VII. La place de Saint-Jean-Pied-de-Port aux XVIIIe et XIXe siècles. Conclusion
Les
sources archivistiques, manuscrits, cartes et plans, atlas,
consultées au cours de la présente étude ne limitent pas leur
propos à la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port. Tant pour répondre
au besoin de renseignements d’ordre militaire qu’en respect de la
tradition humaniste, ingénieurs du roi et officiers du génie
décrivent également une description de la cité. Ils font le point
de l’état de ses fortifications. Ils définissent les travaux de
rénovation, ou de renforcement, de l’enceinte nécessaires au
maintien de ses capacités de défense. Ils donnent les
caractéristiques principales de la ville, de sa population, de sa
géographie et de son activité économique, facteurs de sa capacité
à soutenir tant un siège que des opérations militaires offensives.
Les archives conservées au SHAT, notamment la bibliothèque de
l’ancien dépôt des fortifications1,
implantée dans le pavillon du roi, et le fonds des archives du
génie2
déposé au pavillon des armes du château de Vincennes, nous
permettent ainsi de bien connaître les divers projets, souvent fort
ambitieux, de construction d’une véritable place forte, englobant
citadelle et cité, qui se sont succédé tout au long des XVIIIe et
XIXe siècles. Le premier d’entre eux fut celui de Vauban auquel
tous les suivants se réfèrent. Leurs auteurs étaient les
disciples, plus ou moins lointains, d’Errard, de Pagan,
d’Argencourt, du Chevalier de Ville ou du Maréchal de Vauban. Ces
projets sont établis en réponse aux évolutions de la situation
politique internationale sur la frontière des Pyrénées, à
laquelle ils font en quelque sorte écho, mais leurs ambitions sont
limitées par les contraintes budgétaires. L’avis de Monsieur de
Vauban signé en 1685 est très succinct pour ce qui concerne la
ville. Le mémoire le plus ancien en notre possession qui en donne
une description détaillée est celui de Monsieur de Salmon datant de
1718. Ces deux documents, complétés par les cartes d’époque,
nous permettent cependant de connaître avec une assez bonne
précision la situation de la place au tournant des XVIIe et XVIIIe
siècles. Comme pour la citadelle, les documents antérieurs sont des
plans et des cartes dont les plus anciens remontent au milieu du
XVIIe siècle. Bien que leur interprétation soit plus délicate, ils
nous donnent quelques indications intéressantes sur l’état de la
cité à l’époque. Les mémoires rédigés au XVIIIe siècle par
les ingénieurs du roi successeurs de Salmon, nous donnent une bonne
connaissance de son évolution au cours du siècle. Au XIXe siècle,
les rapports périodiques, précis et détaillés, et les projets
avec plans associés, établis par les officiers du génie, nous
permettent de connaître avec une excellente précision les travaux
de fortification alors réalisés.
71- La CITE à l’aube du XVIIIe siècle
Ainsi,
la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port, telle qu’elle se présentait
au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, nous est bien connue grâce
aux descriptions qu’en ont fait Vauban, puis Salmon dans leurs
mémoires respectifs de 1685 et 17183.
Ces descriptions sont confirmées et précisées par les plans et
atlas d’époque. Les cartes plus anciennes, consultables dans les
divers sites de la Bibliothèque Nationale de France, permettent,
pour certaines caractéristiques, de faire remonter notre
connaissance aux années 1650.
Un
document cité par les historiens locaux décrit la cité en 1644
comme « renversée plutôt qu’assise » au pied
des Pyrénées. Ceci suggère que la ville à cette date porte encore
les stigmates des guerres dynastiques, civiles, extérieures et
religieuses, du siècle précédent, ce que Vauban quarante ans plus
tard confirme implicitement. En 1685, il écrit que la ville,
fort
petite, est composée de quelques cent quinze maisons et de 28 à 30
places où il y en a eu. Les maisons sont mal bâties et le pavé des
rues est mal entretenu. Cette ville est fort petite et consiste en
une seule rue assez étroite si roide qu’à peine y peut-on faire
monter les petits charrois du pays qui sont bien différents des
nôtres. ».
La
capitale (de la Navarre) qui est Saint-Jean-Pied-de-Port’ est une
ville tout à fait ruinée et composée seulement d’une rue qui
contient 80 à90 maisons.
En
1718, pour Salmon,
la
ville est composée de cent maisons qui sont, exceptées
quelques-unes, assez mal bâties, de quinze masures et de vingt-cinq
emplacements que la pauvreté des habitants ne leur permet pas de
rétablir. Il y a environ 500 habitants dans la ville de tout âge et
de tout sexe; ils sont courageux et laborieux, guerriers prenant
volontiers les armes pour leur défense, fidèles et attachés au Roy
en bons sujets, l’esprit vif mais d’une fortune des plus
médiocres, n’ayant aucun commerce dans le pays.
La
ville est séparée en deux par la Nive sur laquelle il y a un pont
de pierre d’une seule arche très solide et bien construit, attesté
dès 1685, mais qui semble alors de construction assez récente. Il
figure sur la carte de Desjardins de 1645, ce qui pourrait confirmer
sa construction en 1634, conclusion récente de chercheurs régionaux.
Le quartier appelé « quartier de Sainte-Marie »
sur la rive droite de cette rivière, est directement situé au pied
de la citadelle, sur la pente de l’éminence sur laquelle elle est
édifiée. Ce quartier fort petit consiste en une seule rue assez
étroite, la rue Sainte-Marie dont le pavé est mal entretenu.
D’après Vauban, elle est « si roide qu’à peine y
peut-on faire monter les petits charrois du pays, qui sont bien
différents des nôtres. Salmon précise que « l’intérieur
de ce quartier de Sainte-Marie consiste en une seule rue qui est si
roide en allant vers la citadelle sur les deux tiers de sa longueur
que difficilement on y fait passer les chariots du pays qui sont des
plus petits que l’on ait vus, et traînés par des bœufs ».
Les plans d’époque consultés indiquent une rue transversale,
correspondant à la ‘rue de France’ actuelle, reliant la rue
Sainte-Marie à l’église Sainte-Eulalie. Le plan du
sieur Masse indique qu’en 1689, la « maison de ville »
était installée dans le bâtiment indûment dénommé actuellement
« Prison des évêques ».
Le
second quartier de la ville, appelé « quartier
de Saint-Michel »,
à la gauche de la Nive, n’est pas décrit par Vauban, mais il
figure dans les plans de 1676, 1683 et 17155
conforme à la description qu’en donne Mr de Salmon en 1718. Ce
quartier avait à cette date la forme d’un rectangle, d’un
« carré
long »
irrégulier, le terrain remontant un peu depuis le pont sur la Nive
jusqu’à l’actuelle porte d’Espagne mais aisément carrossable,
« d’une
pente assez douce pour la facilité des voitures ».
Il consiste, comme le quartier
de Sainte-Marie,
en une seule rue bordée de maisons, la rue
Saint-Michel
rejoignant la rue
Sainte-Marie
au pont sur la Nive. La carte de Desjardins, d’environ 1645, ne lui
donne pas encore la dénomination de « quartier »,
mais de « faubourg » :
le « Faubourg
Saint-Michel »,
confirmant bien ainsi qu’il est alors situé hors les murs. Sur les
plans les plus anciens, la rue Saint-Michel
s’arrête plus bas que l’actuelle porte d’Espagne et aucune rue
transversale ne figure. Au XVIIe siècle donc, ce quartier était
encore en cours d’extension. La rue d’Uhart n’apparaît sur les
plans qu’à la fin du siècle.
A
ces deux quartiers, s’ajoute le « Faubourg d’Ugange »
qui, sur la rive droite de la Nive, de part et d’autre du ‘‘Grand
Chemin de Bayonne et Navarrenx en contrebas de l’actuelle porte
de France, comprenait alors une douzaine de maisons regroupées
autour de l’église paroissiale de Sainte-Eulalie. Ce faubourg
figure sur les cartes, mais il n’est l’objet que de courtes
mentions dans les mémoires d’époque. L’église paroissiale de
Saint-Jean-Pied-de-Port se trouve donc située hors de l’enceinte
des murailles. Le bâtiment cultuel, situé en partie basse du
quartier Sainte-Marie, au bord de la rivière, bien que dimensions
presque deux fois plus grandes que l’église paroissiale, n’est
alors qu’une chapelle, desservie par le clergé de la paroisse
Sainte-Eulalie. Les plans les plus anciens lui donnent le nom de
chapelle « Saint-Jean » ou « Sainte-Marie ».
A la fin du XVIIe siècle, elle prend le nom de chapelle
« Notre-Dame », puis celui définitif de chapelle
« Notre-Dame-du-bout-du-pont ». L’église
Sainte-Eulalie est parfois dénommée « Notre-Dame
d’Ugange ».
Le
quartier
de Sainte-Marie,
dont le plan forme un demi-cercle irrégulier, est fermé par une
vieille enceinte de murailles solidement bâties, de vingt pieds de
hauteur (soit près de sept mètres) sur cinq pieds d’épaisseur
(soit près de deux mètres), mais sans fossé. Cette muraille
médiévale est bâtie en appareil régulier de moellons taillés,
sans contrefort. Elle s’étend alors de la porte
d’Haraconcia
jusqu’à la rivière Nive, le long de laquelle elle effectue un
retour d’une vingtaine de mètres, puis s’arrête aux premières
maisons bâties à l’aplomb du lit de la rivière. Les officiers du
génie ont, au XIXe siècle, étudié avec soin les fondations de ces
maisons. Ils ont conclu dans leurs rapports qu’aucune muraille
n’avait été antérieurement construite le long de la rive à cet
emplacement. L’enceinte se poursuit au delà de ces maisons par une
porte, donnant accès au pont sur la Nive, puis sous la forme du mur
extérieur de la chapelle Notre
Dame
qui était fortifiée. Elle se termine par une muraille qui remonte
la pente depuis le chevet de la chapelle Notre-Dame
jusqu’à se raccorder à l’enceinte de sûreté extérieure de la
citadelle, en dessous du bastion Saint-Jean. De même, à l’autre
extrémité de l’enceinte, une muraille raccorde la porte
d’Haraconcia
à l’enceinte de sûreté en dessous du bastion du Roy. Cette
muraille est, au tournant du XVIIIe siècle, assez délabrée et
dépourvue de parapet6,
ce qui signifie que le parapet médiéval, probablement formé d’une
succession de créneaux et de merlons, peut-être percés d’archères,
a été détruit au cours des guerres successives qui ont ravagé le
pays aux XVe et XVIe siècles. Selon Vauban, la ville « a
été autrefois assez bien fermée de murailles, il y en a même une
bonne partie d’assez bonnes qui subsistent encore »
et l’un des défauts de la place est « la
mauvaise tournure des murs qui lui restent quoique très solidement
bâtis ».
Les plans font apparaître quelques brèches dans la muraille en
contrebas de l’actuelle porte Saint-Jacques, de part et d’autre
du coude en angle droit qu’elle fait le long de la route
départementale actuelle menant au village de Caro.
La
muraille, autour du quartier de Sainte-Marie, est percée de
portes, au nombre de quatre à l’époque comme aujourd’hui, qui
ont alors pour noms:
-
Porte de Bayonne (aujourd’hui Porte de France) où arrive le grand chemin de Bayonne et Navarrenx ;
-
Porte des deux moulins (aujourd’hui Porte du Marché) d’où un chemin conduit au moulin royal, puis au pont en bois le reliant au second moulin qui lui fait face sur la rive gauche de la Nive ;
-
Porte de Nive (aujourd’hui Porte Notre-Dame) qui donne accès au pont sur la Nive, mentionné plus haut, reliant les deux quartiers, également appelée Porte Notre-Dame sur des plans plus tardifs datant du milieu du XVIIIe siècle.
