l’empereur écrivit longuement au maréchal Kellermann qui devait prendre le lendemain à Bayonne le commandement des réserves de l’armée d’Espagne, déployées sur les 10ème et 11ème divisions militaires. Il lui prescrivait d’exécuter scrupuleusement les mesures d’acheminement et d’instruction des conscrits et des unités de marche de renfort, de montée en puissance des équipages militaires du Train des Equipages, de ravitaillement des unités et d’acheminement des caissons et munitions d’artillerie.

Organisation finale des communications de l’Armée d’Espagne (Janvier 1809)
Dès son arrivée à Madrid, Napoléon avait appris que l’Autriche se préparait à entrer en guerre à la tête de la cinquième coalition. Aussi, décida-t-il de se rapprocher de la frontière française. Il s’installa, début janvier, à Valladolid, d’où les communications avec la France étaient plus aisées. Depuis la mi-décembre, il menait des opérations dans la province de Léon, des Asturies et de Galice contre l’armée anglaise.
Simultanément, Napoléon afficha son souci d’améliorer la sécurité des communications de l’armée d’Espagne Le 8 janvier, il fixa une organisation définitive des routes militaires dans le Nord de l’Espagne, en un réseau rayonnant autour des carrefours majeurs de Valladolid et Burgos. Pour Napoléon, l’ennemi majeur étant les forces anglaises qui opéraient à partir du Portugal, la route de Bayonne à Valladolid, par le Pas de Béhobie restait la ligne d’opérations principale. Quant à l’itinéraire de Bayonne à Pampelune par les Ports de Cize, il constituait la ligne d’opérations secondaire, la ligne d’opérations de rechange.
Finalement, Napoléon nomma, ou confirma, les généraux gouverneurs de province, dont le général Bisson à Pampelune. Disposant de petites garnisons, ils étaient chargés d’assurer la sécurité des convois et des estafettes au moyen d’escortes de cavalerie et de détachements de 30 dragons échelonnés le long des routes, placés à chaque relais de poste, les courriers parcourant 100 kilomètres par jour. Des colonnes mobiles de 300 cavaliers furent formées sur les itinéraires logistiques. En effet, un peu partout en Espagne, les soulèvements populaires recommençaient.
Les nouvelles que le courrier venu de France lui remit le 12 janvier 1809, conduisirent Napoléon à laisser au roi Joseph, à Soult et à ses généraux le soin d’achever la besogne avec une armée réduite à 200 000 hommes. Il quitta Valladolid le 17 janvier, parcourant en cinq heures de galop la route jusqu’à Burgos, distant de 120 kilomètres. Parvenu à Bayonne à cheval, le 19 janvier à 4 heures du matin, il en repartit le jour même et arriva aux Tuileries le 23 janvier 1809, au matin.


CONCLUSION

Ainsi donc, l’engagement successif en Péninsule ibérique à l’automne 1807, des armées françaises du Portugal et d’Espagne s’effectua par l’itinéraire conduisant de Bayonne à Salamanque par Vitoria et Burgos, itinéraire récemment valorisé par la construction d’un pont en bois sur la rivière Bidassoa au Pas de Béhobie. La « division d’observation des Pyrénées occidentales » créée, sur ordre de Napoléon, à Saint-Jean-Pied-de-Port le 1er janvier 1808, ouvrit une seconde ligne de communication vers l’Espagne par les Ports de Cize, en occupant Pampelune et sa citadelle à la mi-février. La volonté de l’empereur de faire de cet itinéraire une seconde ligne d’opérations pour l’armée d’Espagne, fut confirmée par les ordres qu’il donna depuis son Q.G. de Vitoria, dès son engagement personnel dans la Péninsule en novembre 1808. Mais cette volonté ne devint effective que lorsque les reconnaissances géographiques qu’il ordonna, eurent confirmé en décembre l’existence et la viabilité d’un itinéraire direct de Pampelune à Madrid. Immédiatement activée pour le soutien du siège de Saragosse, cette seconde ligne d’opérations de l’armée d’Espagne n’assuma qu’un rôle secondaire pendant la campagne. La priorité excessive donnée à la ligne d’opérations passant par le Pas de Béhobie et Vitoria constitua une vulnérabilité que Wellington en 1813 ne manqua pas d’exploiter. Mais c’est finalement le Grand Chemin d’Espagne par les Ports de Cize qui fut, en juillet 1813, l’axe d’attaque de la contre-offensive de Soult vers Pampelune, comme il avait été celui de l’offensive victorieuse de Moncey en juillet 1795.
Quant à la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port elle constitua, durant la campagne d’Espagne, une base avancée de transit et de soutien au pied des Ports de Cize. Assumant ainsi le rôle de « Porte » vers l’Espagne, au sens de la conception stratégique de Richelieu, elle conserva, en application des ordres de Napoléon, son rôle stratégique à l’aube du XIXe siècle. Bien qu’il ne l’empruntât jamais, le « Grand chemin d’Espagne par Orisson et Roncevaux » mérite bien son nom actuel de « Route Napoléon » en souvenir de l’intérêt que l’Empereur lui manifesta.
1 Cf. Sources : Fonds Génie des archives du Département Terre du Service Historique de la Défense, capitaine A. Grasset : La guerre d’Espagne dans les Pyrénées, capitaine Vidal de la Blache : L’évacuation de l’Espagne et l’invasion dans le midi, commandant Balagny : La campagne de Napoléon en Espagne, G. Six : Dictionnaire biographique des généraux et amiraux de la révolution et de l’empire, général J. Ansoborlo : Histoire militaire de Bayonne et lieutenant-colonel Strasser : Saint-Jean-Pied-de-Port et les vallées de la Nive.
2 Le Bas Languedoc et la région de Toulouse étaient alors réputés pour leur richesse agricole, cultures céréalières et élevage, et l’importance de leurs productions textiles.
3 Il s’agit notamment des ingénieurs du Roy Roussel, Touros, Canut, ainsi que des mémoires relatifs à la guerre de 1718-1719.
4 Cf. Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit Paulmy. Le marquis de Paulmy était alors secrétaire d’état à la guerre.
5 Cf. capitaine A. Grasset (op. cit.).

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