VI. Le camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port sous la Révolution et l'Empire

Les mémoires et rapports établis au XIXe siècle par les officiers du génie se fondent sur les leçons des événements historiques des périodes de la Révolution et de l’Empire pour expliquer et justifier les projets de travaux d’amélioration et de rénovation de la place qu’ils présentent. En effet, après avoir connu la paix, malgré la récurrence des hostilités entre la France et l’Espagne depuis la fin des Guerres de Religion, la place forte de Saint-Jean-Pied-de-Port se trouva directement impliquée dans les opérations menées au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Au cours des guerres contre l’Espagne de la Révolution puis de l’Empire, la citadelle devint le centre d’un vaste camp retranché, comptant jusqu’à une douzaine d’ouvrages importants1. Contrôlant l’itinéraire majeur entre la France et l’Espagne que constituait le Grand Chemin de Pampelune par Orisson et Roncevaux, ce camp retranché assuma un rôle déterminant tant dans le cadre de la défense de la frontière qu’en appui des opérations offensives. La lutte contre l’Espagne de 1792 à 1795, les campagnes du Portugal et d’Espagne de 1808 à 1813, les opérations de Soult en 1813 et 1814 ont ainsi fait jouer à la vieille citadelle un rôle éminent dans des événements d’importance capitale. Il convient donc de décrire les conditions de la création du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port sous la Révolution, puis de son développement sous l’Empire, et de rappeler son implication dans les différentes phases des combats qui se déroulèrent à cette époque, tant au-delà que sur la frontière des Pyrénées. Ces événements sont évoqués dans les rapports des officiers du génie du XIXe siècle2. Ils sont relatés en détail dans quelques livres relatifs à la guerre d’Espagne édités au début du XXe siècle, conservés dans la salle de consultation des archives du SHAT3, et dans les ouvrages d’histoire régionale4.

61- Le PROJET de PLACE FORTE de 1773

Pour Vauban, expert en artillerie autant qu’en fortification, la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port était « assez éloignée des plus hautes montagnes pour n’être que médiocrement incommodée des commandements ». Ce propos visait essentiellement le mont de Curutchamendy qui, distant de 1 kilomètre, domine d’une soixantaine de mètres la place d’armes de la citadelle. En 1718, M. de Salmon émit le même jugement. Le projet le plus ancien de construction d’une redoute sur ce mont est celui que l’ingénieur Damoiseau rédigea en 1725. Il prouve qu’à cette date, l’accroissement de la portée et de la précision des canons rendait leur tir efficace à cette distance.
Dès les origines, le rôle des fortifications était non seulement de contrôler un espace, mais aussi de constituer une base logistique concentrant hommes et matériels aux frontières, en vue d’une éventuelle guerre offensive. La directive de Louis XIV transmise par le marquis de Seignelay, le fils de Colbert, à Vauban et Ferry en janvier 1686, donnait ce rôle prioritaire à la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port. Au XVIIIe siècle, l’art militaire se renouvela en entraînant un retour à la guerre de mouvement, ce qui confirma l’évolution du rôle des places fortes. Alors, se développa le concept innovant de « camp retranché », vaste zone de bivouacs adjacente à une place forte, protégée par une ceinture d’ouvrages de fortification permanents ou de campagne : forts, redoutes, fortins, lunettes et autres, qui se couvraient mutuellement de leurs feux. Ces camps retranchés permettaient de rassembler des armées nombreuses, puis de les lancer dans des opérations offensives. Ils leur permettaient de manoeuvrer en s’appuyant sur les points d’appui qu’ils représentaient et d’être ravitaillés à partir des bases logistiques qu’ils constituaient.
Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, l’engagement de la France dans la guerre de libération des colonies anglaises d’Amérique remit d’actualité la frontière des Pyrénées. Il ne s’agissait plus de s’y prémunir contre la menace espagnole, mais de se préparer à y contrer une possible attaque anglaise contre les frontières Sud de la France, menée par une armée britannique qui aurait débarqué dans la péninsule ibérique. C’est ainsi que le Mémoire sur Saint Jean Pied de Port relatif au projet général de 1773 pour 1774 préconisait, outre des travaux importants dans la citadelle et autour de la ville, l’établissement, autour de la place, d’un camp retranché pouvant contenir dix à douze mille hommes. Ce projet prévoyait:
  • sur la montagne de Curutchamendy, « qui domine tous les environs, dont le chemin de Roncevaux seul débouché pour de l’artillerie et la vallée de Valcarlos débouché pour des troupes à pied », la construction d’un fort carré à quatre bastions, doté d’artillerie, couvert par une demi-lune sur le front face à l’ennemi ; les bâtiments intérieurs comprenaient un corps de caserne pour 250 hommes ainsi que toutes les installations de vie et de soutien nécessaires à la conduite de sa défense.
  • sur la crête de Gastellumendy, le ressaut à l’extrémité de l’esplanade de la citadelle, qui domine la vallée de Saint-Michel, d’une part, et sur la montagne d’Yparce (Ipharce) qui contrôle la vallée de Behorleguy, d’autre part, la construction de deux lunettes avec corps de caserne, qui se couvraient réciproquement.
  • sur la montagne de Saron (crête dominant le village de Caro)5, « qui est à environ 1 200 toises des ouvrages extérieurs actuels de la citadelle, tenant à la chaîne de montagnes sur l’extrémité de laquelle est construite la dite citadelle », la construction d’un ouvrage en terre.
Il était en outre proposé de compléter ce camp retranché par la construction d’un ouvrage avancé sur le chemin de Roncevaux, 9 kilomètres au sud de la citadelle à hauteur du bois d’Orisson et 1 kilomètre au Nord de Château Pignon, au sommet de la montagne d’Hostateguy (1142 m.), « qui domine sur tout ce qui l’environne même en avant à plus de 1 000 toises de distance, notamment le chemin de Roncevaux, et où l’on pourrait arrêter l’ennemi fort longtemps, le point à occuper n’étant attaquable que de front ».
Ce projet de 1773 ne comporte pas de signature dans le volume du Colonel Bérard. Le catalogue de D. Pinzuti le révèle : Sicre de Cinq-Mars. Il ne fut suivi d’aucune réalisation. Mais, vingt ans plus tard, il fut repris et il constitua la base des travaux effectués lors du déclenchement des hostilités avec l’Espagne.