Toutes
ces portes sont alors très anciennes et assez délabrées au point
qu’elles paraissent à Vauban « fort anciennes et de même
temps, aussi les dit-on bâties dès le règne et par les ordres de
Charlemagne ». Pour Salmon, « lesquelles sont
toutes délabrées aussi bien que cette enceinte au devant de
laquelle il n’y a pas de fossé » .Les plans du XVIIe
siècle donnent à la porte de Nive une profondeur plus faible
qu’aujourd’hui. Le plan de Desjardins de 1645 n’y indique qu’un
passage vers le pont, mais pas de porte. Comme nous le verrons, elle
a été reconstruite en 1777. La porte de Bayonne y est
indiquée sous la forme d’un bâtiment d’une plus grande
profondeur, environ 15 à 20 mètres sur 10 mètres de largeur,
faisant nettement saillie en avant de l’enceinte. En 1774, le corps
de garde de la porte de Bayonne, installé au premier étage
de cette porte fut en partie détruit par un incendie, elle aurait
donc été reconstruite alors. Sur certains plans antérieurs à
1685, la maison de ville est indiquée dans cette porte,
vraisemblablement au premier étage de celle-ci. Le plan du sieur
Masse donnant la situation de 1689 est le plus ancien qui mentionne
la maison de ville dans le bâtiment connu aujourd’hui sous
la dénomination de « prison des évêques », dans la
partie haute de la rue Sainte-Marie. Sur certains des plans du XVIIe
siècle les plus anciens, la porte d’Haraconcia apparaît
comme une simple brèche dans la muraille. Ainsi, la porte des
deux moulins, qui, d’après les sources consultées, n’a pas
connu de reconstruction et apparaît sur tous les plans avec ses
caractéristiques actuelles, serait la seule des portes actuelles de
la vieille enceinte, qui pourrait être d’origine.
Tous
les plans des XVIIe et XVIIIe siècles indiquent une porte
supplémentaire, la « Porte Saint-Jacques »,
contiguë à une chapelle éponyme, isolée, qui n’est rattachée à
aucune enceinte, ou vestige d’enceinte, en contrebas du bastion
Saint-Jacques de la citadelle, à l’extrémité de la rue de
Scalapuria. Au-delà de la porte Saint-Jacques commence le
chemin de la Madelaine. Aujourd’hui, une croix en fer forgé
se trouve à cet emplacement, au point le plus élevé du « chemin
de Saint-Jacques », au croisement de celui-ci avec le « chemin
de la citadelle ». Entre cette porte Saint-Jacques et la
porte d’Haraconcia, de part et d’autre de la rue de
Scalapuria, les plans indiquent de trente maisons, pour les plans
les plus anciens, à quinze maisons, pour le plan de 1689. Pour le
sieur Masse, auteur de ce plan, ces maisons constituent un faubourg
dont il ne précise pas le nom.
Quant
au faubourg
ou quartier
de Saint-Michel,
il ne comportait pas de muraille à l’époque. Mais le plan de
Desjardins de 1645, montre qu’il est entouré d’un large talus en
terre non maçonnés, et peut-être doublé d’un fossé, qui lui
sert d’enceinte défensive. Le tracé, confirmé par les autres
plans antérieurs à la venue de Vauban, est de forme quasi carrée.
Ses deux côtés parallèles à la rue Saint-Michel,
correspondent à la rue de Zuharpeta et à l’avenue du fronton
actuelles. Il se raccorde sur la Nive à la muraille entourant le
quartier
de Sainte-Marie.
Le côté Est-Ouest de cette enceinte est percé d’une porte en
partie haute de la rue Saint-Michel,
qui semble quelque peu en contrebas de la porte d’Espagne actuelle,
peut-être à hauteur des rues « de la fontaine » et « de
la liberté » actuelles, qui pourraient suivre le tracé du
fossé qui doublait cet élément d’enceinte. Il est vraisemblable
qu’en même temps qu’à la citadelle, des ouvrages de
circonstance ont été construits à la hâte autour de ce faubourg
de la ville en 1636, lors de l’alerte provoquée à la frontière
par le rassemblement de troupes espagnoles à Roncevaux et Burguette.
Une comparaison du plan de Desjardins de 1645 et du projet de Vauban
de 1685 confirme que la rue Saint-Michel
semble avoir gagné en longueur entre ces deux dates. Quant au
faubourg9
d’Ugange, autour de l’église paroissiale Sainte-Eulalie, il ne
disposait d’aucune enceinte définitive ou de circonstance à
aucune époque.
La
ville de Saint-Jean-Pied-de-Port est alors divisée en deux paroisses
distinctes. Le quartier Sainte-Marie et le faubourg d’Ugange
constituent une première paroisse ; dont l’église
Sainte-Eulalie, située en dehors de l’enceinte de la ville est
l’église paroissiale. Le curé porte le titre de ‘prêtre-major’,
avec un revenu, « non compris le casuel », de 700#
(livres ?) par an. Salmon précise que l’église située dans
la ville, « quoiqu’elle soit plus grande, n’est qu’une
simple chapelle pour la commodité du public. Le curé d’Ugange est
chargé de la faire desservir, étant pour le soulagement de sa
paroisse ». Le quartier de Saint-Michel appartient à la
« paroisse de Huart » où il n’y a de même
qu’un curé dont le revenu est à peu près égal à celui de
l’autre paroisse. A ces deux curés, s’ajoutent deux prêtres
ayant des prébendes laïques de 100# et 200# de revenu, ainsi que
cinq ou six autres prêtres qui n’ont d’autre revenu que leurs
patrimoines « et leur casuel qui n’est pas considérable ».
Cette organisation religieuse mérite d’être soulignée, car elle
indique qu’à l’origine, au Moyen-Âge, le quartier de
Saint-Michel avait été créé par extension du village d’Huart
sur la rive gauche de la Nive. C’est vraisemblablement après la
construction du pont sur la Nive le reliant directement au quartier
de Sainte-Marie et le transfert d’itinéraire du ‘grand chemin
d’Espagne’ qui abandonnait le pont d’Eyheraberry, que ce
faubourg fut rattaché administrativement à Saint-Jean-Pied-de-Port.
Quand
il aborde l’organisation de la magistrature municipale, Salmon
précise que :
les
deux quartiers de la ville, quoique de paroisses différentes
d’Ugange et de Huart ne font qu’une même juridiction sous le
même magistrat. Le magistrat se compose d’un maire qui est en
titre et permanent, quatre jurats qui changent tous les ans, qui sont
élus par les bourgeois qui ont été jurats et cette élection se
fait le premier de l’an.
Les
jurats commandent, lorsqu’elle prend les armes, la compagnie de
milice de cent hommes mise sur pied par la ville. La justice relève
d’un procureur du Roy qui reçoit des patentes de Sa Majesté. Il
est assisté d’un greffier. Salmon indique que :
le
corps du magistrat est juge civil et criminel dans la ville et juge
criminel dans toute l’étendue de la chastellenie qui est composée
des villes de Baïgorry, Osses, Iholdy, Armendarry, Irissary et Pays
de Cize. Le magistrat a pouvoir de juger à mort et les appels sont
relevés au Parlement de Navarre qui est scéant à Pau.
En
outre,
un
juge royal, appelé alcade qui est nommé par le Roy, tient son siège
dans la ville mais sa juridiction n’est que pour le civil dans la
vallée et pays de Cize. Il a son greffier.
Enfin,
au plan de la justice religieuse, Saint-Jean-Pied-de-Port est alors
un siège d’officialité, composé d’un official nommé par
l’évêque de Bayonne, un « promoteur » et un
greffier.
En
1718, Salmon précise
qu’il
n’y a point de citerne, de puits, ni de fontaine dans la ville,
mais il y a quelques sources au dehors fort à portée et les
habitants se servent de l’eau de la rivière qui est très bonne,
excepté lorsque la fonte des neiges la rend trouble et bourbeuse. On
pourrait construire une fontaine dans la ville, y ayant une source
assez à portée qui donnerait au moins 10 barriques d’eau par
jour.
La
santé publique est alors encore déficiente. Salmon indique
brièvement qu’« il n’y a aucun hôpital fondé à la
ville pour les pauvres ». Quant au confluent de La Nive de
Béhérobie, de la Nive d’Arnéguy et du Laurhibar, il est dénommé
« Les Trois Eaux » dès le plan de l’atlas de
1683. Egalement situés hors de l’enceinte, deux moulins se font
face, un sur chacune des deux rives de la Nive, reliés par ‘la
passerelle des deux moulins’. Parmi les défauts de la cité,
Vauban note « les moulins dehors ». Pour Salmon,
A
cinquante toises en dessous de la ville, il y a deux moulins à eau
sur la rivière de Nive qui pourraient moudre 150 sacs de blé dans
24 heures, mais la ville n’étant point fermée, l’ennemi
pourrait facilement les détruire. Il y a d’autres moulins aux
environs qui sont tous hors de portée de pouvoir être garantis si
l’ennemi les voulait détruire.
Parmi
ces derniers, le « moulin neuf », ou « Eyheraberry »
apparaît, en aval de la ville, sur le plans de Desjardins, remontant
à 1645 environ. Il est sans doute alors de construction très
récente car certains autres plans du milieu du siècle l’ignorent.
Il n’est pas non plus mentionné dans le mémoire de Salmon comme
moulin appartenant à la ville. En 1718, à cent mètres en dessous
de la ville, un sur chaque rive de part et d’autre de la chute
d’eau, « il y a deux moulins à eau sur la rivière de
Nive, qui pourraient moudre 150 sacs de blé par 24 heures. Mais la
ville n’étant point fermée, l’ennemi pourrait facilement les
détruire ». Enfin, existent à cette date « deux
fours à ban dans la ville qui ne peuvent cuire ensemble que 800
rations en 24 heures ». Enfin les plans indiquent
l’existence de deux fours à chaux, le premier en haut de la rue
Sainte-Marie à main gauche juste avant la porte
d’Haraconcia, le second sur la rive gauche de la Nive en face
du pont dit « romain » d’Eyheraberry. Ils
indiquent également une glacière à proximité du premier four à
chaux.
L’économie
de la vallée de Cize est alors exclusivement agricole. Salmon donne
quelques indications :
Les
vallées aux environs de cette ville sont cultivées en jardins,
prairies et terres labourables qui ne sont pas des plus fertiles. Le
terrain, étant graveleux et pierreux, ne produit que médiocrement
la subsistance des habitants de la ville et de la campagne. Les
coteaux des petites montagnes sont en partie cultivés en vignobles
qui produisent un petit vin léger passablement bon pour la
consommation ordinaire. Le surplus de ces petites montagnes, de même
que les plus hautes des environs, sont incultes et ne produisent que
des pâturages assez maigres.
Vauban
porta, dans son mémoire du 6 décembre1685, un jugement sévère sur
la valeur militaire de la ville, nettement plus sévère que celui
porté sur la citadelle. « Son
premier et principal défaut est d’être très mal située, petite,
ouverte »,
de manquer de bâtiments de bonne qualité, d’être entourée d’une
enceinte insuffisante, d’avoir ses moulins hors de l’enceinte,
d’être dotée de rues où l’on ne peut se servir de charrois,
« d’être
commandée de revers, d’écharpe et d’enfilade »
de la plus grande partie des hauteurs environnantes de Curutchamendy
et de Cagos10,
continuation du mouvement de terrain de Curutchamendy vers le sud sur
la rive opposée de la Nive en face de l’éperon sur lequel est
construite la citadelle, qui dominent à courte distance la cité et
surtout le quartier de Saint-Michel.
72- Les PROJETS du XVIIIe siècle
Un
document du 20 décembre 181411
du Comité des Fortifications récapitule et résume les projets
antérieurs de remaniement de la place de Saint-Jean-Pied-de-Port. Il
confirme que nous avons bien connaissance de la totalité des projets
majeurs de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècles, datés
respectivement de 1685, 1718 et 1774. Si les mémoires de Vauban12
et de Salmon13
sont bien conservés à Vincennes, leurs projets ne nous sont connus
que par le plan14
comparatif détaillé et légendé, établi par Salmon. Le projet de
1774 est connu par le mémoire de 177315
et le plan16
réalisé sur une carte à grande échelle dont les légendes donnent
le détail précis des constructions projetées et de leur coût,
documents également conservés aux archives du génie à Vincennes.
Le
premier projet cité est « le
Projet Général de feu M. le Maréchal de Vauban du 6 décembre
168517
tant pour les dehors de la citadelle, que pour fermer la ville d’une
enceinte percée de créneaux ». Concernant la citadelle, il
prévoyait, du côté du front d’attaque, une tenaille entre les
bastions, un pont mi-dormant mi-levis aboutissant à un ravelin, de
petite taille, avec des faces de 10 toises et des flancs de 5 toises
sur une base de 15 toises, couvert par plusieurs contre-gardes et
protégée à l’avant par un ouvrage à cornes, lui-même couvert
par une demi-lune. Le tout devait être entouré d’un chemin
couvert se raccordant aux fausses-brayes de la citadelle. Cet
ensemble d’ouvrages, qui devait s’étendre sur plus de deux cents
mètres, devait donc couvrir toute la profondeur de l’esplanade, du
côté du front d’attaque de la citadelle et s’étendre jusqu’au
ressaut de Gastellumendy. L’accès à la porte du secours de la
citadelle se faisait par un chemin franchissant l’ensemble de ces
ouvrages et sortant par la demi-lune construite à leur extrémité
Est.