62- La CAMPAGNE de 1793-1795 dans les PYRENEES6

En 1789, les États de Navarre tinrent leur session annuelle ordinaire du 16 mars au 8 avril, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Ils refusèrent d’être traités comme les représentants d’une province française et ne participèrent pas aux États généraux ouverts à Versailles le 5 mai 1789. La municipalité se prévalait du calme des habitants, dont l’assemblée générale avec le maire et les jurats, s’était tenue le 22 février 1789. L’assemblée extraordinaire des États de Navarre se tint à Saint-Jean-Pied-de-Port du 15 juin au 6 juillet 1789. Elle décida d’envoyer à Versailles des délégués aux pouvoirs très limités. Elle procéda à l’élection des quatre députés aux États Généraux de Versailles : Etienne Joseph de Villevieille, évêque de Bayonne pour le clergé, Monsieur de Logras, marquis d’Olhonce, conseiller au parlement de Pau pour la noblesse, les sieurs de Vivié, député de Garris et Franchisteguy, notaire à Saint-Jean-Pied-de-Port pour le tiers-état. La députation reçut pour mission d’obtenir le serment promis par Louis XVI en 1776 de respect du For de Navarre. Ce fut également à Saint-Jean-Pied-de-Port que se tint la dernière réunion des États de Navarre du 19 au 22 septembre 1789, qui devait décider si les décrets de l’Assemblée nationale s’appliquaient en Navarre et se sépara sur un constat de désaccord. Quelques jours plus tard, l’Assemblée nationale donna à Louis XVI le titre de « roi des Français », sans plus aucune référence à la Navarre. Ville après ville (Saint-Jean-Pied-de-Port le 13 décembre), toute la Navarre se rallia à la France le 30 décembre 1789. Les départements, divisés en districts dont celui de Saint-Palais épousait les frontières de la Basse Navarre, furent créés le 15 janvier 1790. Les extraits des délibérations de la municipalité de Saint-Jean-Pied-de-Port, dont les assemblées se tenaient alors dans l’église Notre-Dame, nous apprennent que, le 12 février 1790, la nouvelle municipalité prêta le serment constitutionnel d’être fidèle à la Nation, au Roy et à la loi.
La France était encore en paix. Dans le cadre de mesures de précaution générales, une lettre du ministre de la Guerre du 17 mai 1791, demanda un rapport sur les moyens de porter nos places au plus haut degré de résistance. Si les bons rapports entretenus avec l’Espagne expliquaient le peu d’améliorations apportées à la place de Saint-Jean-Pied-de-Port dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la dégradation de ces mêmes rapports en 1791 replaçait la ville frontière au centre des préoccupations du génie7. Le capitaine Duvignau-Duverger, officier de la direction du génie de Bayonne, rédigea un mémoire dans lequel il déplorait que les travaux d’amélioration demandés n’aient pas été réalisés : sur le front d’attaque, la demi-lune était couverte par un commencement de chemin couvert, mais les deux places d’armes rentrantes étaient restées en projet. Le capitaine Duvignau-Duverger stigmatisait l’indifférence coupable des « tyrans qui avaient négligé les fortifications pour dilapider l’argent de la Nation ».Ainsi, la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port se trouvait-elle « dans l’état où elle était il y a soixante-dix ans! ». Quant aux fortifications de la ville et du faubourg d’Espagne, leur état était tel qu’il jugeait préférable de ne pas s’en occuper. Son avis était donc de ne rien entreprendre dans la ville et de consacrer les ressources à la citadelle, bien qu’elle eut peu de valeur car commandée sur toutes les directions par les hauteurs environnantes. Il proposa donc d’élever le chemin couvert du front d’attaque, d’y construire les deux places d’armes rentrantes, d’entourer la citadelle de retranchements et de remettre en état les communications souterraines. Les travaux de renforcement réalisés en fascines furent rapidement détériorés par les pluies d’hiver. Ils reprirent l’année suivante puisque, le 16 novembre 1792, le capitaine Duvignau-Duverger procéda à l‘expropriation de parcelles, trois pièces de vigne du côté de l’esplanade de la citadelle, afin d’élargir les glacis en avant du chemin couvert sur son front d’attaque. Le procès-verbal d’expropriation fut signé du maire, Curutcheta, des officiers municipaux, Elissalde, Louis Simond et Renaud ainsi que du secrétaire greffier, Larronde. Les propriétaires des trois pièces de vignes se nommaient Molbert, Sainte-Marie et Darralde.
Sous Louis XVI, la politique de Choiseul avait fait de l’alliance avec l’Espagne le pivot de la politique étrangère française, fidèle à l’esprit du Pacte de Famille conclu en 1761 entre Louis XV et Charles III. Elle s’était efforcée de liquider tous les points litigieux entre les deux nations. Lors des débuts de la Révolution, France et Espagne avaient tenu à en respecter les termes et à maintenir la paix entre les deux nations. Cependant, la délimitation des frontières navarraises demeurait un problème non réglé d’autant qu’à l’éternelle question des pacages s’ajoutaient les convoitises suscitées par les mines de fer, comme celles d’Ondarolle, et par les forêts avoisinantes nécessaires à l’alimentation des forges. Les négociateurs, le comte d’Ornano pour la France et Don Ventura Caro pour l’Espagne, avaient finalement signé, le 27 août 1785 à Elizondo, malgré les protestations locales véhémentes, un accord de compromis, le « Traité des Limites », pour la définition de la frontière et des droits de pacage. Il déchaîna des explosions de colère en pays de Cize et de Baïgorry, car le comte d’Ornano avait du consentir à quelques abandons. L’échange des ratifications n’ayant pas pu avoir lieu avant la tourmente révolutionnaire, ce traité n’était pas entré en vigueur. Mais le compromis de 1785 n’ayant satisfait personne, il régnait en 1792 dans les vallées de Navarre une ambiance pouvant à tout instant conduire à des incidents locaux. A la suite de l’entrée en guerre contre la France de l’empire d’Autriche et de la Prusse en avril 1792, la Patrie fut déclarée en danger le 11 juillet 1792 par la Convention nationale8. La France fut sauvée du danger d’invasion par la victoire de Valmy du 20 septembre 1792. Bien que la Paix continuait à régner avec le royaume d’Espagne, des concentrations de forces armées espagnoles se produisirent à la frontière, sur les confins de la Navarre et du Guipuzcoa, dès la fin de l’été 1792. Les habitants des pays de Cize et Baïgorry qui se considéraient en guerre contre les Espagnols depuis la signature du traité des limites en 1785, assumèrent spontanément la garde de leur frontière. Le 2 septembre 1792, la municipalité de Saint-Jean-Pied-de-Port proclama la mise en alerte de la garde nationale, assujettie à deux séances d’instruction militaire hebdomadaires en réponse aux dispositions de mise sur pied de guerre de ses troupes par le roi d’Espagne. Le gouvernement se préoccupa de l’état des places frontière. Les représentants du peuple, commissaires de la Convention Nationale, Carnot, Lamarque et Garrau, arrivèrent à Bayonne le 2 novembre 1792 « pour préparer la défense nationale contre une éventuelle agression de l’Espagne ». Ils se rendirent à Saint-Jean-Pied-de-Port le 6 novembre et y prescrivirent divers travaux d’amélioration de la citadelle. Ils autorisèrent officiellement la création de quatre compagnies franches, regroupant les habitants ayant spontanément pris les armes, dont les hommes élirent pour chefs: Iriart, Lassale, Berindoague et Harispe. Le corps des Chasseurs Basques ainsi formé, s’accrut jusqu’au 7 mars 1793, date de la déclaration de guerre, et atteignit l’effectif de dix compagnies. Il fut plus tard organisé en quatre bataillons sous les ordres d’Harispe, Lassalle, Bordarrampé et La Victoire (pseudonyme de Joseph Matenot d’Uhart-Cize, mort général de brigade en 1794, au col de Berdaritz). Engagés dès le printemps 1793 dans la guerre contre l’Espagne, ils participèrent à toutes les campagnes jusqu’en 1795, leurs dépôts demeurant sur le territoire de la division de Saint-Jean-Pied-de-Port. En juin 1794, fut créée la demi-brigade de chasseurs basques, regroupant les trois premiers de ces bataillons, commandée successivement par Lavictoire puis Harispe. Par ailleurs, le régiment de Chasseurs Cantabres, récemment recréé, tenait garnison à Saint-Jean-Pied-de-Port et Navarrenx depuis 1788. Il avait pris le nom de 5e bataillon d’infanterie légère. Moncey, le futur commandant de la 3ème division, y était capitaine.
Profitant de ses bonnes relations, Charles IV essayait d’influer sur les décisions de Paris concernant le sort du roi de France. L’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, provoqua la déclaration de guerre à la France de l’Angleterre inquiète de l’installation de l’armée française en Belgique après la contre-offensive qui suivit les victoires de Valmy (20 septembre 1792) et Jemmapes (6 novembre 1792). Paris prit, le 7 mars 1793, l’initiative de la guerre avec l’Espagne qui, à son tour, la déclara à la France le 23 mars 1793. En ce printemps 1793, la situation militaire était grave. Sur les Pyrénées, l’armée espagnole était forte de 18 000 hommes, dont douze mille fantassins, six cents cavaliers et une artillerie nombreuse, commandée par le général Don Ventura Caro, le négociateur du Traité des limites.
Le décret du 30 avril 1793, pris un mois après la déclaration de guerre, créa à partir de l’armée des Pyrénées de Toulouse, deux armées, dont une « Armée des Pyrénées Orientales et du Roussillon » aux ordres du général Chamron et une « Armée des Pyrénées Occidentales » aux ordres du général Servan de Gerbey, commandant jusqu’alors l’armée des Pyrénées. Son Quartier Général fut successivement installé à Bayonne, puis à Saint-Jean-de-Luz. Déployée dans le triangle Hendaye, Bayonne, Saint-Jean-Pied-de-Port, cette armée comprenait alors 8 000 hommes, en majorité des jeunes recrues, formant 15 bataillons et 18 compagnies franches articulés en deux divisions. La division de gauche qui tenait le secteur de Bidarray à Iraty, avait son P.C. à Saint-Jean-Pied-de-Port. Son commandement fut confié au général Lamoureux de la Genetière qui depuis le mois de mars avait remplacé le général Nuce comme commandant de la place. Cette division comptait 6 bataillons et demi ainsi que les dix compagnies de chasseurs basques, répartis entre Château Pignon (3 bataillons), Arnéguy-Ondarolle (2 bataillons), Les Aldudes et les cols d’Ispeguy, Bustancelay, Berdaritz (1 bataillon et 2 compagnies). Un dernier bataillon était en réserve à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le dispositif français, linéaire, très étalé et sans réserve, permettait de surveiller la frontière, mais non de la défendre face à une réelle offensive. Face aux deux armées françaises, l’Espagne déploya trois armées, celle du Roussillon, celle de l’Aragon et l’armée de Guipuzcoa et Navarre aux ordres du Lieutenant Général Don Ventura Caro. Cette dernière protégeait les directions de Saint-Sébastien et de Pampelune. Elle tenait notamment, appuyée sur des retranchements, les hauteurs de l’Alto Biscar, d’Ibaneta et du Lindus, la forêt d’Iraty ainsi que les fonderies d’Eugui et d’Orbaïceta.
Les opérations de l’Armée des Pyrénées Occidentales se déroulèrent d’avril 1793 à août 1795 en trois phases, séparées par les périodes d’hiver pendant lesquelles les armées, ayant généralement rejoint leurs quartiers d’hiver dans les vallées, étaient condamnées à l’immobilisme : une première phase de défensive, de montée en puissance et d’instruction des unités du printemps 1793 au printemps 1794 ; une deuxième phase d’offensive et d’établissement d’une tête de pont en Espagne de juin 1794 à mars 1795 ; une troisième phase de reprise de l’offensive et de conquêtes successives de la Biscaye et de la Navarre en juin 1795.
Au printemps 1793, en raison du rapport de forces, l’initiative initiale appartenait au général Caro. Visant à refouler les Français de leurs positions aux cols frontière, il lança une phase d’accrochages, puis de durs combats pour la conquête des positions clefs. Dès le 23 avril, les Espagnols, portant leur effort sur la zone côtière, avaient bombardé Hendaye, dont le fort fut détruit, pris Béhobie et lancé une offensive vers Urrugne et Sarre, où les Français subirent une lourde défaite malgré la bravoure de La Tour d’Auvergne. Fin avril, ils reportèrent leur action à l’Est. Ils concentrèrent leurs efforts contre la division de Saint-Jean-Pied-de-Port, qui, pendant les deux mois de mai et juin, lutta contre des forces espagnoles bien supérieures en nombre qu’elle finit par repousser. Les Espagnols s’emparèrent des villages d’Arnéguy et Ondarolle, qui furent repris par une contre-attaque à la baïonnette conduite par Harispe. Le 10 mai 1793, une attaque française menée par 200 hommes des compagnies franches appuyés par deux pièces d’artillerie, en représailles de l’investissement par les Espagnols de la fonderie de Banca, franchit la frontière au col d’Orgambide et incendia la fonderie royale de Mattrita sur la Legarxa, au Nord d’Orbaïceta. Le 29 mai 1793, la municipalité de Saint-Jean-Pied-de-Port vota un secours aux habitants d’Arnéguy, victimes de l’attaque espagnole, dont la férocité et le fanatisme furent stigmatisés. Les Espagnols, en forte supériorité numérique, attaquèrent sur tout le front les 5 et 6 juin en vue de s’emparer du col de Roncevaux, puis de faire le siège de Saint-Jean-Pied-de-Port. Château Pignon, qui avait subi un premier assaut le 1er juin, succomba le 6 juin, malgré une résistance acharnée du capitaine Moncey qui « avec 1 500 chasseurs, contint pendant 8 heures 12 000 Espagnols ». Le général de La Genetière, commandant la division, y fut blessé et fait prisonnier. Les Espagnols progressèrent jusqu’à Orisson où ils s’arrêtèrent sans profiter du désarroi et de la faiblesse numérique des Français. Ils réussirent également, malgré une résistance initialement victorieuse des Français, à s’emparer du col de Lindus et à occuper le mont Arolla, ou mont Errola (907 m.), au dessus du village des Aldudes, sur le chemin conduisant au col de Lindus. Ils s’emparèrent également des cols de Berdaritz et d’Ispéguy, mais ils ne parvinrent pas à en déboucher. Harispe remporta le premier succès français en reprenant le mont Arrola et le village des Aldudes. Le général Dubouquet prit le commandement de la division le 13 juin. Château Pignon fut repris le 18 juin. Les Français lancèrent le 23 juin, une contre offensive générale avec trois attaques simultanées sur les trois axes de Tardets, Saint-Jean-Pied-de-Port et la Bidassoa. Seule l’attaque de droite sur la Bidassoa remporta des succès locaux. Celle de Saint-Jean-Pied-de-Port se contenta d’enlever le col d’Ispéguy à la baïonnette et le col de Berdaritz. Les Espagnols, ainsi repoussés, réussirent cependant à conserver de solides positions, à proximité de la ligne des cols frontières, dont la région immédiatement au Sud de Château Pignon, ainsi que le mont Arrola. Durant tout l’été, la ligne de front subit des coups de boutoir incessants autour de ces positions très disputées, qui changèrent de mains à plusieurs reprises. Dans le secteur côtier, le général Servan réorganisa le dispositif défensif de son armée en le repliant de la Bidassoa sur le cours de la Nivelle.
A partir de juillet 1793, l’Armée des Pyrénées Occidentales, qui avait reçu d’importants renforts, fut réorganisée en trois divisions, basées respectivement à Saint-Jean-de-Luz, Saint-Pée-sur-Nivelle et Saint-Jean-Pied-de-Port. Le général Muller en fut nommé général en chef avec le général Laroche comme major général et le colonel, bientôt général, Lespinasse comme commandant de l’artillerie. Ayant restauré la discipline, ils conduisirent l’instruction avec fermeté, consacrant la fin de l’année 93 à la préparation de la campagne de 1794. Le général Dubouquet, qui, succédant à La Genetière blessé, avait été nommé le 8 juin 1793 commandant de la division de Saint-Jean-Pied-de-Port, décida d’établir un camp retranché centré sur la citadelle, comprenant un ensemble de redoutes installées sur les mouvements de terrain proches. S’appuyant et se soutenant mutuellement, elles barraient les trois itinéraires vers l’Espagne par Orisson, le Val Carlos et Saint-Michel. Dans le camp retranché, la division de Saint-Jean-Pied-de-Port comprenait en début d’été 1793, des bataillons de volontaires des Landes, de la Dordogne, de la Bourgogne et un bataillon d’un régiment de l’armée régulière, l’ancien Cambrésis Infanterie qui avait tenu garnison à Bayonne de 1785 à 1788. En fin d’année 1793, la division de Saint-Jean-Pied-de-Port comprenait dix bataillons de volontaires : les 1er, 2e, 3e des Basses-Pyrénées, le 3e des Hautes-Pyrénées, le 3e des Landes, le 8e du Bec d’Ambés (Gironde), le 4e du Lot-et-Garonne, le 6e du Lot, le 6e de Haute-Garonne, le bataillon des « Montagnards de la Neste ». Elle comprenait aussi quatre bataillons de chasseurs basques, ainsi que la 5e demi-brigade légère aux ordres du chef de bataillon Moncey. Le régiment de Cambrésis, devenu le 20e régiment d’infanterie de ligne, mit sur pied les 39e et 40e demi-brigades. Cette division comportait également des unités d’artillerie : fin 1793 par exemple, un détachement du 1er régiment d’artillerie de La Fère, une compagnie de canonniers des Landes et une de la Sorbonne, chacune d’un effectif de 65 hommes mettant en œuvre six pièces de 4 (environ 84 mm) d’une portée utile de 400 à 1 000 mètres, étaient rattachés à chacune des demi-brigades.
En fin d’été, les offensives espagnoles furent particulièrement nombreuses dans le secteur de Saint-Jean-Pied-de-Port, où les Espagnols avaient rassemble des moyens importants dans les camps établis près de l’Alto Biscar et du col de Lindus. En septembre 1793, de violents combats se déroulèrent à nouveau vers Château Pignon entre les troupes espagnoles de don Ventura Caro et les recrues républicaines du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port. Les attaques espagnoles se succédèrent notamment en direction des cols d’Ispéguy, où Harispe fut blessé, de Berdaritz et du village des Aldudes qui fut occupé. Les attaques espagnoles continuèrent sur l’ensemble du front durant l’automne et l’hiver 1793-1794, mais l’Armée des Pyrénées Occidentales réussit à les contenir. Le général Caro abandonna finalement Château Pignon. L’activité opérationnelle resta intense jusqu’en janvier. Ainsi, bien qu’attaquées simultanément sur tous les fronts par des forces bien supérieures en nombre, la division de Saint-Jean-Pied-de-Port parvint à maintenir ses positions et à stabiliser le front pendant ces combats de l’année 1793. Ce succès fut obtenu grâce aux qualités combatives des recrues républicaines et des chasseurs basques ainsi qu’au manque d’audace de l’adversaire pour exploiter d’indéniables succès initiaux.
La grande offensive espagnole se déroula dans le secteur côtier, le 5 février 1794 contre le camp retranché d’Urrugne. Elle échoua et se transforma en une victoire française. Elle marqua la fin de cette première phase durant laquelle l’initiative avait été espagnole. Elle appartenait désormais au général Muller.
Le général Alexandre Dumas avait été, le 3 septembre 1793, nommé général de division et désigné comme commandant en chef de l’Armée des Pyrénées Occidentales par la Convention. Mais il n’avait pas pu prendre son commandement à la suite de la décision des représentants du peuple auprès de cette armée, qui avaient décidé de maintenir le général Muller dans ses fonctions. En octobre 1793, le général Delalain remplaça le général Dubouquet au commandement de la division de Saint-Jean-Pied-de-Port. Le 15 janvier 1794, la municipalité décida le changement du nom de Saint-Jean-Pied-de-Port en « Nive-Franche ». Le 23 mai 1794, elle décida la réquisition du château de Lacarre en vue de le transformer en hôpital. Le 2 mars 1794, le capitaine du génie Duvignau-Duverger établit un nouveau rapport sur la citadelle. Il proposait de renforcer le camp retranché déjà établi et d’exécuter le projet de 1773. En juin 1794, la division de Saint-Jean-Pied-de-Port fut dédoublée. Elle donna naissance d’une part à la 3e division, dont le commandement fut confié au général Moncey, général de brigade depuis février, nommé général de division, d’autre part à une nouvelle division de Saint-Jean-Pied-de-Port, dont le général Mauco, général de division depuis le 14 avril, prit le commandement.
De juin 1794 à mars 1795, se déroula la deuxième phase, celle de l’offensive française qui, victorieuse, réussit à pénétrer en Espagne avec l’objectif ultérieur de s’emparer des capitales provinciales de Saint-Sébastien et Pampelune. Réorganisée et remise sur pied, l’Armée des Pyrénées Occidentales du général Muller atteignait à la mi-1794 un effectif de 66 000 hommes. L’offensive fut précédée en juin 1794 d’une phase de conquête et de sécurisation de la base de départ, comprenant le nettoyage de la vallée des Aldudes et la prise des cols frontière. La division Moncey forte de treize bataillons, en fut chargée. Attaquant le 3 juin à partir du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port, elle s’empara d’abord de la région des Aldudes. Ensuite, trois colonnes s’élancèrent pour une attaque simultanée en direction des trois cols de:
  • Berdaritz, aux ordres du général Lavictoire, qui, tué en cours d’action, fut remplacé par Harispe, commandant le 2e bataillon de chasseurs basques, nommé chef de brigade par les représentants du peuple. Le 5 juin, le col était pris ;
  • Ispeguy, aux ordres du général Lefranc, qui fut pris le 5 juin ;
  • Maya, aux ordres du général Castelvert, qui échoua.
L’attaque continua par la prise des cols d’Arieta et de Bustancelhaye, ainsi que par celle du col de Maya par la division du centre. Lançant une contre-attaque, le général Don Ventura Caro essaya, le 23 juin 1794, avec 8 000 hommes et 500 cavaliers de bousculer la droite française entre Biriatou et Hendaye. Il échoua et il démissionna. Il fut remplacé à la tête des troupes espagnoles par le comte de Colomera, vice-roi de Navarre.
L’offensive principale pouvait alors être déclenchée. Le général Muller voulait porter son effort initial sur la conquête de Saint-Sébastien par une action d’envergure prenant à revers les défenses de la Bidassoa. Pour cela, il avait décidé de s’emparer de la vallée du Baztan par une attaque à partir de la vallée de Baïgorry en franchissant les cols récemment conquis, puis de poursuivre et d’élargir son attaque en direction de Saint-Sébastien et du port de Pasajes, par l’engagement successif de ses divisions :
  • à l’Est, la 3e division, aux ordres du général Moncey, débouchant la première, le 24 juillet, de la ligne des cols séparant la vallée de Baïgorry de celle du Baztan, avec 13 bataillons, 800 cavaliers, 8 pièces d’artillerie ainsi que 20 compagnies de grenadiers commandées par La Tour d’Auvergne, s’empara le 26 d’Errazu, Elizondo et San Esteban ;
  • au centre, la 2e division, commandée par le général Delaborde, avec neuf bataillons attaquant le 26 juillet depuis Olhette en direction de Sare, s’empara de Vera de Bidassoa, mais ne parvint pas à conserver Biriatou ;
  • à l’Ouest, la 1re division, commandée par le général Frégeville, avec neuf bataillons et deux escadrons, disposant de l’appui de la majorité de l’artillerie du général Lespinasse, attaquant le 29 juillet et franchissant la Bidassoa entre Hendaye et Biriatou en face de Fontarabie, en direction de Saint-Sébastien, s’empara du mouvement de terrain de San Marcial après huit jours de bombardement.
Cette attaque était couverte face à Pampelune à hauteur des ports de Cize par la division de réserve nouvellement créée à Saint-Jean-Pied-de-Port et placée aux ordres de Mauco. Après conquête de leurs objectifs initiaux, les trois divisions de l’échelon d’attaque convergèrent vers Saint-Sébastien. Fontarabie se rendit le 1er août 1794, Hernani le 2, Saint-Sébastien le 5. L’armée, exploitant son succès, poursuivit vers Tolosa qui fut atteint le 9 août. Le général Muller prenant la retraite fut remplacé à la tête de l’armée, le 30 août 1794 par le général Moncey.
Celui-ci lança une seconde attaque, l’opération de Viscarret, le 17 octobre 1794, afin de s’emparer de Roncevaux et de Pampelune par une action convergente de trois divisions, regroupant un total de plus de 30 000 hommes. La division Delaborde avec 12 bataillons débouchant de la vallée du Baztan devait s’emparer du col de Velate et de Lanz et attaquer les arrières ennemis. La division de Saint-Jean-Pied-de-Port forte de treize bataillons aux ordres de Mauco devait attaquer de front en direction du col de Roncevaux par la route directe par Orisson et depuis Esterençuby. La division des vallées avec six bataillons aux ordres de Marbot, devait attaquer les arrières ennemis en débouchant de Tardets par le col de Larrau. Malgré les succès de l’avant-garde de Delaborde, la « colonne infernale », composée des chasseurs basques d’Harispe et des grenadiers du 80e régiment d’infanterie commandée par La Tour d’Auvergne, qui s’empara de Velate, Eugui et Viscarret, l’opération sur Pampelune échoua finalement par manque de coordination entre les actions des trois divisions. Elle avait réussi à s’emparer de l’ensemble des cols de Cize, dont celui de Roncevaux, et des fonderies d’Orbaïceta et d’Eugui. Cependant, les Espagnols qui étaient parvenus à retraiter en bon ordre, restaient une menace pour un dispositif français trop étalé. Moncey finit par obtenir de Paris l’autorisation de le resserrer en abandonnant la Navarre et de prendre ses quartiers d’hiver.

En juin 1795, fut lancée la troisième phase de l’offensive, celle qui visait à l’invasion de l’Espagne, en portant l’effort initial sur la conquête de la Biscaye, avant d’entreprendre celle de la Navarre. Malgré de meurtrières épidémies durant l’hiver, qui provoquèrent la saturation de l’hôpital de Saint-Jean-Pied-de-Port comme des autres hôpitaux de la région, et grâce à l’arrivée d’importants renforts, l’Armée des Pyrénées Occidentales était forte de 66 bataillons, 4 régiments de cavalerie et disposait d’une excellente artillerie en juin 1795, lors de la reprise de l’offensive. Face à elle, l’armée espagnole alors commandée par le Comte de Castelfranco ne disposait que de deux divisions, l’une en Navarre couvrant Pampelune, l’autre en Guipuzcoa couvrant Bilbao et Vitoria. Après quelques actions préliminaires en juin, Moncey, début juillet, parvint à séparer les deux divisions espagnoles en s’emparant du nœud routier d’Irurzun. Les victoires de Lecumberry et de Villanueva leur ouvrirent les portes de Vitoria, où elles entrèrent le 15 juillet, et leur permirent de poursuivre jusqu’à l’Ebre de Miranda, avant d’achever la conquête de la Biscaye en prenant Bilbao le 17 juillet 1795. Pendant toute la campagne, le ravitaillement était resté un problème crucial, mal réglé en raison de la pénurie en moyens de transport, notamment en chevaux. Le souci permanent d’acheminer les ravitaillements au plus près explique l’intérêt de disposer à cet effet du port de Pasajes9 et donc de privilégier la conquête de Saint-Sébastien sur celle de Pampelune. De son côté, l’Armée des Pyrénées Orientales de Dugommier avait chassé les Espagnols de Roussillon.
Tout était alors prêt pour mener l’offensive contre la Navarre et sa capitale, notamment dès lors que les moyens en artillerie et génie, nécessaires au siège de la ville et de la citadelle de Pampelune avaient été rassemblés à l’arsenal de Bayonne, respectivement par les généraux Lespinasse et Marescot. La signature de la paix à Bâle le 22 juillet 1795, dont la nouvelle parvint le 7 août, interrompit la marche victorieuse sur la Navarre et arrêta l’élan de l’Armée des Pyrénées Occidentales. Cette paix, qui mit fin à la première coalition, avait été préparée par des pourparlers parallèles menés à Bayonne entre le général Servan et le marquis d’Iranda. Au traité de Bâle, la France abandonna ses conquêtes espagnoles, mais reçut la partie espagnole de Saint-Domingue. Les opérations arrêtées, l’Armée des Pyrénées Occidentales évacua rapidement les provinces espagnoles et fut dissoute le 15 septembre 1795. Après avoir maintenu l’intégrité des frontières, l’Armée des Pyrénées Occidentales avait porté le combat chez l’adversaire, le contraignant à signer la paix.
Le général Moncey devint commandant de la 11e division territoriale à Bayonne avec le Chef de Brigade Harispe comme chef d’état-major. La brigade des chasseurs basques resta sur place, ses bataillons stationnant à Saint-Jean-de-Luz, Navarrenx et Saint-Jean-Pied-de-Port. En 1797, ils furent réduits à un seul bataillon. A Saint-Jean-Pied-de-Port, l’assemblée municipale avait pris le 3 juillet 1794, la décision d’ériger un autel de la Patrie en gazon sur la place d’Eyheraberry, sur le terrain du ci-devant Pré du Lieutenant du Roy semble-t-il, pour célébrer les fêtes décadaires. Le 28 novembre 1795, malgré l’opposition de l’assemblée au projet, l’église de la commune fut transformée en arsenal.