Concernant
l’enceinte de la cité, Vauban n’en proposa aucune rénovation
profonde en raison du défaut majeur qui est le sien « de se
trouver dans une situation très bizarre et si difficile à corriger
qu’on ne la peut bastionner sans en exposer toutes les pièces aux
enfilades et vues de revers ». Le projet de Vauban
s’appuyait sur la vieille muraille médiévale entourant le
quartier de Sainte-Marie, qu’il conservait en la renforçant
de tours pentagonales. Vauban prévoyait d’élargir le périmètre
de cette muraille pour y inclure les maisons bâties au-delà de la
porte d’Haraconcia, le long de la rue de Scalapuria,
d’incorporer dans la muraille la porte Saint-Jacques, en
englobant la chapelle éponyme, et de la rattacher au bastion
Saint-Jacques de la citadelle. Concernant le quartier de
Saint-Michel, Vauban proposa de l’entourer d’une muraille
renforcée à intervalles réguliers de tours pentagonales, ou tours
bastionnées. Cette enceinte, raccordée à la muraille du quartier
de Sainte-Marie à hauteur de la porte des deux moulins, devait
s’étendre largement jusqu’à la Nive d’Eyheraberry et ses deux
extrémités se raccorder aux remparts de la citadelle, d’une part
à hauteur du bastion Saint-Jacques, d’autre part au milieu de la
courtine Sud dominant le Nive. Les trois portes principales, ou les
plus menacées de cette enceinte, porte d’Espagne en haut de la rue
Saint-Michel, porte d’Uhart à l’extrémité de la rue
transversale à celle-ci, et porte de Bayonne devaient être
couvertes par des ravelins en maçonnerie. Ainsi Vauban ne projetait
pas de bâtir autour de l’ensemble constitué par la citadelle et
la cité, une véritable enceinte remparée et bastionnée à la mode
de l’époque. Son projet n’était pas d’aménager à
Saint-Jean-Pied-de-Port une véritable place forte, mais seulement de
mettre la ville à l’abri d’un coup de main.
Cette
enceinte autour de la ville basse aurait été commencée dès 1690
si l’on en croit le sieur Masse18.
Ils auraient connu également une période de travaux à partir de
1700. Ils furent conduits avec une extrême lenteur, ou tout
simplement rapidement interrompus. Il est, en effet, avéré que les
travaux entrepris furent abandonnés en 1713 alors que les fondations
des deux tours bastionnées encadrant la porte d’Espagne et du mur
d’enceinte les reliant n’avaient que six pieds, ou deux mètres,
de hauteur et ne dépassaient le niveau du sol que d’un mètre. Les
rebondissements de la situation en Espagne où la France s’engagea
dans la guerre dite de « Succession d’Espagne »
expliquent la reprise du projet en 1700 et enfin son arrêt définitif
en 1713. Cet abandon des travaux est incontestablement lié à la
signature, au lendemain de la victoire du Maréchal de Villars à
Denain en 1712 et de la reprise de Barcelone par Berwick en 1713, des
traités d’Utrecht en 1713 et de Rastadt en 1714 qui mirent fin à
la guerre de succession d’Espagne. L’armée française du
Maréchal de Berwick avait mené, douze ans durant, cette guerre dans
la péninsule ibérique pour permettre au petit-fils de Louis XIV,
Philippe V, de reconquérir le royaume, que lui avait légué par
testament le roi Charles II d’Espagne, mort sans héritier en 1700.
Salmon confirme que le quartier
de Saint-Michel
n’a pas encore d’enceinte en 1718, mais seulement les fondations
d’un élément d’enceinte d’environ deux cents mètres et de
ses deux tours bastionnées d’extrémité, de part et d’autre de
l’actuelle porte d’Espagne, ainsi que les fondations d’un
retour de mur d’enceinte le long de l’actuelle « rue de
Zuharpeta » sur environ cinquante mètres, jusqu’à son
croisement avec l’actuelle « rue de la fontaine ».
Salmon note, dans son mémoire de 1718, l’existence à cette date
d’une vieille enceinte autour du quartier
de Saint-Michel,
faite de fortifications de campagne en terre, se raccordant sur la
Nive à la muraille entourant le quartier
de Sainte-Marie.
Il s’agit des vestiges de l’enceinte de circonstance de 1636, qui
est alors percée d’une seconde porte, « la
porte d’Uhart »,
donnant directement accès au village éponyme.
Le
deuxième est le Projet
Général pour fortifier la ville et achever les dehors de la
citadelle de Saint Jean Pied de Port du 12 avril 1718 de Monsieur de
Salmon
avec un Plan
de la ville et citadelle annexé au projet général de fortification
du 16 avril 171819.
Concernant la citadelle, il ne prévoit pas de tenaille entre les
bastions sur le front d’attaque, mais seulement une grande
demi-lune symétrique avec sortie de secours sur sa face nord,
protégée en avant par un chemin couvert comportant une place
d’armes saillante. Concernant la ville, il est nettement plus
ambitieux que celui de Vauban. Il propose d’entourer l’ensemble
de la cité, avec ses deux quartiers de Sainte-Marie et de
Saint-Michel et son faubourg d’Ugange, d’une véritable et large
enceinte remparée et bastionnée, renforcée de cinq bastions, dont
un à cheval sur la Nive en aval des deux moulins, et couverte par
quatre demi-lunes en avant des courtines. Cette enceinte devait être
entièrement entourée d’un chemin couvert, constituant une seconde
enceinte, l’enceinte de combat.
Le
troisième projet nous est connu par le Plan
de la ville et de la citadelle de St Jean Pied de Port pour servir au
projet général de 1773 pour 177420.
Il est l’œuvre de l’ingénieur Sicre de Cinq-Mars qui fut
directeur général des fortifications des places de Guyenne et des
Pyrénées à Bayonne de 1770 à sa mort à Bayonne en 1775. A
l’époque, le marquis de Monteynard, nommé ministre de la guerre
en 1771 en remplacement de Choiseul, avait demandé un projet général
de rénovation de chaque place du royaume pour la rendre capable de
la meilleure défense.
Concernant
la citadelle, le projet est de consolider les fausses-brayes sur ses
deux grands côtés, de renforcer chacun des bastions de St Jacques
et St Michel par une contre-garde, de prolonger ses dehors sur
l’esplanade, en avant de la demi-lune de la porte de secours
construite en 1728, par un « bonnet de prêtre »,
comportant un corps de garde, et, à l’extrémité de l’esplanade
sur la hauteur de Gastellumendy, par une lunette, comportant
également un corps de garde, elle-même couverte par deux
contre-gardes. Le projet est enfin d’éclairer et de couvrir la
citadelle ainsi modifiée par une lunette avec caserne, magasin à
poudre et corps de garde, sur la hauteur d’Ipharce. Il est
également projeté d’accroître ses capacités de logement et de
souterrains en y construisant une caserne du sud, symétrique de la
caserne du Nord avec des caves à l’épreuve des bombes.
S’agissant
de la ville, ce projet propose de l’entourer d’une vaste enceinte
remparée et bastionnée à quatre bastions, bastions de France, de
Bonne Nive, du Hart (sic) et d’Espagne, renforcée de deux
demi-lunes, les demi-lunes de France et d’Espagne, se terminant à
ses extrémités par des demi-bastions, les demi-bastions de la
Bonne-Nive et de la porte Saint-Jacques au pied de la citadelle.
Cette grande enceinte bastionnée devait entourer l’ensemble des
trois quartiers de Sainte-Marie, de Saint-Michel et « du
Gange » (sic). Cette enceinte était protégée vers
l’Espagne par un ensemble de deux lunettes, de part de d’autre de
la route au-delà de la porte d’Espagne, ainsi que, sur la hauteur
dominante de Curutchamendy, par un fort bastionné d’une
taille équivalente à la citadelle. Ce « fort de
Curutchamendy » était prévu comme un fort carré à
quatre bastions avec artillerie, magasin à poudre, citerne,
chapelle, relié par des caponnières à l’enceinte bastionnée du
faubourg Saint-Michel. Il était en outre prévu de construire dans
l’ensemble de la ville tous les bâtiments nécessaires en matière
de logement d’officiers, de casernes pour la troupe, d’arsenaux,
de magasins à poudre, de corps de garde, sans omettre une prison à
la porte d’Espagne.
Outre
l’enceinte bastionnée englobant la citadelle et la ville, ce
projet propose la construction d’un grand nombre d’ouvrages
détachés sur les hauteurs avoisinantes, dont la majorité est
reliée à l’enceinte principale de la ville par de longues
caponnières. Ce projet est le témoin d’une évolution importante
dans la conception des fortifications en application des principes de
Louis de Cormontaigne (1695-1752), maréchal de camp de Louis XV,
auteur d’un traité de fortification, constructeur de
fortifications en Lorraine et maître de la guerre de sièges,
considéré comme l’héritier de Vauban. Le budget total à prévoir
pour la citadelle et la ville est estimé à 2,8 millions de livres,
dont 550 000 livres pour le fort de Curutchamendy, 1 500 000
pour l’enceinte de la ville, 550 000 pour la citadelle avec la
lunette d’Iparce et 200 000 d’approvisionnements divers. Ceci
aurait constitué une dépense énorme. Ce projet ambitieux et
coûteux n’a pas été réalisé, comme l’atteste un plan de
179121
qui ne montre aucune réalisation depuis 1774. Mais, ce projet a
servi de base à la conception du camp retranché aménagé durant
les guerres de la Révolution, puis de l’Empire autour de la
citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Salmon
avait établi, en 1723, un autre projet qui n’existe plus dans les
fonds d’archives du SHAT. Il en est de même pour le projet de 1725
et l’addition à ce projet datant de 1726 ainsi que des
observations sur les projets de Vauban et de Salmon établis en cette
même année 1726, par l’ingénieur Damoiseau, qui était sans
doute en poste à Bayonne de 1724 à 1726. La trace de ces documents
se trouve dans l’inventaire du carton d’archives qui fut détruit
lors de l’incendie au Dépôt des Fortifications, déjà mentionné.
Le catalogue de Mme D. Pinzuti22
comporte une carte du projet de Damoiseau. Le fonds d’archives de
la bibliothèque de l’Arsenal comporte les projets des ingénieurs
Canut et Touros, datés de 175323.
Tous ces projets sont peu différents de celui de Salmon, ce qui
explique qu’ils ne sont pas mentionnés dans le document
récapitulatif du Comité des Fortifications daté de 1814. Au plan
de l’évaluation de la menace, le plan de Damoiseau, le premier à
envisager la construction d’un ouvrage sur le mouvement de terrain
de Curutchamendy,
montre qu’à la date de 1725, l’accroissement de la portée des
canons d’artillerie était devenue suffisante pour que la
citadelle, distante d’un kilomètre, y soit devenue vulnérable. Le
jugement de Vauban, émis en 1685, « assez
éloignée des plus hautes pour n’être que médiocrement
incommodée des commandements »,
était devenu caduc.
Ces
projets illustrent l’évolution de la pensée militaire en matière
de fortification au cours du XIXe siècle. De la notion de citadelle,
on passe progressivement à celle de place forte, englobant la
citadelle et la cité adjacente qui doivent constituer un ensemble
défensif global et cohérent. Mais, compte tenu de l’importance
stratégique de Saint-Jean-Pied-de-Port au débouché du Grand
chemin d’Espagne par Roncevaux, rapportée aux contingences
géographiques et topographiques, les projets d’établissement
d’une place forte ne peuvent être que grandioses et les coûts
colossaux. Aussi, les contraintes historiques et financières
conduisent à n’en réaliser aucun.
73- La CITE à la veille de la REVOLUTION FRANCAISE
Le
plan de 177324,
qui distingue clairement l’existant et le projet pour 1774,
confirmé par le plan de 1791, nous donne une bonne connaissance des
fortifications de la cité à la veille de la Révolution française.