63- Le CAMP RETRANCHE de 179310

Le projet ambitieux de 1773 d’établissement d’un camp retranché dont la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port était le centre, ne fut suivi d’aucune réalisation, pas plus que ne l’avaient été avant lui les projets de Vauban en 1685 ou de Salmon en 1718. Cependant, ce projet de 177311 se révéla très utile vingt ans plus tard. Il constitua la base de la conception et de la création du camp retranché centré sur la citadelle12, dont le général Dubouquet, commandant la division de Saint-Jean-Pied-de-Port, décida l’aménagement en juin 1793, après les difficiles combats contre les forces espagnoles sur les cols frontière. Dès 1791, le capitaine Duvignau-Duverger avait proposé l’établissement d’un camp retranché comprenant :
  • face au débouché d’Arnéguy et surveillant celui de Baïgorry, la redoute de Bel Aspect ;
  • barrant la grande route de Roncevaux sur laquelle elles croisaient leurs feux, les redoutes de Curutchamendy et d’Arignarte ;
  • barrant la vallée de Saint-Michel, la redoute de Picoçoury qui y croisait ses feux avec celle d’Arignarte ;
  • complétant le contrôle de la citadelle sur le bassin de Saint-Jean-Pied-de-Port, une redoute sur le mouvement de terrain d’Ipharce13.
Après avoir brièvement relaté les combats de mai et juin 1793, le capitaine du corps du génie Duvignau-Duverger, dans le rapport qu’il signa à Saint-Jean-Pied-de-Port le 2 mars 1794, 12 ventose de l’an 2 de la république une et indivisible, propose d’exécuter le projet de 1773. Il donne en outre une description précise du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port à la date de rédaction de son rapport. La Carte de St Jean Pied de Port, servant à faire connaître l’état défensif de cette place en 1793, conservée à la cartothèque de l’Institut Géographique National14, précise notre connaissance de ce camp retranché et des troupes qui y étaient affectées en 1793. Il s’agit d’un dessin aquarellé collé sur toile de 80 x 160, à une échelle de 13,8 cm pour 250 toises, soit de 1/3600 environ. Ces informations sont également confirmées par les rapports établis par les officiers du génie au XIXe siècle, notamment celui de 1834, qui fondent leurs propositions de travaux sur les enseignements des campagnes de la révolution et de l’Empire.
Après les combats de mai et juin 1793, au cours desquels les positions sur les cols frontière avaient été perdues, le général Dubouquet, nommé le 8 juin 1793 commandant de la division de Saint-Jean-Pied-de-Port, décida d’établir un camp retranché centré sur la citadelle. Il replia sa division sur ce camp et y établit un dispositif défensif en contrebas des ports de Cize qui barrait l’axe de pénétration d’Espagne vers la France par le col de Roncevaux.
Les défenses de la citadelle, constituant le centre de ce camp retranché, étaient elles-mêmes renforcées. La citadelle bastionnée était prolongée et couverte sur son front Est, le front d’attaque, par la construction sur l’esplanade d’un « camp » de bataillon, le « camp de Casteloumendy », couvert vers le Sud et l’Est par un retranchement qui s’étendait jusqu’à l’éminence de Gastellumendy, qui en marque l’extrémité, sur laquelle ce retranchement se terminait par un saillant. Ce camp occupait ainsi l’espace où Vauban avait projeté de faire construire un ouvrage à cornes. Autour de la citadelle ainsi renforcée, ce camp retranché de 1793 comprenait, sur les deux mouvements de terrain majeurs descendant des ports de Cize, un ensemble de redoutes qui, à une distance de 1 à 2 kilomètres de la citadelle, le couvraient directement face aux cols frontière et s’appuyaient mutuellement :
  • à hauteur de la citadelle de l’autre côté de la Nive de Béhérobie, sur la montagne de Curutchamendy, contrôlant le débouché du grand chemin d’Espagne par Roncevaux et Orisson, itinéraire majeur vers Saint-Jean-Pied-de-Port et seul itinéraire praticable par de l’artillerie et des convois, le « camp de Crutchmendy »15. Couvert sur ses arrières par la redoute de Bel Aspect, sur le mouvement de terrain dominant le village d’Uhart, face aux vallées d’Arnéguy et Baïgorry, il est renforcé d’une batterie d’artillerie, placée en avant. Il est occupé en 1793 par un bataillon des Basses-Pyrénées ;
  • sur le même mouvement de terrain, environ un kilomètre plus au Sud doublant le contrôle de ce grand chemin d’Espagne, le camp d’Arignarte, à proximité du mont d’Arignarte (au dessus de la maison Antonenea), qui est occupé en 1793, selon la carte déjà citée, par le « bataillon de Cambresy », c’est-à-dire un bataillon du 20e régiment d’infanterie de ligne, ex-régiment de Cambrésis Infanterie. Il est couvert, à 500 mètres en avant sur le mont d’Etcheverrigaray16, par une grosse redoute, la redoute de la Liberté, à côté de laquelle se trouve également un camp de bataillon. Face à la vallée d’Arnéguy, il est couvert en contrebas d’Arignarte sur le plateau, par un camp du bataillon, occupé en 1793 par le bataillon de la Dordogne, ou des Landes, lui-même protégé par un petit ouvrage. Le capitaine Duvignau y préconisait la construction d’une redoute pour interdire le contournement du dispositif par une colonne s’infiltrant depuis la vallée d’Arnéguy, par Uhaldéa et le bois de Beterguibel. Cette redoute aurait complété le dispositif des redoutes de la Liberté et d’Arignarte ;
  • sur le mouvement de terrain de la citadelle, à environ un kilomètre à son sud en direction de Caro et en face du camp d’Arignarte, sur le mont Cherrapo (cote 299), la grosse redoute de Picoçoury17, avec une batterie d’artillerie en retrait et un camp de bataillon en contrebas près de la « fontaine de Santé ». Cette batterie croisait ses feux dans la vallée de la Nive de Béhérobie en aval de Saint-Michel avec ceux de la batterie de la redoute de la Liberté.