Au cours du XVIIIe siècle, la vieille enceinte médiévale n’a pas
été renforcée. Elle a même subi quelques nouveaux dégâts. La
nouvelle enceinte prévue autour du quartier
de Saint-Michel
par le projet de Vauban, à peine commencée à partir de 1690 et
interrompue en 1713, est restée en l’état. Elle se réduit
toujours aux fondations, s’élevant à six pieds (deux mètres) de
hauteur, d’un mur d’enceinte rectiligne en maçonnerie de pierres
de taille, sur une centaine de mètres environ de part et d’autre
de la porte d’Espagne, de deux tours bastionnées à ses extrémités
et d’un retour sur une cinquantaine de mètres d’un mur
d’enceinte en direction de la Nive, sur la partie haute de
l’actuelle rue de Zuharpeta. Mais le quartier
de Saint-Michel
est, en fin de siècle, entouré d’une enceinte rectangulaire en
terre, d’un ouvrage de campagne qui s’appuie sur les fondations
existantes de part et d’autre de la porte d’Espagne, et se
poursuit au-delà des fondations des deux tours bastionnées jusqu’à
la Nive par un retranchement en zigzag, suivant les tracés des
actuelles rues de Zuharpeta et du Fronton. Cette enceinte de fortune
entourant le quartier
de Saint-Michel,
comporte deux portes : la porte d’Espagne et la Porte d’Uhart
à hauteur de la rue éponyme actuelle. Il s’agit d’une
restauration de l’ancien talus établi en 1636, sur un tracé
légèrement différent, plus sinueux, fait de saillants et
rentrants, et légèrement plus étendu vers le Sud, la rue
de Saint-Michel
s’étant allongée entretemps.
En
effet des travaux d’urgence visant à sécuriser le quartier de
Saint-Michel ont été réalisés en 1719. Ce souci de mettre en
toute hâte, puisqu’il ne s’agit que d’ouvrages de campagne en
terre, la cité en état de défense a une cause historique. En
janvier 1719, en effet, la France intervint tardivement dans le
conflit opposant l’Espagne à la « Triple Alliance »
composée de l’Angleterre, des Pays-Bas et de l’Empire, en raison
des prétentions de Philippe V à la couronne de France. Le régent
chargea le Maréchal de Berwick, celui-là même qui avait permis à
Philippe V d’asseoir sa couronne, de mettre en état de défense la
frontière des Pyrénées et de prendre le commandement d’une armée
qui devait entrer en péninsule ibérique pour briser la volonté de
l’Espagne déjà en échec sur le théâtre méditerranéen.
Faisant preuve de prudence devant ce changement d’alliance
vis-à-vis du petit-fils de Louis XIV, Berwick n’engagea que 26 000
hommes, 33 bataillons et 63 escadrons, dans la campagne, mais en
mobilisa autant pour garder les cols pyrénéens. L’effort
principal s’exerça en Biscaye avec la complicité des Anglais
décidés à détruire le potentiel naval espagnol. Le marquis de
Cilly s’empara de Béhobie et Pasajes, fit le siège de Fontarabie
qui tomba le 17 juin 1719 et de Saint Sébastien dont la citadelle
capitula le 17 août. La guerre prit fin avec le traité de Londres
le 17 février 1720.
L’enceinte
de la vieille ville semble cependant avoir été restaurée vers
1730. Les parties abattues en contrebas de la porte d’Haraconcia
ont alors été reconstruites et l’ensemble des parapets protégeant
le chemin de ronde fut rénové. Cette restauration est visible car
les éléments de muraille reconstruits portent en partie sommitale,
au pied du parapet, un cordon caractéristique du mode de
construction de l’époque. La guérite de forme ronde qui équipe
cette muraille à proximité de son coude date de cette restauration.
La guérite de même forme, installée derrière le chevet de
l’église à proximité de la poterne donnant accès à la rivière
est selon toute vraisemblance de la même date. En outre, depuis les
années 1730, la muraille constituant la vieille enceinte a été
prolongée et raccordée à ses deux extrémités : de la porte
Saint-Jacques actuelle au saillant du bastion du Roi d’une part,
et, du chevet de la chapelle Notre-Dame le long du versant de la
montagne au saillant du bastion Saint-Jean d’autre part. Ces
prolongements sont d’une épaisseur moindre que la muraille
médiévale comme on peut encore le constater. Après ces travaux, le
quartier de Sainte-Marie se trouve entièrement entouré d’une
muraille. Cette enceinte est, comme précédemment, percée de quatre
portes. Le plan de l’atlas de 173825
leur donne, pour certaines, de nouvelles dénominations :
« Porte
d’Haraconcia »,
« Porte
de France »,
« Porte
du Marché »
et « Porte
de la Nive ».
La « Porte
du marché »
donne accès à la nouvelle « Place
du marché »
que borde une belle maison neuve, la maison dite « Mansart »
abritant actuellement l’hôtel de ville, avec écurie et hangar,
bordée par un splendide jardin à la française qui s’étend
jusqu’à la Nive juste en aval du moulin situé sur la rive droite
de la rivière. La Porte
de la Nive,
reconstruite en 1777, a alors été transformée en une
« Tour-porte »,
dont l’étage fut utilisé comme salle de réunion par l’assemblée
municipale à partir de 1790 au moins. Au XIXe siècle, elle devint
le clocher de la chapelle Notre-Dame, devenue église paroissiale. A
partir de 1715, les plans indiquent au lieu aujourd’hui appelé
Eyheraberry, le long de la Nive à proximité du pont dit « romain »,
en contrebas de la citadelle, un autre jardin à la française
d’environ 70 m. sur 50 m. appelé « Pré
du Lieutenant du Roy ».
L’ancienne
porte Saint-Jacques, encore indiquée sur les plans, n’a plus de
nom à partir de 1774, tandis que la chapelle contiguë a conservé
celui de chapelle Saint-Jacques. Le mémoire de 1770 confirme
l’existence à cette date de la chapelle Saint-Jacques dont
il propose la destruction car « elle nuit à la défense de
la place ». L’église paroissiale est toujours l’église
Sainte-Eulalie dans le quartier d’Ugange, lequel continue à ne
disposer d’aucune enceinte ni d’aucun retranchement de campagne à
la fin du siècle.
A
la fin du siècle, ni le projet de Vauban, ni celui de Salmon, ni
celui de 1773 n’ont été réalisés. Autour du quartier
Saint-Michel, seule une amorce d’enceinte bastionnée de forme
rectangulaire, qui a connu un début d’exécution à partir de
1700, puis fut abandonnée en 1713, a été transformée lors de la
guerre de 1719 en une enceinte faite d’ouvrages de campagne
raccordée à la muraille ceinturant le quartier Sainte-Marie. Le
projet de Salmon fut le premier qui visait à faire de l’ensemble
constitué par la citadelle et la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port,
une véritable place forte. Les travaux effectués en 1730, qui ont
raccordé la muraille entourant le quartier de Sainte-Marie au
rempart de la citadelle procédaient de la même démarche. Mais en
l’absence d’autres réalisations, il n’est guère possible de
conférer, en cette fin de XVIIIe siècle, l’appellation de « Place
Forte » à la place de Saint-Jean-Pied-de-Port. Dans une telle
situation, lors du déclenchement de la guerre en 1793, au cours de
la Révolution française, la citadelle devint, comme cela a été
décrit au chapitre précédent, le centre d’un camp retranché,
qui fut réactivé et agrandi sous l’Empire.
74- Les PROJETS du XIXe siècle
En
1815, s’acheva définitivement la longue période d’insécurité
engendrée par les guerres de la Révolution et de l’Empire. La
paix rétablie par la seconde restauration bourbonienne fut bien
accueillie. Mais, les problèmes frontaliers furent permanents au
XIXe siècle sur la frontière espagnole. Le traité de Paris en 1815
avait spécifié que l’on procéderait sans tarder à
l’établissement d’une frontière entre la France et l’Espagne.
Des négociations eurent lieu en 1822, des rapports furent établis,
en 1838 notamment, des travaux cadastraux menés près de la redoute
du col de Lindus par exemple. Le problème ne fut définitivement
réglé que par le traité de Bayonne du 2 décembre 1856, ratifié
le 8 juillet et le 13 août 1857. Aussi le souci de renforcer la
frontière resta intact et permanent au moins pendant la première
moitié du XIXe siècle, d’autant que le début des guerres
carlistes en Espagne faisait naître en France un net sentiment
d’inquiétude. Des projets, multiples et grandioses, se fondant sur
les travaux effectués et les expériences faites au cours des
récents conflits, furent ainsi échafaudés par les officiers du
Génie.
Dès
181426,
il fut d’abord envisagé de revêtir de maçonnerie les ouvrages de
campagne « établis
pendant la dernière guerre »
sur les hauteurs environnant la place et d’y construire des réduits
voûtés. Il fut ensuite projeté de fermer la ville par une enceinte
terrassée, revêtue de maçonnerie, flanquée de tours bastionnées,
si possible en utilisant les fondations de 1713 et enfin d’établir
un ouvrage extérieur à « feux
de revers et réduit voûté »
en avant du front d’attaque de la citadelle sur le mouvement de
terrain de Gastellumendy. Le coût en était estimé à 2 millions de
francs. Les attendus du projet précisaient qu’avec sa seule
citadelle, la place n’avait pas une étendue proportionnée à son
rôle, son importance et sa situation, mais que l’on pouvait
facilement donner à la place le degré de force qui lui était
nécessaire. Ce projet resta sans suite bien que l’importance de la
place soit officiellement confirmée par l’ordonnance du 1er
août 1821, qui classa Saint-Jean-Pied-de-Port dans la première
série des places de guerre.
En
Espagne, la restauration avait ramené au pouvoir dans l’enthousiasme
général, Ferdinand VII. Mais le soulèvement qui éclata dans
l’armée en 1820, dégénéra en une guerre civile. Ferdinand VII
ayant fait appel à la Sainte-Alliance, la France fut chargée
d’intervenir en Espagne, ce qu’elle fit en 1823. Aussi la même
année, après avoir envisagé la construction d’un fort sur
l’emplacement de la redoute de Picoçouri à Caro, on projeta de
dépenser 4 millions pour construire une seconde citadelle sur le
mont de Curutchamendy et d’y transporter le centre de la défense
de la place de Saint-Jean-Pied-de-Port, la citadelle du XVIIe siècle
devenant un fort annexe. La position de Curutchamendy était jugée
meilleure car elle constituait la position clef dominant à la fois
les deux vallées des Nives de Béhérobie et d’Arnéguy. Il fut
également prévu de rehausser les parapets de la citadelle et de ses
demi-lunes, et d’y construire sur son côté Sud un casernement
supplémentaire, prévu pour 400 hommes. Enfin, la redoute de
Gastellumendy devait être transformée en un fortin bâti en
maçonnerie, relié par un souterrain à la citadelle.
Entre
1825 et 1827, diverses études furent menées visant à reconstituer
un camp retranché dont la citadelle aurait été le centre, avec une
garnison totale de 2.500 hommes. Ce projet comprenait la construction
d’un fort rectangulaire bastionné important sur le mont de
Curutchamendy ainsi que la reconstruction en maçonnerie des redoutes
de Gastellumendy, Ipharce, Picoçoury et Ispoure. Il correspondait
aux normes de l’époque d’établissement de « places à
forts détachés ». Rapports et plans soulignaient l’importance
de Saint-Jean-Pied-de-Port pour défendre la route de Pampelune en
cas d’invasion de la France. Ils insistaient également sur la
nécessité de rénover la citadelle et de reconstituer le camp
retranché, en prenant en compte les progrès de l’artillerie :
« Malgré ses défauts et ses faiblesses, la citadelle et la
place peuvent encore rendre de grands services et contribuer à
défendre la frontière ». Mais tous ces projets, très
ambitieux, se heurtèrent au problème de leur coût et restèrent
donc sans suite.
A
partir de 1830, les troubles civils en Espagne dont la contagion
inquiétait Louis Philippe, ravivèrent le souci de renforcer la
frontière. Le plan de 183127
prévoyait une enceinte remparée et bastionnée enserrant la
totalité des faubourgs d’Espagne et d’Ugange depuis la Nive à
hauteur du bastion Saint-Jean jusqu’à la porte Saint-Jacques28.
Les projets des années 1831 et 1833 prévoyaient l’aménagement de
part et d’autre de la porte Saint-Jacques de deux batteries
d’artillerie dont celle du sud située dans l’angle de la
muraille au dessus de la route de Zaro. Elles furent construites et
leurs embrasures sont aujourd’hui visibles.