Face à une attaque ennemie venant d’Espagne, le camp retranché présentait une double ligne de défense en profondeur. La ligne arrière était constituée de la citadelle et de la redoute de Curutchamendy, la ligne avant des redoutes d’Arignarte et de Picoçoury. Ces quatre positions étaient reliées par un double réseau d’itinéraires : deux pénétrantes et deux rocades. Le dispositif avant notamment, la première ligne de défense, était relié par un itinéraire, un chemin transverse allant du carrefour de Pochinborda, en arrière de la redoute de Picoçoury, jusqu’au carrefour d’Etcheverrigaray en arrière de la redoute de la Liberté, en passant par le pont, la digue et le château d’Olhonce. Cet itinéraire était encore usité par les chars à bœufs vers 1950, de part et d’autre du pont aujourd’hui remplacé par une passerelle piétonnière en maçonnerie. Le château fut détruit vers 1950. Le dispositif arrière était relié par l’itinéraire empruntant le pont d’Eyheraberry. Ce dispositif en deux échelons, avant et arrière, barrait ainsi à la fois les deux itinéraires pénétrants, l’itinéraire principal par Orisson et l’itinéraire de contournement par Caro, ainsi que les chemins muletiers empruntant les deux vallées de Saint-Michel et d’Arnéguy. Il était enfin couvert face à une menace provenant de la vallée de Baïgorry.
Ces redoutes étaient des ouvrages de campagne en terre, parfois partiellement renforcés de maçonnerie, entourés de fossés et, souvent, d’un ou plusieurs rangs de palissades. Leur taille variable pouvait atteindre une centaine de mètres de périmètre. Leur forme variée, le plus souvent pentagonale ou en étoile à cinq branches, comportait généralement plusieurs saillants permettant les tirs de flanquement réciproque. Elles s’appuyaient et se couvraient mutuellement de leurs feux. Elles étaient, en outre, protégées par les feux de la grosse artillerie de la citadelle, dont une batterie aurait occupé le plateau de l’esplanade. Cette grosse artillerie était réputée pouvoir également battre tous les débouchés des gorges de Lecumberry, Aincille, Saint-Michel, ainsi que la vallée de Baïgorry. Les camps de bataillon avaient des dimensions de 150 à 200 mètres sur moins d’une centaine de large. Il convient de noter que le mont d’Ipharce, ou Iparça, bien qu’indiqué sur la carte, n’était alors ni occupé, ni fortifié. En plus du camp retranché, plusieurs ouvrages de campagne, du type redoute ou lunette, furent établis, au cours de ces trois années, sur la ligne des combats, tant par les Français vers Château Pignon que par les Espagnols au col de Lindus par exemple.
Ainsi, après les durs combats aux frontières contre les forces espagnoles, au cours des deux mois de mai et juin 1793, l’Armée des Pyrénées Occidentales rétablit son dispositif défensif en s’adossant au camp retranché constitué autour de la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port, avant de reprendre progressivement l’initiative. Le camp retranché joua le rôle de pivot durant les combats défensifs, puis offensifs, des années 1794 et 1795 qui furent menés comme une guerre de manoeuvres et de mouvements et se terminèrent par un succès. Le colonel Bérard, directeur du génie à Bayonne, inspecta à nouveau la citadelle en 1801. Son rapport du 7 juin 1801 conclut à l’assez bon état de l’enceinte de la citadelle, dont toutes les réparations ont été effectuées et qui n’exige que des travaux d’entretien. Couverte en plusieurs points importants par des ouvrages de campagne établis pendant la guerre de 1793, elle est jugée capable de défendre le grand chemin de Roncevaux ainsi que les itinéraires du Val Carlos et Saint-Michel. Cependant le 31 mars 1802, le capitaine du génie Bordenave, qui vient de succéder au colonel Bérard comme directeur du génie à Bayonne, après avoir souligné l’importance mais aussi la petitesse de la citadelle, demande qu’elle soit entourée d’une nouvelle enceinte capable d’en doubler la garnison qui serait alors portée de 600 à 1 200 hommes. « Quoiqu’il en soit, elle est située au pied des Pyrénées en position favorable ... On ignore l’époque de l’établissement de la citadelle; il parait postérieur à l’invention des bastions. Vauban a fait un projet sur cette place, il n’a été exécuté qu’en partie, la citadelle est restée imparfaite et l’enceinte dont ce grand homme proposait d’entourer la ville n’est pas changée. A 13 lieues et demi de Pampelune, ses communications avec cette dernière ville sont bonnes pour tout charroi ... Si l’on achevait la citadelle, ... ce point de frontière déjà très fort par la nature du pays, serait hors de toute atteinte et très propre pour appuyer l’offensive ». Un autre ‘Mémoire sommaire’ de 1804 recommandait d’achever le camp retranché de 1793, qui avait prouvé lors de la guerre de 1794 et 1795 son intérêt et son efficacité. Rien de tel ne fut fait jusqu’à ce que, sous l’Empire, la frontière avec l’Espagne ne soit réactivée.

64- La GUERRE d’ESPAGNE (1807-181318)

L’Espagne sortie de la première coalition par le traité de Bâle du 22 juillet 1795, se rapprocha de la France avec laquelle elle signa deux traités d’alliance en 1796 et 1800. Elle resta pendant douze ans l’alliée fidèle de la France. Ainsi la flotte espagnole fut écrasée à Trafalgar le 21 octobre 1805, en même temps que la flotte française. L’alliance franco-espagnole était rendue nécessaire par l’hostilité commune de ces deux pays face à l’Angleterre qui occupait Gibraltar depuis 1713 et essayait de mettre la main sur les colonies espagnoles d’Amérique.
La paix établie en Europe continentale par les traités de Tilsit du 7 juillet 1807, Napoléon concentra ses efforts contre l’Angleterre. Il décida de l’affaiblir par le blocus continental, auquel il avait obtenu l’adhésion de la Russie et de la Prusse. Le Portugal se révéla une faille dans le dispositif. Napoléon, alors au sommet de sa gloire, décida de contraindre le Portugal, allié de l’Angleterre à appliquer le blocus. En juillet 1807, Napoléon lança un ultimatum à la dynastie portugaise des Bragance. En octobre 1807, la France et l’Espagne s’accordèrent pour se partager le Portugal.
Le 2 août 1807, le général Junot avait été désigné comme commandant du « 1er corps d’observation des côtes de la Gironde » mis sur pied à Bayonne. Sur ordre de Napoléon du 12 octobre, ce corps franchissait la Bidassoa, le 18 octobre, avec 24 700 hommes, 2 100 chevaux et 36 bouches à feu. Après avoir traversé l’Espagne avec l’accord du roi Charles IV, il battit l’armée portugaise à Abrantès et il entra à Lisbonne le 30 Novembre.
Pour soutenir cette opération et assurer la sécurité des communications de l’armée du Portugal, Napoléon ordonna la formation de plusieurs corps et leur entrée en Espagne, afin d’occuper des forteresses dans le Nord du pays. Dès le 12 octobre, Napoléon avait décidé la mise sur pied du « 2e corps d’observation des côtes de la Gironde » à partir des légions de réserve et ordonna de diriger sur Bayonne les bataillons destinés à sa formation. Ce corps devait comprendre 3 divisions à 7 bataillons, plus un bataillon du train de la garde à former à Paris, et 36 pièces d’artillerie du 3° R.A. venant de La Rochelle. Le général Dupont, désigné pour le commander, arriva à Bayonne début novembre. Le 12 novembre, la 1° division du général Barbou reçut l’ordre de s’installer à Vitoria pour maintenir la communication avec Junot. Elle était à Vitoria le 28 novembre. Le 6 décembre, les 3 divisions étaient regroupées entre Burgos et Vitoria. Le 5 novembre 1807, Napoléon ordonna la formation du « corps d’observation des côtes de l’océan », prévu à 34 000 hommes et 54 pièces d’artillerie, formé par dérivation de l’armée de réserve du Rhin à partir de jeunes conscrits dans la région de Metz, Nancy, et Sedan. Il ordonna son mouvement sur Bordeaux, mouvement réalisé au 1er janvier 1808, puis son glissement sur Bayonne, réalisé le 7 janvier. Le commandement en fut donné à Moncey, maréchal depuis 1804, qui arriva à Bordeaux le 21 décembre. Fin mars 1808, le « corps d’observation des côtes de l’océan », au ordres du général Moncey avec 22 200 hommes, 2 700 chevaux et 54 canons se déployait dans la région de Vitoria et Burgos et le « 2e corps d’observation des côtes de la Gironde » aux ordres du général Dupont, avec 20 600 hommes, 3 500 chevaux et 38 bouches à feu dans la région de Valladolid. L’itinéraire de la côte était ainsi choisi comme itinéraire principal pour les mouvements et le soutien des armées françaises. Le même ordre du 5 novembre 1807 prévoyait la création à Saint-Jean-Pied-de-Port sur le second itinéraire vers l’Espagne, celui par Roncevaux, d’une nouvelle division chargée de surveiller et contrôler les cols pyrénéens, la « division d’observation des Pyrénées occidentales ». Formée majoritairement d’unités en provenance de Bretagne, cette division était placée aux ordres du général de division Mouton, dont le poste de commandement et l’état-major s’installèrent à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le 1er janvier 1808, sa composition était la suivante19 

4e Bataillon du 15e régiment de ligne
1er Bataillon du 47e régiment de ligne
2e Bataillon du 47e régiment de ligne
3e Bataillon du 70e régiment de ligne
3e Bataillon du 86e régiment de ligne
Lacarre
Saint-Jean-Pied-de-Port
Saint-Etienne-de-Baïgorry
Saint-Jean-Pied-de-Port
Lecumberry
effectif 394
effectif1193
effectif 272
effectif 455
effectif 173
Total de l’infanterie : 2 481 dont 65 officiers, -289 en hôpital, soit 2127 hommes et 65 officiers