Plus
importants furent les effets de la première guerre carliste
(1833-1840) dont le foyer principal était en Navarre espagnole. A la
mort, en 1833, de Ferdinand VII qui avait abrogé la loi salique en
faveur de sa fille Isabelle II, le frère de Ferdinand, don Carlos de
Bourbon revendiqua le trône. Les « Carlistes » qui le
soutenaient, s’appuyaient essentiellement sur les provinces Nord :
Pays Basque, Navarre, Aragon et Catalogne. Ils prirent Estella comme
capitale. Ils furent vaincus dans la sanglante guerre de 1834-184029.
Le Mémoire et le Plan de 183430
proposèrent à nouveau un projet ambitieux d’établissement d’un
camp retranché pour 6 000 hommes et 100 bouches à feu, dans le
triangle limité par le Laurhibar, la Nive et la montagne
d’Handiamendy. Il prévoyait pour cela de renforcer la citadelle et
la ville haute en améliorant l’existant, et de construire un mur
d’enceinte autour des faubourgs d’Espagne et d’Ugange. Il
proposait d’établir autour de Saint-Jean-Pied-de-Port un camp
retranché comprenant une fortification permanente à Curutchamendy
et des redoutes en maçonnerie à Gastellumendy,
Picoçoury
et Harispuru,
au-dessus du village de Zaro. Ce camp retranché devait être
complété par plusieurs redoutes en terre établies à son
périmètre. Le projet prévoyait enfin de construire sur le côté
Sud de la citadelle, une caserne avec souterrains à l’épreuve de
la bombe pour 260 hommes. Mais le colonel commandant le génie de
Bayonne jugea le projet trop ambitieux et recommanda de le limiter à
l’occupation, en plus de la citadelle des positions de
Curutchamendy,
« clef
de la place forte »,
de Gastellumendy
et de Picoçoury.
Il en évalua la garnison nécessaire à 2 000 hommes. Les autres
positions du camp retranché auraient consisté en des ouvrages de
campagne à construire au moment en cas de conflit.
Mais
la situation politique changea radicalement en 1839. La menace des
Pyrénées ne fut plus alors considérée comme majeure, ce qui
entraîna une révision à la baisse des projets. Par ailleurs, la
crise diplomatique franco-anglaise qui débuta en 1840, engendra un
regain de tension qui imposa d’autres priorités en matière de
fortifications. Cependant, le Comité des Fortifications du 29 avril
184031,
reconnut la nécessité de s’établir solidement à
Saint-Jean-Pied-de-Port, car la ville restait le seul obstacle en
venant de Pampelune, base de dépôts, vers Toulouse et Bordeaux par
la route récemment ouverte par Mont-de-Marsan. Il décida donc de
construire un fort pour occuper le mouvement de terrain de
Curutchamendy, d’améliorer la muraille d’enceinte de la vieille
ville et d’entourer de manière analogue, c’est-à-dire d’un
simple mur d’enceinte, les faubourgs d’Ugange et d’Espagne,
ceci pour les mettre non en état de soutenir un siège mais
seulement à l’abri d’un coup de main. Le coût des travaux fut
estimé à 2 500 000 Fr. Nous verrons que ce projet fut à
l’origine de la construction d’un mur d’enceinte autour du
faubourg d’Espagne.
Plus
aucun projet ambitieux ne fut établi jusqu’à celui de 187032,
qui reprit les plans précédents. Mais l’avis, inscrit sur ce
projet de 1870, par le colonel directeur de l’artillerie de Bayonne
fut définitif : les fortifications de Saint-Jean-Pied-de-Port,
dominées comme elles l’étaient, ne pouvaient pas rester en
l’état. Il fallait donc décider de ce que l’on voulait faire de
ces fortifications dans l’avenir, avant de décider d’améliorations
ponctuelles. La décision finale fut prise de ne rien faire d’autre
de la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port qu’un casernement de
temps de paix pour une garnison.
75- La CITE et la PLACE jusqu’à la fin du XIXe siècle
Les
rapports établis à partir de 1815 mentionnent à nouveau le mauvais
état des fortifications de la place, notamment de la vieille
enceinte entourant la cité, qui a sans aucun doute souffert des
guerres de la Révolution et de l’Empire. Les événements qui
secouèrent l’Espagne au début du XIXe siècle alertèrent à
maintes reprises les autorités françaises. Les fortifications
furent remises en état à partir des années 1830 en réponse à
l’inquiétude engendrée par les soulèvements carlistes en
Espagne. Ce renouveau de l’intérêt porté à la place de
Saint-Jean-Pied-de-Port correspondait surtout à l’arrivée au
pouvoir de Louis-Philippe qui, une fois levée l’interdiction qui
en était faite à la France depuis la chute de l’Empire et le
traité de Vienne, revint à une politique de fortification des
frontières de la France.
Dès
1822, la situation à la frontière entraîna la prise de mesures
militaires. En Espagne, la restauration avait ramené au pouvoir dans
l’enthousiasme général, Ferdinand VII, celui qui avait remis ses
droits à Napoléon à Bayonne en 1807. Mais un groupe libéral
apparut dans l’armée où éclata en 1820 un soulèvement militaire
dirigé par le colonel Riego. Ferdinand VII dut accorder une
constitution et organiser des élections. En 1822, la révolte des
libéraux espagnols fit dépêcher sur la frontière une partie des
troupes de la garnison de Saint-Jean-Pied-de-Port. Un hôpital
militaire fut aménagé dans la ville et l’on procéda à un
approvisionnement de siège. La guerre civile se prolongeant,
Ferdinand VII fit appel à la Sainte-Alliance. Le congrès de Vérone
d’octobre 1822 chargea la France d’intervenir en dépit des
méfiances anglaises. Le peuple espagnol fit bon accueil aux
« défenseurs de la foi ». L’expédition d’Espagne de
1823 marqua le retour de la France dans le concert international, la
réapparition d’une armée française hors de ses frontières, mais
derrière son drapeau blanc, et la renaissance navale française.
L’expédition des « Cent mille fils de Saint Louis »
sous le commandement du duc d’Angoulême, rétablit en 1823
Ferdinand VII dans ses pouvoirs de « roi absolu ».
L’armée des Pyrénées du duc d’Angoulême était forte de 95
000 hommes répartis en six corps d’armée, encadrés par quelques
généraux d’Empire comme Moncey, Molitor et Oudinot. Elle aurait
traversé l’Espagne sans encombre jusqu’à Cadix où les Cortes
avaient entraîné le roi Ferdinand VII si elle n’avait rencontré
de gros problèmes de ravitaillement en cours de route. L’intendance
créée en 1817 fut en effet totalement dépassée. Au cours de cette
expédition, la seule opération digne de ce nom fut le siège de
Cadix qui associa les efforts du duc d’Angoulême et de la marine.
Sous les ordres de l’amiral Duperré, une flotte de 67 bâtiments
dont trois vaisseaux et sept frégates, assura un blocus au large,
avant que l’île Verte et le fort de San Pietri ne soient réduits
par un bombardement naval. Le 31 août, les forces terrestres
conduites par le général Bordessoule prirent d’assaut le fort du
Trocadéro. Le 23 septembre, le feu fut directement ouvert sur Cadix
et la marine débarqua 4 500 hommes pour favoriser l’attaque des
troupes à terre. Le 1er octobre, Cadix capitula et
Ferdinand VII fut libéré. Mais pour garantir sa sécurité, l’armée
des Pyrénées n’évacua que très lentement l’Espagne, les
derniers régiments de la division de Cadix ne partant qu’en
novembre 1828.
En
dépit de cette activité guerrière, et malgré les projets de
rénovation de la place, le plan de 1827 montre que la muraille
entourant la vieille ville est entièrement en état, mais qu’elle
n’a connu aucune amélioration ou modification depuis 1791. Au XIXe
siècle, les quartiers et les rues ont changé de dénomination. La
ville comprend alors le « quartier de la citadelle »
autour de la rue éponyme sur la rive droite de la Nive avec, hors de
la muraille le « quartier d’Ugange », et le
« quartier de Saint-Michel », aussi appelé
parfois « faubourg d’Espagne » autour de la rue
éponyme sur la rive droite. A partir de 1803, après le concordat,
la « chapelle Notre-Dame » est devenue l’église
paroissiale. Le plan de 1793 est le dernier sur lequel figure encore
la « chapelle Saint-Jacques » ainsi que les
vestiges de la porte contiguë. Leur destruction durant les travaux
de construction du camp retranché est ainsi confirmée. Les portes
de la vieille enceinte ont pris leur nom définitif de « Porte
Saint-Jacques, de France, du Marché et de
l’Eglise ». Le plan de 1827 indique la construction
récente d’un corps de garde pour 12 hommes, bâti contre la
vieille enceinte, en contrebas de la porte de France, en haut de la
place du marché, bâtiment actuel siège de la Goizeko Izarra. Ce
corps de garde remplaçait celui qui existait précédemment
au-dessus de la porte de France et s’était écroulé au siècle
précédent à la suite d’un incendie. Le projet de travaux de 1827
pour 1828 fut reporté car la priorité était encore réservée à
la place de Bayonne.
Plus
importants sur la rénovation des fortifications de
Saint-Jean-Pied-de-Port furent les effets de la première guerre
carliste (1833-1840) dont le foyer principal fut la Navarre espagnole
alors que la seconde (1846-1849) affecta principalement la Catalogne.
En fait, des tensions se firent jour dès 1830 lorsque des
constitutionnels espagnols se réfugièrent à
Saint-Jean-Pied-de-Port dans l’attente d’une amnistie à
l’occasion du mariage du roi Ferdinand VII. La question
frontalière, liée à la délimitation des pacages communs aux
troupeaux des deux nations, n’avait pas été résolue par les
traités. Après la révolution des Trois Glorieuses de juillet 1830,
les premières années du nouveau régime français furent troublées
par les craintes nées de l’hostilité de Madrid à l’égard du
nouveau gouvernement. Le bruit courut même que la Navarre armait.
Ainsi,
la réfection du mur d’enceinte de la vieille ville fut réalisée,
entre 1831 et 1834. Elle comprit la création d’un parapet avec des
meurtrières pour fusils, ou créneaux de tir de fusillade, à la
place du parapet médiéval. Ce parapet fut renforcé d’avancées
sur corbeaux avec mâchicoulis, en forme de bretèches, construits en
pierres de taille, qui permettait les tirs de flanquement latéraux
et verticaux au profit des défenseurs de la muraille. Ces travaux
inclurent sans doute également la construction de la petite tour
pentagonale, faisant un léger saillant par rapport à la muraille,
en projet depuis 1832 au moins et apparaissant sur les plans à
compter de 1836, qui renforce cette enceinte à mi-distance entre la
porte de France et l’échauguette d’angle datant du siècle
précédent. Cependant les ravelins extérieurs destinés à
renforcer l’enceinte, projetés en 1831 ne furent pas construits. A
cette date, chacune des quatre portes de la vieille enceinte, portes
Saint-Jacques, de France, du Marché et d’Espagne, disposaient
chacune d’un corps de garde installé dans la maison la plus
proche. Les vantaux en bois de la porte Notre Dame furent refaits en
1832. Ainsi, en 1834, le mur d’enceinte est jugé en bon état. Il
fait 1,50 m d’épaisseur, 8 m de hauteur totale, a un chemin de
ronde, ou banquette, d’un mètre de large, couronné d’un mur
percé de meurtrières de 0,50 m d’épaisseur. Il a un
développement de 700 m. du bastion du roi, au bastion Saint-Jean de
la citadelle. En 1848, un garde-corps est ajouté tout le long du
chemin de ronde de la vieille enceinte. Le plan de 1845 indique que
le bâtiment connu aujourd’hui sous le nom de « Prison des
évêques » sert de « maison de sûreté »
pour la ville. Il montre aussi que le dépôt de manutention, acheté
en 1843 et situé sur la rive gauche de la Nive, est desservi par une
passerelle en bois franchissant la Nive au-delà de l’église. Le
dépôt de manutention est un bâtiment de trois étages, situé vers
l’actuel camping municipal, de plus de 50 mètres de long sur une
vingtaine de large, avec deux silos externes, où sont entreposés
habillements, farine, grains et nourriture. Il fut détruit par un
incendie en 1907.