A cet effectif, il fallait ajouter les éléments précurseurs de l’artillerie divisionnaire, la 1re compagnie du 3e régiment d’artillerie à pied et la 1re compagnie du 6e bataillon du train, toutes deux installées à Saint-Jean-Pied-de-Port. Ainsi les effectifs totaux de la division au 1er janvier 1808 étaient de 2 621 dont 67 officiers et 60 chevaux du train. L’effectif théorique de la division était de 5 000 hommes, mais ses unités d’infanterie n’étaient alors réalisées qu’à environ cinquante pour cent. Le 3e régiment d’artillerie à pied et le 6e bataillon du train étaient attendus le 1er février à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le dernier régiment de la division, le 3e régiment Suisse devait la rejoindre en partant de Rennes le 20 février 1808. En février 1808, le général Mouton reçut l’ordre de laisser à Saint-Jean-Pied-de-Port, le général de brigade Darmagnac, arrivé le 4 février, et de faire mouvement avec sa division sur Pampelune, dont il occupa la citadelle malgré l’opposition de sa garnison espagnole. Le 20 février, le général Merle fut désigné comme commandant de la division. Fin mars 1808, ses effectifs étaient de 3 412 hommes dont 116 officiers, 190 chevaux et 12 bouches à feu. De même à l’autre extrémité des Pyrénées, la « division d’observation des Pyrénées orientales », aux ordres du général Duhesme, tenait la région de Barcelone avec 7 150 hommes, 266 chevaux et 18 bouches à feu.
Le dispositif français en Espagne continua à évoluer et à se déplacer vers l’Ouest. En mai 1808, la sécurité des communications entre Bayonne et Madrid était assurée par le « Corps des Pyrénées occidentales », placé aux ordres du maréchal Bessières dont le PC était à Burgos, dont la division Merle tenait Burgos, la division Verdier occupait Vitoria et deux grosses garnisons étaient installées à Pampelune avec le général d’Agoult et Saint-Sébastien avec le général Thouvenot. Les effectifs du corps étaient de 18 000 hommes et 2 000 chevaux. En juin, Napoléon décida de renforcer la sécurité dans la zone frontière en deçà des Pyrénées. Dans chacun des deux départements des Hautes et des Basses-Pyrénées, il nomma un général commandant des troupes et il ordonna la levée d’un bataillon de gardes nationaux à quatre compagnies de 120 hommes. Il décida leur renforcement par 3 000 gardes nationaux sédentaires de Bordeaux, dont un bataillon fut installé à Saint-Jean-Pied-de-Port.
Entre temps, en effet la situation générale avait évolué à la suite des événements intérieurs espagnols. Napoléon se satisfaisait pleinement de l’alliance du roi d’Espagne Charles IV. Mais, à la suite d’un mouvement insurrectionnel du peuple espagnol, les émeutes d’Aranjuez le 13 mars 1808, Charles IV abdiqua le 19 mars 1808 en faveur de son fils Ferdinand, prince des Asturies, et quitta Madrid. Cette émeute, suivie de l’abdication de Charles IV, entraîna l’intervention de Napoléon en Espagne. Murat, lieutenant général de Napoléon, qui commandait l’armée française d’Espagne chargée de la sécurité des arrières de l’armée du Portugal de Junot, entra le 23 mars 1808 dans Madrid. La population de Madrid, attachée à son souverain légitime, se souleva contre l’abdication de Charles IV et contre l’occupation française. Murat réprima durement l’insurrection de Madrid dès le 2 mai 1808. Le soulèvement s’étendit au peuple espagnol, puis au peuple portugais, et dégénéra en une guerre civile, ‘la guerra de la Independencia’, entraînant les premières défaites de l’armée impériale, au cours d’une guerre de six années, qui fut l’une des causes majeures de la chute de l’Empire. Napoléon, arrivé le 14 avril 1808 à Bayonne, y resta jusqu’au 20 juillet, habitant à Marracq, le château construit un siècle auparavant pour Marie-Anne de Neubourg. Il convoqua la famille royale espagnole le 20 avril à Bayonne. Au roi Charles IV, au prince Ferdinand et à la reine Marie-Louise, qui l’y rejoignirent, il imposa son arbitrage : c’est le « guet-apens de Bayonne ». Il contraignit Ferdinand à rendre la couronne à son père qui s’en démit alors en faveur de Napoléon. Le 6 juin, Napoléon désigna comme roi d’Espagne son propre frère Joseph. Il fit approuver la constitution de Bayonne par une assemblée nationale espagnole le 7 juillet 1808. Ainsi le traité de Bayonne de 1808 entérinait la prise de pouvoir de Joseph Bonaparte en Espagne et le renoncement des Bourbon à la couronne d’Espagne.
Cependant, le mouvement insurrectionnel, déclenché à Madrid le 2 mai, s’était généralisé à toute l’Espagne entre le 23 mai et le 1er juin 1808. La victoire remportée par Bessières le 14 juillet permit à Joseph, roi d’Espagne depuis le 6 juin, d’entrer à Madrid le 20 juillet 1808. Mais la division Dupont envoyée en Andalousie fut encerclée à Baylen et capitula le 22 juillet. Cette défaite renforça l’insurrection qui s’étendit au Portugal où Wellesley, futur duc de Wellington20, débarqua le 20 août à la tête d’un corps anglais devant lequel Junot capitula le 30 août. Joseph quitta Madrid après dix jours de règne et se replia sur l’Ebre.
De Paris, Napoléon forma, dès septembre 1808, à Bayonne une armée de 200 000 hommes d’excellentes troupes, organisée en six corps, qui porta les effectifs de l’armée d’Espagne à 286 000 hommes. Arrivé à Vitoria le 5 novembre 1808, il conduisit une contre-offensive rapide qui le mena de Burgos où il était le 10 novembre, à Madrid où il entra le 4 décembre 1808. Cependant, les diverses armées espagnoles étaient battues, mais non détruites. Napoléon n’eut guère le temps de rétablir définitivement la situation. Dès son arrivée à Madrid, apprenant que l’Autriche s’apprêtait à entrer en guerre, il dut regagner Paris et de là l’Europe centrale. Il quitta l’Espagne le 17 janvier 1809, laissant ses généraux achever la besogne avec une armée de 200 000 hommes. Wellington se dérobait à la bataille et laissait l’armée française s’épuiser dans la contre guérilla. Les opérations furent contrariées par la mauvaise entente entre les maréchaux et la dualité de commandement entre Joseph et Napoléon qui continuait à donner directement ses ordres à ses maréchaux. La progression des armées françaises fut lente en raison de sièges difficiles. Dans Saragosse prise d’assaut le 27 janvier, les combats durèrent jusqu’au 20 février. Suchet remporta des succès en Aragon qu’il pacifia en mai et juin 1809. Soult prit Porto le 27 mars 1809. Wellington manoeuvra habilement et battit séparément les corps français de Soult et Victor, mais il se replia sur le Portugal à l’annonce d’un retour offensif de Soult. Ce dernier, devenu chef d’état-major du roi Joseph, détruisit une armée espagnole à Ocana le 19 novembre. Mais à la fin de l’année 1809, la Galice, les Asturies et l’Andalousie restaient aux mains des Espagnols et la guérilla sévissait sur tout le territoire, gênant particulièrement les communications des troupes françaises. Les guérilleros étaient des agriculteurs ou d’anciens militaires professionnels. Mina, « le roi de Navarre », qui deviendra maréchal, était un ancien laboureur qui mit au point une tactique très efficace en s’appuyant sur la terreur qu’il inspirait.
En Espagne, les années 1810 à 1812 furent celles de l’enlisement dans une guerre à la fois contre les armées régulières et les unités de guérilla qui menaient un combat indépendant. Napoléon, alors en paix avec tous les pays continentaux, ne profita pas de ce répit pour retourner en Espagne. Il continua à conduire les opérations depuis Paris. Il réorganisa les troupes en plusieurs armées : Soult dans le sud, Joseph au centre, Masséna au Portugal, Augereau en Catalogne et Suchet en Aragon. Le dilemme était, soit de tenir le pays, soit d’agir groupé contre les armées ennemies. Les généraux épuisèrent leurs troupes dans d’infructueuses marches et contremarches. En début 1810, Soult occupa les principales villes d’Andalousie mais Victor échoua devant Cadix. Dans une lettre du 21 avril 1811, Napoléon écrivait à Berthier : « Ecrivez au général Reille pour lui témoigner mon mécontentement du peu d’énergie qu’il met dans le commandement de la Navarre ». Les généraux ne coordonnaient pas leurs actions. Marmont, qui avait succédé à Masséna, et Soult ne parvinrent pas à unir leurs efforts contre Wellington qui les vainquit en janvier 1812. Dans l’Est, après des échecs initiaux, Suchet progressa méthodiquement de Lérida à Valence qu’il atteignit le 9 janvier 1812. Au début de 1812, les armées françaises furent réduites de 200 000 à 178 000 hommes en raison des prélèvements nécessaires à la campagne de Russie. A partir de 1812, les unités de partisans furent intégrées dans l’armée espagnole qui se réorganisait avec l’aide anglaise. Alors, Wellington passa à la contre-offensive. Le 16 mars 1812, Joseph fut nommé commandant suprême avec Jourdan comme major général de l’armée. Mais il ne parvint pas à imposer son autorité aux généraux qui continuaient à se montrer peu disciplinés. Jourdan ne réussit pas à redresser la situation et les revers se succédèrent. Soult refusa d’évacuer l’Andalousie et Marmont qui avait imprudemment pris l’offensive contre Wellington, fut sévèrement battu aux Arapiles le 22 juillet 1812. Wellington marcha sur Madrid que Joseph évacua le 10 août pour rejoindre Suchet à Valence. Soult se résolut à lever le siège de Cadix le 25 août et à rejoindre Suchet le 3 octobre. Leur réunion permit à Joseph de rentrer à Madrid en fin d’année 1812. Mais ils ne parvinrent pas à user de leur supériorité, 80 000 hommes contre 68 000, pour imposer bataille à Wellington et le vaincre. En Navarre, la guérilla était active avec les actions de Mina qui se distingua par ses succès notamment du 22 août et 17 décembre 1812, mais qui fut battu le 13 mai 1813 par le général Abbé, gouverneur de Pampelune.
Cependant, en Russie la campagne de 1812 se terminait par la retraite de l’hiver 1812-13. Elle se continua en 1813 par la campagne d’Allemagne qui se termina en fin d’année par la perte totale du territoire allemand à l’exception de la rive gauche du Rhin et de sept places fortes, dont Hambourg où Davout s’était enfermé.

65- La RETRAITE de VITORIA (1813)