Cependant,
la question de la défense du faubourg d’Espagne (précédemment
quartier de Saint-Michel) et du faubourg d’Ugange, soulevée par
Vauban dès 1685, qui n’avait connu qu’un début de réalisation
entre 1700 et 1713, était régulièrement rappelée dans les
mémoires et rapports successifs. Elle n’a toujours pas trouvé de
solution en 1839 quand un événement politique d’importance
survient : les relations avec l’Espagne tendirent alors à
évoluer vers l’apaisement, ce qui se concrétisa quelques années
plus tard, en 1846, par l’établissement de liens dynastiques. La
menace des Pyrénées n’était donc plus alors considérée comme
majeure. Aussi les projets de travaux furent-ils immédiatement
révisés à la baisse.
Par
une « décision du 29 avril 1840 », le Comité des
Fortifications ordonna d’entreprendre l’enceinte du faubourg
d’Espagne, puis celle du faubourg d’Ugange, mais pour les mettre
non plus en état de soutenir un siège, mais seulement pour mette la
cité à l’abri d’un coup de main. Les enceintes nouvelles
devaient être construites de manière économique. Il fut décidé
que l’enceinte du faubourg d’Espagne serait seulement constituée
d’un simple mur paré d’un talus uniquement jusqu’à la
banquette de tir. Le mur d’enceinte du faubourg d’Espagne fut
finalement construit entre 1842 et 184833.
Sa partie centrale, de part et d’autre de la porte d’Espagne, est
d’une hauteur de cinq mètres et d’une largeur de deux mètres
environ. Elle est encadrée de deux tours bastionnées, de plan
pentagonal et également constituées d’un simple mur. L’ensemble
de ce mur, qui s’appuie sur les fondations existant depuis 1713,
est renforcé d’arches engagées en plein cintre qui réduisent sa
vulnérabilité aux mines et aux tirs d’artillerie. Les deux ailes
de ce mur d’enceinte, de part et d’autre des deux tours
bastionnées, rejoignent le lit de la Nive vers Eyheraberry d’une
part, à hauteur des deux moulins d’autre part, en adoptant un
tracé nouveau par rapport aux plans antérieurs. Elles englobent
ainsi largement le quartier d’Espagne et le bâtiment de la
manutention34
ainsi que le moulin situé en aval de la cité sur la rive gauche de
la Nive. Elles sont seulement constituées d’un mur vertical en
maçonnerie, de trois mètres et demi de haut sur un mètre de large
seulement, sans arches ni contreforts, d’autre part à proximité
du pont de la manutention. L’ensemble du mur d’enceinte comporte
des meurtrières pour fusils, ou créneaux de tir de fusillade, en
partie basse, au-dessus de la banquette de tir. Il est renforcé par
un total de quatre tours bastionnées pentagonales, dotées de
meurtrières à fusils et d’embrasures pour canons : les deux
déjà citées, dont les fondations préexistaient depuis 1713, et
deux supplémentaires, dont les bases sont plus larges, une sur
chacune des ailes rejoignant la Nive. A côté de la porte d’Espagne,
fut construit dans le mur un bâtiment faisant saillant, qui servait
de poste de garde pour les soldats gardant cette porte. La différence
d’appareil, de choix et de taille des matériaux entre les
fondations de 1713 et les murs élevés à partir de 1842 est
parfaitement visible aujourd’hui35 :
appareil moyen en pierres de grès rouge taillées pour la base de la
partie centrale contre maçonnerie en appareil irrégulier de
moellons et galets pour le reste. De même la différence de mode de
construction est apparente entre la partie centrale, renforcée
d’arches engagées en plein cintre et les deux ailes faites d’un
simple mur aux faces verticales. Cette nouvelle enceinte est percée
de trois portes, celle d’où part le « Grand
chemin d’Espagne par Orisson et Roncevaux »
prend le nom de « Porte
d’Espagne »,
les deux autres respectivement ceux de « Porte
d’Eyheraberry »
et de « Porte
de Baïgorry ».
Quant à la porte de la vielle enceinte dénommée jusqu’alors
« Porte
de la Nive »,
ou parfois « Porte
d’Espagne »
elle devient définitivement alors la « Porte
Notre-Dame ».
La « nouvelle mairie » installée dans le vieil hôpital
de la rue de l’église fut inaugurée en 1840. La « prison
des évêques » restait une prison civile.
Dans
le même temps, le projet de construction d’une enceinte autour du
faubourg d’Ugange était poursuivi. Mais par souci d’économie,
cette enceinte devait être réalisée uniquement en terre. En 1847,
le projet fut définitivement adopté. Les acquisitions de terrain
commencèrent. C’est alors que les habitants de
Saint-Jean-Pied-de-Port firent une pétition pour demander que cette
enceinte couvre une plus vaste étendue. Leur but était de permettre
l’extension de la ville rendue nécessaire par le développement du
commerce avec l’Espagne, que permettait d’envisager le projet de
nouvelle route de Pampelune par Arnéguy. En 1848, les travaux de
construction de l’enceinte d’Ugange furent ajournés, mais les
acquisitions de terrains furent poursuivies sur le tracé non modifié
malgré la pétition. Finalement en 1849, le projet fut annulé de
manière définitive. Le ministre de la guerre décida qu’en cas de
conflit, un retranchement de campagne serait construit autour du
faubourg d’Ugange sur l’emplacement prévu en 1848, dont les
terrains étaient en cours d’acquisition.
Autour
du faubourg d’Ugange, les acquisitions de terrain continuèrent de
1848 à 1853, mais finalement la construction de la seconde partie de
l’enceinte ne fut jamais réalisée. En 1856, le traité de Bayonne
délimita définitivement la frontière entre le département des
Pyrénées-Atlantiques et l’Espagne. Ce traité fut signé lors du
premier séjour du couple impérial à la « Villa Eugénie »,
la résidence d’été qu’il venait de faire construire à
Biarritz. Une stèle commémorative du traité des Pyrénées de 1659
érigée dans l’île des Faisans, ou île de la Conférence, sur la
Bidassoa fut inaugurée en 1861 par Napoléon III, Empereur des
Français, et Isabelle II, reine « des Espagnes ». Quant
à la muraille constituant l’enceinte du quartier de Sainte-Marie,
elle fut jugée en bon état par le rapport établi en 1870 par les
officiers du génie.
Ainsi,
les enceintes de la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port, qui ont été
classées ‘monuments historiques, le 2 décembre 1986, comprennent
aujourd’hui :
-
autour du quartier de Sainte-Marie, devenu de la citadelle, autrement dit la ville haute sur la rive droite de la Nive, une muraille médiévale, remontant aux anciens rois de Navarre, restaurée au cours des siècles, notamment son angle Nord-est vers 1730, dont le parapet médiéval en ruines fut remplacé, vers 1830, selon la mode de l’époque, par un parapet continu, avec meurtrières à fusil, ou créneaux de fusillade, renforcé de petites tourelles de tir de flanquement au fusil, de forme rectangulaire sur corbeaux, en forme de fausses bretèches à mâchicoulis. Cette muraille nous est parvenue en l’état, exception faite de la création malencontreuse, lors d’une restauration malheureuse, effectuée en 1992, d’un pastiche de poterne qui la défigure dès lors qu’elle constitue un anachronisme historique et tactique ;
-
autour du quartier de Saint-Michel, devenu d’Espagne, autrement dit la ville basse sur la rive gauche de la Nive, un simple mur d’enceinte à meurtrières pour fusils, ou créneaux de tir de fusillade, avec banquette de tir, percé de trois portes et renforcé de quatre tours bastionnées, dotées de meurtrières et d’embrasures pour canons, fut construit entre 1842 et 1848, dans le simple but de mettre la ville à l’abri d’un coup de main. Ce mur s’appuie dans sa partie centrale sur les fondations du projet de rempart de Vauban, qui connut un début de réalisation en début de XVIIIe siècle mais fut abandonné en 1713.
Les
défenses de la ville haute ont donc gardé leur caractère médiéval
au prix de quelques restaurations, tandis que la ville basse ne fut
dotée qu’au milieu du XIXe siècle d’un simple mur d’enceinte,
réponse minimale aux ambitieux projets de création d’une place
forte, défendue par une large enceinte bastionnée et remparée,
élaborés par les successeurs de Vauban. Vauban avait renoncé à
faire de Saint-Jean-Pied-de-Port une place forte en raison de la
configuration géographique particulière de la ville, sur laquelle
il porta un jugement assez sévère. Il proposa seulement de
renforcer et d’élargir la muraille pour en faire une enceinte de
sécurité minimale pour la cité. Mais à partir du XVIIIe siècle,
de véritables projets d’établissement à Saint-Jean-Pied-de-Port,
d’une véritable place forte, ceinte de remparts et de bastions,
furent établis à partir du mémoire de Salmon en 1718. C’est, en
effet, à cette époque que se fit jour un changement stratégique
d’importance : la concrétisation d’ensembles défensifs
uniques, englobant deux entités jusqu’alors indépendantes, la
cité fortifiée et la citadelle qui constituèrent dorénavant
ensemble une « place forte ». La date de 1730 constitue à
Saint-Jean-Pied-de-Port la date charnière entre ces deux
conceptions. La première fut celle de la coexistence de deux entités
défensives à vocations différentes, chacune pourvue de sa propre
enceinte fortifiée, le château royal d’une part, la cité,
réduite alors au seul quartier Sainte-Marie, entourée d’une
muraille médiévale, d’autre part. La seconde commença à
s’appliquer en 1730, quand l’enceinte du quartier Sainte-Marie
fut rattachée aux remparts de la citadelle. La notion de place forte
s’appliqua alors puisque se constituait ainsi un ensemble défensif
unique englobant à la fois la citadelle et la cité, réduite
initialement au quartier Sainte-Marie. Elle fut conceptuellement
élargie à ses faubourgs, que l’on prévoyait d’entourer d’une
enceinte unique, afin de constituer ainsi à proprement parler une
véritable place forte. De nombreux projets furent élaborés, qui ne
pouvaient être que grandioses en raison des contraintes
géographiques du site. Tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, les
projets, pour la plupart ambitieux et parfois novateurs, furent très
nombreux. Au XIXe siècle notamment, l’expérience tirée des
combats de la Révolution et de l’Empire autour du camp retranché
de Saint-Jean-Pied-de-Port constitua la base principale de la
réflexion des officiers du génie pour l’élaboration de leurs
projets de création d’une place forte. L’ordonnance du 1er
août 1821, confirmée par la loi du 10 juillet 1851, classa
Saint-Jean-Pied-de-Port dans la première catégorie des places de
guerre. Cependant, les projets ne furent pas suivis de réalisations
concrètes et les projets ne furent jamais exécutés. L’évolution
de la situation politique internationale et l’état des finances
amenèrent à retarder, puis à annuler la construction de cette
place forte. Seul le quartier d’Espagne, fut entouré au milieu du
XIXe siècle d’un simple mur d’enceinte le mettant à l’abri
d’un coup de main.
Il
fut finalement décidé, en 1870, de mettre fin à tout projet
d’amélioration des fortifications. La nouvelle révolution de
l’artillerie avait rendu obsolète les villes à enceintes telles
la place de Saint-Jean-Pied-de-Port, en même temps que sa citadelle.
La cité, où stationna un bataillon du 49e
régiment d’infanterie36,
le régiment de tradition de la ville de Bayonne, resta ville de
garnison jusqu’en 1925. La population montra son attachement à son
statut de ville de garnison, comprenant en temps de paix un
bataillon. A la suite d’une délibération municipale du 16 mars
1897, la ville sollicita l’intervention du préfet auprès du
ministre de la guerre pour obtenir, lors de la formation du 4e
bataillon du 49e
régiment d’infanterie, le retour de sa garnison, qui l’avait
quittée pour participer à l’expédition de Tunisie.
* * *
Ainsi,
Saint-Jean-Pied-de-Port a conservé l’empreinte très forte de ses
origines, médiévale, baroque et classique. L’histoire montre que
la place Saint-Jean-Pied-de-Port a assumé sa destinée militaire.
Appartenant à un théâtre d’opérations parfois majeur,
quelquefois secondaire, elle se trouva en plusieurs occurrences
placée en première ligne. Elle assura dans l’urgence sa mission
durant la guerre de 1719 contre l’Espagne après que la ville ait
été mise à l’abri derrière des fortifications de campagne. Elle
ne devint jamais, ni au XVIIIe, ni au XIXe siècle, une véritable
place forte capable d’assurer avec une totale efficacité la
défense de la frontière face à une attaque majeure. Les projets de
création d’une place forte furent tous abandonnés en raison de
leur coût prohibitif. Paradoxalement, c’est la solution préconisée
par Vauban, qui fut retenue par ses lointains successeurs près de
deux siècles plus tard. Avec sa citadelle bastionnée et sa cité
simplement abritée d’un coup de main par ses murailles et son mur
d’enceinte, elle resta une place de guerre jusqu’à la fin du
XIXe siècle, susceptible de constituer une base pour des actions
offensives, capable d’abriter face à des actions de guérilla les
éléments de soutien logistique, les appuis et les renforts d’une
armée en campagne. C’est finalement à la fin du XIXe siècle que
Saint-Jean-Pied-de-Port perdit non seulement son rôle stratégique,
mais aussi son rôle historique à la suite du traité de paix, signé
à Bayonne en 1856 entre l’Espagne d’Isabelle II et la France de
Napoléon III, qui fixa définitivement la frontière et consacra la
paix entre les deux nations. Ainsi prirent fin plusieurs siècles de
conflits armés quasi permanents, ouverts ou couverts, entre la
France et l’Espagne. Entre temps, la citadelle de
Saint-Jean-Pied-de-Port avait fait concrètement la démonstration de
son importance militaire, durant les guerres de la Révolution, puis
de l’Empire, après l’aménagement, dès le début du conflit,
d’un camp retranché centré sur sa citadelle.
1
Cf. sources manuscrites n° 01 à 05.
2
Cf. sources manuscrites n° 06 à 13.
3
Cf. sources manuscrites n° 04-a et 04-b.
4
Cité par l’abbé Haristoy, Cf. bibliographie n° 35 (op. cit.).
5
Cf. sources cartographiques 31, 23 et 21.
6
Cf. source manuscrite 04-a et source cartographique 24-a.
7
Harako signifie en langue basque « en direction de » ;
Concia rappelle le mot espagnol de concha : la
coquille : cette porte pourrait donner la direction de Saint
Jacques ; Des lieux-dits ‘Harakomendy’, signifiant
« en direction de la montagne » existent.
8
Scalapuria pourrait être la déformation de Escalaburia,
qui en langue basque signifie ‘en haut de l’escalier’.
9
Par opposition aux villes, divisées en quartiers, qui se
définissent par des droits et privilèges qui leur ont été
accordés et par une ceinture de murailles qui les garantit, les
« faux bourgs » ne sont défendus ni par des murailles,
ni par des textes officiels.
10
Nom se référant aux « Cagots », population
marginale descendant de lépreux ou de bohémiens, habitant le
hameau de Portaleburu, situé sur la contre pente de ce mouvement de
terrain.
11
Cf. source manuscrite n° 12.
12
Cf. source manuscrite n° 04-a.
13
Cf. source manuscrite n° 04-b.
14
Cf. source cartographique n° 27.
15
Cf. source manuscrite n° 04-d.
16
Cf. source cartographique n° 29.
17
Voir planche n° 20.
18
Cf. source cartographique n° 24-a: légende de la carte.
19
Voir planche n° 21.
20
Voir planche n° 22.
21
Cf. source manuscrite n° 11.
22
Cf. D. Pinzuti, bibliographie n° 40.
23
Cf. sources manuscrite n° 15 et 16, source cartographique n° 33.
24
Cf. source cartographique n° 29 et planche n° 19.
25
Cf. source cartographique n° 26.
26
Cf. source manuscrite n° 06 et 12.
27
Cf. source manuscrite n° 09.
28
Voir planche n° 23.
29
Les carlistes firent de nouvelles tentatives en 1860 et 1869, puis
déclenchèrent en 1873 une guerre civile qui se termina par leur
défaite en 1879. Le parti carliste se rallia à Franco dès 1936 et
prit une part importante dans les combats de la guerre civile.
30
Cf. source manuscrite n° 10.
31
Cf. idem.
32
Cf. source manuscrite n° 07.
33
On peut remarquer que de 1841 à 1847, la ville de Paris fut
entourée de l’enceinte dite « de Thiers », dont la
construction fut décidée par le roi des Français Louis-Philippe
et son fils, le duc d’Orléans, pour sécuriser Paris dans un
contexte international alors à nouveau dangereux ; cette
enceinte est également constituée d’un simple mur de quelques
mètres de haut. Les enceintes de Paris comprennent celle construite
de 1190 à 1213 par Philippe Auguste, de 1370 par Charles V, de 1633
à 1636 par Louis XIII, de 1784 dite « des fermiers généraux »
et finalement celle de 1841 à 1847 dite « de Thiers ».
34
L’espace laissé libre entre ce mur, le bâtiment de la
manutention et le faubourg d’Espagne fut aménagé en un champ de
tir pour la garnison ; il fut utilisé jusqu’à la
construction à cet endroit à la fin du XIXe siècle du fronton et
de la place libre, inaugurés en 1897 ; un champ de tir fut
alors aménagé à Caro pour la garnison ; il resta en usage
jusqu’à la seconde guerre mondiale.
35
Voir photographie n° 10.
36
La photographie, datant de la fin du XIXe siècle, insérée en fin
de glossaire représente une unité du 49ème R.I., avec
sa cantinière, au champ de tir situé à l’emplacement actuel du
fronton municipal.
CONCLUSION
La
présente recherche réalisée à partir des fonds d’archives du
Service Historique de l’Armée de Terre, de la Bibliothèque
Nationale de France et de l’Institut Géographique National permet
de parvenir à une connaissance approfondie, enrichie et rénovée de
la citadelle et de la place de Saint-Jean-Pied-de-Port. La position
géographique de la cité au pied des ports de Cize, nommément du
col de Roncevaux, lieu de franchissement historique majeur des
Pyrénées depuis l’établissement de la voie romaine de Burdigala
à Astorga, explique son importance stratégique. Elle a
déterminé sa vocation et son destin militaires. Telle qu’elle
nous apparaît aujourd’hui, au pied de sa citadelle et à l’abri
de ses deux enceintes fortifiées, la cité constitue un témoin de
l’histoire des peuples européens, dès lors que sa vie fut rythmée
par l’évolution des relations politiques, diplomatiques et
guerrières entre les royaumes de Navarre, de France et d’Espagne.
Patrimoine de la cité, cet ensemble de fortifications témoigne de
son adaptation aux événements sociaux et politiques de la zone
frontière où elle fut établie, zone de conflits, mais aussi
d’échanges.
Au
Moyen-Âge, un château fort fut construit par les rois de Navarre au
sommet de l’éperon rocheux avancé de la chaîne des Pyrénées,
qui la dominait et commandait les couloirs d’accès au col de
Roncevaux, afin de sécuriser la frontière Nord de leur royaume,
menacée par les retombées des guerres franco-anglaises. Ce château
pourrait avoir été érigé dès le règne de Sanche III le Grand
peu après l’an mille. La tradition en fait remonter la
construction au règne de Sanche VI le Sage à la fin du XIIe siècle,
en réaction au raid mené en 1177 sur les marches d’Aquitaine par
le comte de Poitiers, le futur Richard Coeur de Lion. Quant à Sanche
VII le Fort, dernier roi de la dynastie navarraise, qui aurait bâti
la chapelle « Saint-Jean » ou « Sainte-Marie »,
actuelle église paroissiale Notre-Dame, en témoignage de
reconnaissance après la victoire décisive de 1212 de Las Navas
de Tolosa sur les Maures d’Espagne, il est réputé avoir
entouré d’une muraille le quartier médiéval de Sainte-Marie, qui
s’était créé au pied du château fort. Cette enceinte médiévale,
restaurée à plusieurs reprises à partir du XVIIe siècle, et dont
le parapet fut reconstruit vers 1830 à la mode de l’époque avec
des meurtrières et des tourelles de tir au fusil en forme de fausses
bretèches à mâchicoulis, nous est parvenue dans un excellent état
de conservation, si l’on excepte la récente création
malencontreuse, car historiquement anachronique et tactiquement
inappropriée, d’une poterne factice.
Après
la période troublée de l’histoire de la Navarre aux XVe et XVIe
siècles qui virent se succéder guerres civiles, guerres extérieures
entraînant la partition du royaume entre l’Espagne et la France,
et enfin guerres de religion, le château fort, en grande partie
ruiné, fut réinvesti par les rois de Navarre, soucieux d’affirmer
leur autorité et de tenir en mains une population remuante,
récemment reconquise. Il fut ainsi renforcé face à la cité, par
l’adjonction d’une casemate d’artillerie, témoignage des
premières adaptations de la fortification médiévale aux progrès
que connaissait l’artillerie depuis la fin de la guerre de Cent
ans.
Stratégiquement
idéal pour la défense du royaume de Navarre face à l’Aquitaine
anglaise, ce site resta capital pour la sécurité de la frontière
Sud du royaume de France face à la couronne d’Espagne, même s’il
s’avéra moins bien adapté à ce rôle au fur et à mesure de
l’accroissement de la portée des canons. Les rois de France, sans
doute pour des raisons de continuité historique et d’économies
financières, le conservèrent pour y ériger une citadelle. La
décision pourrait en avoir été prise par Louis XIII à
l’instigation de Richelieu, nouvellement revenu au Conseil, dans le
cadre de la lutte contre les Habsbourg, marquée en 1624 par la crise
de la Valteline, à l’époque important couloir de franchissement
des Alpes entre l’Italie et l’Autriche. Cette citadelle témoigne
de la naissance et de l’évolution de la fortification durant la
Renaissance, puis à l’époque baroque, pour remplacer les châteaux
forts rendus caducs par l’essor d’une artillerie tirant des obus
en fonte. Parvenue à nous quasiment intacte, elle est l’une des
premières réalisations de la fortification bastionnée « à
la Française ». Elle offre l’exemple rare d’une citadelle
telle que la concevaient, quasiment sans ouvrage extérieur ni
dehors, les ingénieurs du Roy de la première moitié
du XVIIe siècle, en appliquant les principes de la géométrie
naissante et les canons de la « Raison classique ».
La
citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port est le fruit d’une
construction continue qui s’étendit sur un siècle de 1625 à
1728. Elle fut édifiée, dès le rattachement de la Basse Navarre au
royaume de France, sur l’emplacement du château fort médiéval
des rois de Navarre. Elle en conserva le donjon qui fut arasé, avec
l’éminence qui le portait, immédiatement après 1685 sur l’ordre
de Vauban. Elle incorpora, sur son front Ouest face à la cité, la
courtine casematée réalisée probablement vers 1530 par le
souverain navarrais, Henri II d’Albret.
Quant
à la citadelle bastionnée primitive, les documents étudiés n’en
révèlent ni le projet initial, ni le nom du constructeur, ni la
date précise de construction. Mais la présente recherche démontre
qu’elle fut édifiée de 1625 à 1627, sous le règne de Louis
XIII, vraisemblablement sous la direction et selon les plans de
l’ingénieur du Roy Pierre de Conty de la Mothe
d’Argencourt, son « l’ingénieur favori de Louis XIII »,
le « fidèle des cardinaux Richelieu et Mazarin ».
Selon le schéma primitif d’une citadelle bastionnée, adapté au
relief montagneux, il opta pour une forme barlongue, sans autre
ouvrage extérieur qu’une petite demi-lune en avant de son unique
porte, la porte royale, qui ouvrait vers la cité. Elle fut
renforcée, sur le front opposé, le front d’attaque, par quelques
ouvrages de campagne en terre, sans doute lors de l’offensive
espagnole de 1636, provoquée par l’engagement de la France dans la
guerre de Trente ans. Des travaux importants de reconstruction et
d’aménagements intérieurs furent réalisés de 1640 à 1648, sous
la direction de l’ingénieur Desjardins, d’après les plans de
l’ingénieur du Roy Duplessis-Besançon. L’enceinte
remparée et bastionnée, qui constitue encore aujourd’hui le gros
oeuvre de la citadelle fut ainsi finalisée.
A
la suite de l’inspection que Vauban, commissaire général des
fortifications de Louis XIV, y conduisit en décembre 1685, de
nouveaux travaux furent immédiatement entrepris et poursuivis jusque
vers 1700, par l’ingénieur François Ferry, directeur régional
des fortifications, assisté du cartographe Claude Masse. La guerre
de succession d’Espagne provoqua leur reprise. N’exécutant que
très partiellement le plan plus ambitieux de Vauban, ces travaux se
contentèrent de réaliser des projets antérieurs non exécutés.