En cette année 1813, comptant sur un retour de fortune en Allemagne, Napoléon ne se décidait pas à évacuer l’Espagne. Le roi Joseph quitta à nouveau Madrid. Il se replia sur l’Ebre dans l’intention de tenir le Nord du pays avec ses armées encore fortes de 113 000 hommes, dont une partie cependant était immobilisée dans les places. L’insécurité était grande sur les lignes de communication des armées. Le général Clauzel, commandant l’Armée du Nord, avait fait établir une ligne de redoutes afin de sécuriser l’itinéraire traversant la Navarre, où l’hostilité de la population était particulièrement grande. Face à Wellington qui cherchait à tourner les Français par l’Ouest, le roi Joseph Bonaparte et le maréchal Jourdan, bien qu’en nette infériorité numérique, acceptèrent la bataille à Vitoria le 21 juin 1813. Ils subirent une sévère défaite. Joseph vaincu avait perdu le trône d’Espagne. L’armée française battue était contrainte de se replier sur la frontière. La retraite dut s’effectuer par Pampelune et Saragosse, car la route côtière par Fontarabie était sous le contrôle des alliés anglo-ibériques. Les armées du Midi, général Gazan, du Centre, général Drouet d’Erlon, et du Portugal, général Reille, retraitèrent sous la pression des Anglais en direction de la place de Pampelune qui reçut le flot de la déroute française. La ville tenait le carrefour de deux routes majeures conduisant en France respectivement par les cols de Velate et de Roncevaux. Une garnison de 3 500 hommes y fut laissée aux ordres du général Cassan. Le 24 juin le roi Joseph et la cour passèrent à Pampelune, en même temps que ces trois armées, puis se replièrent, le 25, par Velate et la vallée du Baztan. Ils s’installèrent à Saint-Pée-sur-Nivelle, au quartier d’Helbarron (Ilbarron), avant de gagner le château de Marracq à Bayonne.
A l’issue de la retraite, l’ensemble de l’armée française s’arrêta sur la frontière. Elle déploya un rideau défensif sur la ligne définie par le cours de la Bidassoa et les cols pyrénéens. L’armée du Midi, celle du général Gazan, tout en se livrant au pillage, retraita par Roncevaux et arriva à Saint-Jean-Pied-de-Port le 26 juin. Les gardes nationaux qui tenaient le col de Roncevaux n’eurent pas le temps d’évacuer les projectiles de la fonderie royale située au Nord d’Orbaïceta. Elle s’installa sur la Nive et la Nivelle de Saint-Pée à Cambo, avec son PC à Ustaritz, le 1er juillet. La garnison de Saint-Jean-Pied-de-Port ne comprenait qu’un dépôt de 100 chasseurs pyrénéens et le bataillon d’élite des gardes nationaux des Basses-Pyrénées qui y était en service depuis 1811. La division Conroux de l’armée du Midi se déploya, sur ordre de Jourdan, autour de la place, le 1er juillet, avec des unités à Arnéguy, Anhaux, Baïgorry et au mont Arrola. L’armée du Centre, celle du général Drouet d’Erlon passa par Velate et la vallée du Baztan où elle se déploya le 2 juillet, en occupant San Esteban et Elizondo, se trouvant ainsi en pointe du dispositif français. L’armée du Portugal, celle de Reille, retraita par San Esteban et Vera et se redéploya le 30 juin sur la Bidassoa, de Vera à Hendaye. Elle avait été recueillie sur la Bidassoa par le général Lhuillier, commandant d’armes de Bayonne, qui y avait installé les troupes disponibles de sa division de réserve. Clauzel regroupa le 30 juin ses divisions de l’armée du Nord autour de Saragosse. Il parvint à échapper à Wellington qui cherchait à détruire cette armée, et effectua sa retraite par Jacca, puis le col du Somport. Derrière lui, la brigade Paris de l’armée Suchet parvint également à retraiter par Saragosse, Jacca et le Somport. Après leur départ, le chef de bande espagnol Mina occupa Tudela et Saragosse. Le 7 juillet, Wellington attaqua les cols de Maya et d’Ispéguy. Gazan échoua dans son action offensive visant à soulager Drouet d’Erlon qui dut finalement évacuer la vallée du Baztan. Le général anglais Hill, commandant un corps allié formé d’Anglais, d’Espagnols et de Portugais, installé à Burguette, avait lancé le 3 juillet une attaque vers Arnéguy d’un millier d’Espagnols. En réaction, Conroux craignant en outre une attaque en force contre Château Pignon, la décision fut prise le 6 juillet de renforcer Saint-Jean-Pied-de-Port en y concentrant le gros des forces françaises, soit 5 à 6 divisions. Aussi ordre fut-il donné à Clauzel, dès son arrivée à Bedous en vallée d’Aspe le 12 juillet, après avoir franchi la frontière, de poursuivre par Tardets vers Saint-Jean-Pied-de-Port. Dans la partie orientale des Pyrénées, Suchet évacua Valence et se replia sur l’Ebre.
L’évacuation par les Français de la rive gauche de la Bidassoa, de la vallée du Baztan, de la Navarre et de l’Aragon, décida Wellington à terminer la campagne de 1813 sur les Pyrénées. Toujours soucieux de sa sécurité, il voulut s’emparer des trois places encore aux mains des Français : Pampelune, Saint-Sébastien et Santona sur la côte cantabrique. Il décida de faire d’abord le siège de Saint-Sébastien, tout en maintenant le blocus de Pampelune par le corps espagnol de La Bisbal qui devait y relever les trois divisions anglaises de Hill. Wellington, dont le QG était à Lesaca, adopta sur la frontière une posture défensive avec la division Cole au col de Roncevaux, la division Clinton au col de Velate et la division Picton en réserve à Olatta.
Ainsi, la défaite de Vitoria du 21 juin 1813 marqua la fin de l’occupation de l’Espagne et du Portugal, décidée par Napoléon en 1807 pour parfaire le blocus continental contre l’Angleterre. Napoléon, rentré précipitamment de Russie, après avoir réorganisé une nouvelle armée s’était engagé dans la campagne de Saxe contre la 6e coalition, marquée par les batailles de Lutzen et Bautzen en Mai 1813. A l’annonce de la défaite de Vitoria, il s’en prit violemment à Joseph qu’il destitua et à Jourdan qu’il limogea. Par décret signé à Dresde le 6 juillet 1813, il donna le commandement des armées d’Espagne au maréchal Soult, alors âgé de 44 ans, qui se trouvait alors également à Dresde. Il le nomma « Lieutenant de l’Empereur, commandant en chef de l’armée en Espagne et sur les Pyrénées ». Le 11 juillet l’émissaire de l’empereur signifiait sa destitution à Joseph, alors réfugié à Saint-Pée-sur-Nivelle.
Soult venant de Saxe, arriva à Bayonne le 13 juillet, soit six mois après avoir quitté l’armée du Midi. Il trouva sur les Pyrénées un ensemble de 57 000 combattants et 50 canons. Ces forces furent réorganisées par un décret également signé à Dresde en une seule armée, articulée en trois corps d’armée. Le commandement de ces trois corps d’armée fut confié aux anciens commandants d’armée, Reille, Drouet d’Erlon et Clauzel, ramenés aux grades de lieutenants généraux, directement subordonnés à Soult. Gazan, qui ne reçut pas un commandement en raison de son évacuation trop rapide du Baztan, devint le chef d’état-major de l’armée. Le soin fut laissé à Soult de choisir les commandants de division et d’organiser ses forces en appliquant les principes suivants : divisions à 6000 hommes, divisions d’infanterie avec deux batteries d’artillerie à pied, divisions de cavalerie avec une batterie à cheval, en réserve d’armée deux batteries à cheval et plusieurs batteries de gros calibre. Soult mit ainsi sur pied dix divisions d’infanterie et deux divisions de cavalerie, constituant trois « ailes », chacune à trois divisions d’infanterie et un régiment de cavalerie légère : Le corps Reille avec les divisions Foy, Maucune et Lamartinière, le corps Drouet d’Erlon avec les divisions Darmagnac, Abbé et Darricau, le corps Clauzel avec les divisions Conroux, Vandermaesen et Taupin. S’y ajoutaient la division d’infanterie de réserve, commandée par Villatte et les deux divisions de cavalerie. Chaque division comprenait 5 ou 6 bataillons, mais toutes étaient en sous-effectif. Au total l’armée représentait 59 450 hommes, 8 546 chevaux et 140 canons, auxquels s’ajoutaient 4 660 non combattants. Les matériels avaient été fournis par la 10e division militaire de Toulouse et la 11e de Bordeaux. L’artillerie nécessaire avait été trouvée dans l’arsenal de Bayonne. Mais les troupes étaient démoralisées, désorganisées, sous encadrées et indisciplinées. Dans la première quinzaine de juillet durant leur retraite, elles s’étaient abattues comme un fléau sur les campagnes du pays Basque. L’offensive de fin juillet reporta pendant une semaine ces brigandages de l’autre côté de la frontière.
Le maréchal Soult était déterminé à reprendre l’offensive. Il avait noté que la retraite d’Espagne après la défaite de Vitoria avait pu être enrayée grâce à l’appui des places de Bayonne et Saint-Jean-Pied-de-Port. Il décida donc d’agir offensivement à partir de Saint-Jean-Pied-de-Port en direction de Pampelune pour en faire lever le siège et ainsi provoquer un relâchement de la pression sur Saint-Sébastien. Il quitta Bayonne le 20 juillet et arriva à Saint-Jean-Pied-de-Port le 21 juillet. Il décida de réorganiser son dispositif en concentrant les gros de son armée à Saint-Jean-Pied-de-Port et en maintenant un dispositif de couverture sur la Bidassoa jusqu’au col de Vera, constitué par la division de réserve de Villatte et vingt pièces d’artillerie avec Bayonne comme dernier point d’appui. Les trois divisions de l’aile droite de Reille placées en avant de Saint-Jean-de-Luz purent ainsi être ramenées sur Saint-Jean-Pied-de-Port, après leur relève à partir du 18 juillet. Les trois divisions du centre de Drouet d’Erlon restèrent rassemblées dans la région d’Aïnhoa. Depuis la retraite, la division Conroux occupait la région de Saint-Jean-Pied-de-Port, Saint-Etienne-de-Baïgorry et Bidarray. Ordre fut confirmé à Clauzel de rallier Saint-Jean-Pied-de-Port. Arrivant de la vallée d’Aspe, il parvint à Saint-Jean-Pied-de-Port les 15 et 16 juillet avec les divisions Vandermaesen et Taupin. Il y prit la division Conroux sous ses ordres. Le 17 juillet, la division Vandermaesen était installée à la ‘venta’ d’Orisson avec un bataillon à Château Pignon qui connut des engagements avec les postes avancés du camp anglais de l’Alto Biscar. La division Taupin était déployée à Arnéguy. La division Conroux regroupée à Baïgorry tenait des avant-postes vers le col d’Ispéguy et la fonderie des Aldudes et occupait fortement avec deux bataillons le mont Arrola séparant la vallée des Aldudes de celle du Val Carlos. Les divisions du corps de Reille parvinrent à Saint-Jean-Pied-de-Port le 22 juillet soir et s’installèrent dans les cantonnements d’Aphat-Ospital, Aincille et Anhaux. Au total, étaient ainsi concentrés à Saint-Jean-Pied-de-Port, les six divisions des ailes droite et gauche, soit les corps Reille et Clauzel, ainsi que les deux divisions de cavalerie et 66 pièces d’artillerie. Soult disposait alors au total de 72 000 hommes, tandis qu’à l’extrémité orientale des Pyrénées, Suchet disposait de 25 000 hommes face à 70 000 Anglais, Siciliens et Catalans.
Arrivé à Saint-Jean-Pied-de-Port le 21 juillet au matin, Soult installa son quartier général au château d’Olhonce. Il voulait utiliser la place forte comme base d’appui de l’engagement offensif de ses troupes vers Pampelune.