Ils améliorèrent ses capacités tant défensives, par l’adjonction
d’une enceinte de combat extérieure, d’une porte du secours,
puis de son pont d’accès et d’un ravelin le couvrant,
qu’offensives par la construction d’un arsenal, de casernements
additionnels et d’abris souterrains. La priorité fixée par le
marquis de Seignelay était bien le soutien d’opérations
offensives envisagées par Louis XIV vers Pampelune. Ces aménagements
n’altérèrent pas ses caractéristiques originelles. Ils
s’inscrivirent dans la fidélité aux conceptions de ses
constructeurs initiaux, les ingénieurs militaires de Louis XIII,
précurseurs de Vauban. Ainsi, cette citadelle n’est ni une
citadelle de Vauban, bien que son inspection y provoqua certains
travaux, ni une citadelle « à la Vauban », comme
l’affirment par erreur certains documents à vocation touristique.
Lui-même, dans son Projet de Paix signé à Plaisir le 2
février 1706, en réfute implicitement la paternité.
La
citadelle fut pour ainsi dire achevée au début du XVIIIe siècle,
avec la construction sur son front d’attaque face à l’Espagne,
d’un ouvrage extérieur, une redoute d’artillerie en forme de
demi-lune « à la manière de Vauban », qui recouvrait le
ravelin existant, afin d’améliorer sa capacité défensive en
battant de ses feux le débouché du « Grand Chemin
d’Espagne par Orisson et Roncevaux ». Quant aux travaux
postérieurs, notamment du XIXe siècle, ils ne furent que de
rénovation. Parfaitement identifiables à l’exemple du
remplacement de plusieurs talus remparés constituant les tenailles
et caponnières de circulation d’origine par des murs à
créneaux de fusillade, caractéristiques de l’époque moderne,
ils ne provoquèrent aucune altération notable. Aucun ouvrage
défigurant n’a été greffé postérieurement. La citadelle,
enfin, ne souffrit ni des dommages du temps, ni des dégâts des
guerres.
Cette
citadelle se présente comme un ouvrage empreint d’une grande unité
de conception, respectant le schéma primitif d’une citadelle
bastionnée. S’inscrivant dans un rectangle d’environ 110 mètres
sur 160, la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port abritait au XVIIIe
siècle une garnison de cinq cent cinquante hommes aux ordres d’un
« Lieutenant du Roy » assisté d’un « Major »
et de treize officiers, dont l’armement comprenait fusils,
carabines et piques ainsi qu’une vingtaine de canons. Ses abris et
couloirs souterrains, ses magasins à poudre et à vivres, sa
boulangerie, sa citerne et son puits profond de plus de quarante
mètres lui conféraient une autonomie dépassant cent jours, bien
supérieure au mois prescrit par les instructions de Vauban, restées
en vigueur.
La
citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port prit part durant quatre siècles
à l’histoire de la défense de la frontière naturelle de la
France sur les Pyrénées. Si le château fort médiéval succomba, à
plusieurs reprises, à des assauts notamment durant la guerre de
conquête de la Navarre par le roi des Espagnes, la citadelle a
toujours rempli sa mission et ne fut jamais prise. Après avoir connu
la paix depuis la fin des guerres de religion, la cité dut
rapidement affronter la récurrence des hostilités entre la France
et I'Espagne. Construite à l’origine pour affirmer la souveraineté
du roi de France sur les débouchés du col de Roncevaux et sur la
Basse-Navarre, la citadelle nouvellement édifiée assuma, dès 1636,
un rôle de dissuasion face aux armées de Philippe IV, comme elle le
fit à nouveau en 1813 face à Wellington, qui, l’un et l’autre,
préférèrent attaquer par la voie côtière plutôt que par
Roncevaux. Elle joua essentiellement un rôle de base logistique lors
des actions offensives contre l’Espagne des XVIIIe et XIXe siècles,
de 1701 à 1713, puis en 1725-26, et finalement lors de
l’intervention française de 1823. Elle se trouva, surtout, engagée
en première ligne des combats au cours des guerres de la Révolution
et de l’Empire. Elle fit alors la démonstration concrète de sa
valeur opérationnelle en devenant le centre d’un vaste « Camp
Retranché », qui, couvrant l’ensemble de la vallée de Cize,
comporta finalement une douzaine d’ouvrages majeurs. Ce camp
retranché assuma pleinement sa mission comme pivot des opérations
tant initialement défensives qu’ensuite offensives de l’Armée
des Pyrénées Occidentales, de 1793 à 1795. Constituant, à
partir de 1808, en avant de Bayonne au pied du col de Roncevaux une
base avancée de l’armée d’Espagne sur son second itinéraire
logistique, il devint le point d’appui de la défense de la
frontière pyrénéenne en 1813, après la défaite de Vitoria, puis
la base de rassemblement et de soutien du retour offensif de Soult
vers Pampelune en juillet 1813, pour être finalement, avec Bayonne,
l’un des deux points d’ancrage de la manœuvre de défense en
profondeur de Soult d’octobre 1813 à fin avril 1814.
La
citadelle elle-même et plus encore la place de
Saint-Jean-Pied-de-Port furent, tout au long des XVIIIe et XIXe
siècles, l’objet de nombreux projets, souvent très ambitieux.
C’est à partir du plan de Salmon en 1718, qui projetait d’entourer
la citadelle, la cité et ses faubourgs d’une large enceinte
bastionnée, qu’apparut à Saint-Jean-Pied-de-Port le premier
projet tendant à concrétiser l’idée alors nouvelle de « place
forte », qui connut un bref début de réalisation lorsque les
deux entités jusqu’alors distinctes de la citadelle et de la cité
furent fondues en un ensemble défensif unique. Mais soumis à de
dures contraintes financières, ces projets ne furent suivis que de
réalisations partielles et mineures.
L’expérience
tirée des combats de la Révolution et de l’Empire autour du camp
retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port constitua la base de la
réflexion des officiers du génie au XIXe siècle pour l’élaboration
des projets de remaniement de la place visant à y établir une
« place à forts détachés ». Restés eux aussi lettre
morte, ils débouchèrent sur la construction, de 1842 à 1848,
autour de la ville basse, le « faubourg de Saint-Michel »,
devenu « faubourg d’Espagne » sur la rive gauche
de la Nive, d’un simple mur d’enceinte percé de meurtrières,
renforcé de quatre tours bastionnées. Ce succédané minimaliste
des projets grandioses des successeurs de Vauban, destiné seulement
à mettre cette cité frontalière à l’abri d’un coup de main,
constitue l’un des tout derniers exemples de construction d’une
enceinte urbaine. Cette réalisation confirme le bien-fondé des
propositions du commissaire cénéral des fortifications de Louis XIV
qui avait renoncé, en dépit de l’importance stratégique de la
place qu’il soulignait, à y établir une place forte pour des
raisons de réalisme et de coût.
Malgré
le traité des Pyrénées de 1659, la frontière resta une zone de
confrontation entre la France et l’Espagne jusqu’en 1840. Son
tracé ne fut définitivement réglé qu’en 1856 par le traité de
Bayonne. La place conserva son statut de « place de guerre »
jusqu’en 1870, date à laquelle il fut définitivement décidé
d’arrêter tout projet d’amélioration de ses fortifications et
de faire de la citadelle un simple casernement de temps de paix pour
une garnison, ce qu’elle fut jusqu’en 1925. En effet, la
fortification bastionnée née au XVIe siècle en réponse aux
progrès de l’artillerie, garda tout son intérêt jusqu’aux
nouveaux progrès décisifs de l’artillerie, marqués par
l’apparition du canon à âme rayée, du chargement par la culasse
et de l’obus explosif vers 1850, permettant de bombarder une place
avec efficacité à plusieurs kilomètres de distance, qui rendirent
obsolètes les fortifications bastionnées et les villes à enceintes
du type de celle de Saint-Jean-Pied-de-Port. Le temps de
l’architecture bastionnée était alors définitivement révolu
après trois cent cinquante ans de bons et loyaux services aux
frontières. La ville et la citadelle perdirent ainsi, au milieu du
XXe siècle, son intérêt politique, sa valeur stratégique et son
importance militaire.
La
citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port permet de contribuer à la
connaissance de l’histoire de la fortification à la Renaissance et
à l’époque baroque. Construite de manière continue au XVIIe
siècle et maintenue en parfait état de conservation, elle nous est
parvenue en l’état qui était le sien à la fin de sa construction
en 1730, sans avoir subi aucune modification, altération ou addition
notable. Si le capitaine Duvignau, officier du génie, pouvait en
1794 le déplorer, nous ne pouvons que nous en féliciter. En effet,
cette caractéristique lui confère aujourd’hui un intérêt
majeur.
Elle
constitue ainsi un exemple rare, sans doute unique, et représentatif
de la fortification bastionnée telle que la concevaient les
premières générations d’ingénieurs militaires, précurseurs de
Vauban, nommément son constructeur, l’ingénieur du Roy
Pierre de Conty de la Mothe d’Argencourt, l’ingénieur favori de
Louis XIII, dont elle constitue un exemplaire intact, donc
authentique. Sentinelle gardant le col de Roncevaux, vivant au rythme
des relations transfrontalières, témoin de l’histoire commune de
la Navarre, de l’Espagne et de la France, maillon capital de
l’évolution de l’art de la fortification à partir de la
Renaissance, la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port porte ainsi
l’empreinte des ingénieurs de l’école de fortification créée
en France au début du XVIIe siècle par Henri IV et Sully,
développée par Louis XVIII et Richelieu, parmi lesquels de
remarquables praticiens et théoriciens, dont la valeur fut éclipsée,
sous Louis XIV, par le génie et la stature du maréchal de Vauban.
Ainsi
la place et la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port présentent un
grand intérêt culturel didactique et pédagogique, et ce à
plusieurs égards :
-
un panorama concret de l’histoire de la fortification depuis la muraille médiévale jusqu’au mur d’enceinte à meurtrières du XIXe siècle, en passant par la casemate d’artillerie de la Renaissance et, surtout, par la fortification bastionnée et remparée du XVIIe siècle ;
-
un exemple, de taille humaine, de l’architecture militaire du XVIIe siècle, réalisation de l’ingénieur du Roy préféré de Louis XIII, permettant d’expliquer simplement les principes fondateurs et les tâtonnements de la fortification bastionnée primitive ;
-
une représentation de l’évolution de la poliorcétique et de la fortification bastionnée, du modèle primitif aux chefs-d’œuvre de Vauban, illustrée par la création de l’enceinte de combat extérieure, la redoute d’artillerie en forme de demi-lune à la manière de Vauban et le système de communications souterraines qui la traversent ;
-
un aperçu de l’adaptation de la fortification bastionnée au relief de montagne par opposition aux caractéristiques de fortification de plaine qu’elle présente quand on l’aborde en venant de l’Est face à son front d’attaque ;
-
une illustration vivante de la vie et du fonctionnement d’une citadelle au XVIIe siècle, grâce à l’état de conservation et à la connaissance détaillée que nous avons de son organisation et de son agencement ainsi que de ses capacités militaires et logistiques ;
-
un modèle et une mémoire de la tactique et de la stratégie opérationnelle à l’époque des guerres de la Révolution et de l’Empire, grâce aux vestiges encore existants du camp retranché dont la citadelle fut le centre.
La
ville de Saint-Jean-Pied-de-Port a la chance inestimable de posséder
un ensemble d’enceintes fortifiées de qualité, autour du joyau de
la fortification bastionnée de l’époque baroque que représente
sa citadelle, ouvrage rare qui est trop longtemps resté méconnu. Il
lui revient maintenant de s’approprier ce patrimoine, classé
« monument historique », en prenant une pleine conscience
de sa richesse et de son intérêt. Il lui appartient de le conserver
et de le valoriser, de le révéler tant au grand public qu’aux
amateurs d’Histoire, de le faire connaître et de faciliter son
exploitation. Il importe aussi de le protéger de toute restauration
hasardeuse. Sa réhabilitation apparaît une nécessité car il
constitue une chance et un atout pour les Pays de Cize et de
Baïgorry, en participant à leur développement touristique et en
leur permettant de gagner en rayonnement culturel. Des opérations de
mise en valeur et d’animation culturelles de la citadelle, ainsi
que des aménagements d’accueil du public sont aisément
envisageables.
La
présente étude mériterait d’être poursuivie et approfondie afin
d’en préciser et d’en compléter les conclusions. Des recherches
dans les archives départementales et municipales de Pau et Bayonne,
ainsi que dans les fonds archivistiques existant en Espagne,
notamment à Pampelune ou à Simancas, devraient permettre de
préciser notre connaissance de l’histoire du château fort des
rois de Navarre et de la cité médiévale de
Saint-Jean-Pied-de-Port.
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