66- La CONTRE-OFFENSIVE de SOULT (1813)

La tentative de contre-offensive de Soult débuta le 24 juillet 1813. L’intention de Soult était, dans une première attaque profitant de l’effet de surprise, de dégager Pampelune où le général Cassan était assiégé avec 3 500 hommes, puis de conduire une seconde attaque vers Saint-Sébastien où était assiégé le général Rey avec plus de 3 000 hommes, dont un bataillon de chasseurs pyrénéens. La contre-offensive de Soult échoua face à Wellington devant Pampelune, à la bataille de Sauroren du 28 au 30 juillet 1813.
Le maréchal Soult diffusa ses ordres le 23 juillet. Couverts sur la basse Bidassoa par la division Villatte face aux forces alliées de Fontarabie et Saint-Sébastien, Soult avait décidé de déboucher le 25 juillet, simultanément par les cols de Roncevaux, de Lindus et de Maya, avec trois corps d’armée en direction de Pampelune. Deux corps, soit 40 000 hommes au total, chargés de l’effort principal devaient s’emparer de Roncevaux et Burguette. Le corps Clauzel, avec les divisions Conroux, van der Maësen et Taupin, attaquerait par le grand chemin d’Espagne et le col de Roncevaux tandis que le corps Reille, avec les divisions Lamartinière, Maucune et Foy, s’engagerait par le col de Lindus. Le corps Drouet d’Erlon, avec les divisions Darricau, Abbé et Darmagnac, chargé de l’action secondaire, devait conquérir successivement les cols de Maya et de Velate. Le dispositif de Soult était couvert sur son Est par le général Pâris, sans liaison avec son chef Suchet, qui tenait Jacca et le col du Somport.
Les troupes françaises prirent leurs dispositions préparatoires le 24 juillet et gagnèrent leurs bases de départ. Derrière l’échelon d’attaque constitué par les trois divisions du corps Clauzel, le Grand Chemin d’Espagne par Roncevaux et Orisson, réparé les jours précédents par les sapeurs du commandant Burel, était réservé à l’artillerie, à la cavalerie et aux bagages. Trois cents paires de bœufs, rassemblés à Saint-Jean-Pied-de-Port, devaient permettre de hisser les 66 pièces d’artillerie au col de Roncevaux à plus de 1 300 mètres d’altitude en ménageant les attelages. Dès le 24 au soir, quelques pièces d’artillerie étaient en batterie à la ‘venta’ d’Orisson. Les trois divisions du corps Reille, cantonnées à Anhaux, Aincille et Aphat-Ospital se mirent en marche à 1 heure du matin dans la nuit du 24 au 25 juillet. Elles traversèrent Saint-Jean-Pied-de-Port pour y percevoir une distribution de pain de deux jours. L’encombrement était si grand dans les rues de la ville que les troupes retardées ne parvinrent qu’à une lieue en arrière des points qui leur avaient été assignés dans la vallée de Baïgorry, où elles relevèrent la division Conroux. Les services des subsistances fonctionnèrent mal. Les unités démarrèrent avec seulement deux jours de vivres. Les soldats furent rapidement réduits à dévaliser la campagne et les fermes dont les hommes, réquisitionnés comme gardes nationaux étaient de service dans les montagnes. De surcroît des pluies abondantes s’abattirent sur les troupes au cours de la nuit, trempant les hommes et mouillant leurs munitions.
L’attaque se déclencha le 25 juillet matin. « Les gros de l’armée d’Espagne, composé des six divisions de Reille et Clauzel, sous le commandement de Soult, s’engagèrent dans le Val carlos. Jamais, depuis le temps des Paladins, tant de guerriers y étaient passés » écrit le capitaine Vidal de la Blanche. Les trois divisions de l’aile gauche aux ordres de Clauzel, s’élancèrent par la route des crêtes, avec pour objectif la montagne d’Altobiscar qui domine le col de Roncevaux, afin de poursuivre ultérieurement vers Burguette. La division Vandermaesen démarra des positions d’Orisson et Château Pignon qu’elle occupait depuis le 17, la division Taupin agissant de concert sur sa droite monta directement de la vallée d’Arnéguy, la division Conroux, une fois relevée à Baïgorry, s’engagea derrière la division Vandermaesen. Cette attaque principale était accompagnée de l’attaque d’un bataillon par le Val Carlos en direction de la chapelle de Roncevaux, et par l’attaque d’un bataillon d’élite de gardes nationaux, aux ordres d’un ancien officier Lalanne, agissant depuis la Nive de Béhérobie en direction des forges d’Orbaïceta, par le col d’Orgambide. Les avant-postes ennemis au-delà de Château Pignon et vers le mont de Leiçar Atheca furent emportés. Mais l’attaque fut arrêtée par l’ennemi fortement retranché autour de l’Altobiscar. Ses positions furent finalement prises d’assaut. L’objectif du col de Bentarte, le « col de Roncevaux » était atteint. Soult bivouaqua face à l’Altobiscar le 25 soir.
Débouchant de Baïgorry, les trois divisions de l’aile droite aux ordres de Reille, s’emparèrent des Aldudes et du mont Arrola, avant de poursuivre vers le col de Lindus. Leur action était également accompagnée d’une attaque de diversion d’un bataillon de gardes nationaux, aux ordres d’Etcheverry, en direction des cols d’Ispéguy et de Berdaritz, tenus par une brigade portugaise qui finalement abandonna ces cols. Mais les divisions du corps Reille, empruntant depuis le mont Arrola le sentier de montagne conduisant au col de Lindus, perdirent beaucoup de temps sur cet itinéraire difficile, peu propice à l’attaque, sur lequel les unités devaient progresser en file indienne. Elles ne parvinrent pas à s’emparer du col pour le 25 soir. La montagne de Lindus, dominant le col, était une vieille position espagnole de 1793. Cependant, les Anglais par crainte d’être débordés, évacuèrent le Lindus dans la nuit du 25 au 26.
Débouchant également le 25, d’Espelette et d’Aïnhoa en passant de part et d’autre du mont Mondarrain, les trois divisions du centre aux ordres du comte Drouet d’Erlon, s’emparèrent de leur objectif du col de Maya dans la journée. Les Alliés se replièrent sur Elizondo.
Au cours de la journée du 26 juillet, le corps de Clauzel, poursuivit sa progression en direction de Pampelune et atteignit le 26 soir la ligne de crête entre Zubiri et Espinal, à hauteur du col d’Erro. Le corps de Reille s’empara des autres cols proches du Lindus. Poursuivant ensuite en direction d’Espinal, au sud de Burguete, il se perdit dans le brouillard, sans pouvoir être aidé par les guides basques dont il ne comprenait pas la langue. Le corps de Drouet d’Erlon, quant à lui, ne parvint pas à déboucher du col de Maya pour poursuivre vers Elizondo et le col de Velate. Ainsi, les divisions anglaises de la vallée du Baztan se replièrent en ordre vers Elizondo et Pampelune par le col de Velate. Apprenant le 26 soir que d’Erlon n’avait pas débouché du col de Maya, Soult décida de poursuivre le 27 matin vers Pampelune avec les seules six divisions des corps Reille et Clauzel. Le 27 juillet, Clauzel occupa la ville de Sorauren, ville située à hauteur des monts dominant Pampelune à 7 Km à son nord.
Ayant appris l’offensive française le 25 juillet à Saint-Sébastien où une attaque de la place venait d’échouer, Wellington, quittant le siège de Saint-Sébastien, se dirigea précipitamment vers Pampelune. Ainsi, Soult et Wellington se retrouvèrent face à face devant Pampelune le 27 juillet. Wellington voulait arrêter les Français en avant de Pampelune. L’armée française, réduite à deux corps, se déploya sur les deux rives de la rivière Arga. Dans l’attente du corps Drouet d’Erlon, Soult ne se décida à attaquer que le 28 après-midi. Les Français, fatigués et à jeun, essayèrent en vain de bousculer les Anglais galvanisés par la présence de Wellington, et de s’emparer des hauteurs de Sorauren, qui commandaient les accès à Pampelune d’où l’on entendait le canon de la bataille. Le 28 après-midi, Soult lança une attaque limitée de Clauzel qui, partant du village, s’empara de la crête couronnée par la chapelle de Sorauren. Mais il ne parvint pas à s’y maintenir et il fut repoussé par la contre-attaque anglaise, subissant de lourdes pertes dans des combats acharnés. Vers cinq heures de l’après-midi, Soult décida le repli sur les positions de départ. De son côté, Drouet d’Erlon, le 28 dans la matinée, constatant le décrochage des Anglais face à lui, se mit en route et franchit enfin le col de Velate, à la suite des divisions anglaises. Le 28 soir, il atteignait Lanz et parvint le 29 à midi à Ostiz, quinze kilomètres au nord de Pampelune. Le 29 juillet Wellington disposait de 30 000 hommes sur le champ de bataille. Face à lui, les troupes françaises étaient épuisées et à court de vivres, n’ayant perçu aucune distribution depuis leur départ de Saint-Jean-Pied-de-Port. Conscient de l’échec de son action sur Pampelune et craignant l’arrivée des divisions alliées que l’action de Drouet d’Erlon n’avait pas arrêtées, Soult « malgré son indomptable énergie » ordonna le repli dès le 29 juillet. Voulant profiter de la concentration des forces alliées devant Pampelune avec Wellington à leur tête, Soult confiant au corps de Reille la mission de masquer et couvrir sa manœuvre de retraite, décida de reporter son effort sur la zone côtière et de basculer le gros de ses forces contre Saint-Sébastien. Il renvoya le jour même son artillerie vers Saint-Jean-de-Luz par le chemin de Roncevaux à Saint-Jean-Pied-de-Port. Il voulait se replier à partir du 30, en coupant en ligne droite avec le gros de ses forces, par la montagne à partir du col de Velate sur la direction Dona Maria, San Esteban, pour rejoindre les positions tenues sur la Bidassoa par la division Villatte.
Face à lui, Wellington le 30 juillet craignait une attaque d’envergure de Soult, que Drouet d’Erlon avait rejoint. Il surveillait les mouvements français. Le repli de Soult, commencé le 30 juillet, s’effectua donc sous la pression anglaise, face à laquelle le corps Reille avait mission de le couvrir. La bataille de Sorauren connut donc une seconde phase le 30 entre l’armée de Wellington et le seul corps Reille. Wellington s’empara du village de Sorauren et commença à déborder Reille qui dut ordonner la retraite. Certaines de ses unités commencèrent alors à se débander.
Entamant son repli de Sorauren à Saint-Sébastien en s’engageant vers le col de Velate, Soult voulait exécuter une « marche manœuvre » et reprendre l’initiative en cours de retraite. Il marchait avec le corps de Drouet d’Erlon qui formait l’avant-garde de l’armée. Il réussit initialement à progresser dans de bonnes conditions, grâce à des succès locaux contre les unités anglaises. Le 31 juillet, il installa son Q.G. à Lanz au pied du col de Velate. Apprenant l’échec subi par Reille, il prit conscience de la situation réelle et décida de poursuivre vers San Esteban par le col de Dona Maria, puis de prendre la direction de Vera par les gorges de la Bidassoa. Il commença son mouvement le 31 juillet à 1 heure du matin. Les Anglais passèrent immédiatement à l’offensive. La suite de la retraite, effectuée sous la pression anglaise se déroula dans la confusion, les unités françaises se trouvant sans vivres ni munitions, perdirent confiance et tout sens de la discipline. Cependant, le 1er août au soir, le corps Reille l’ayant rejoint avec deux de ses divisions, Soult réussit à regrouper à hauteur d’Echalar les restes de huit de ses divisions. De là, Soult se dirigea vers Sare et Aïnhoa à la rencontre de Villatte.
Lors de la retraite du corps Reille laissé initialement en couverture, la division Foy s’égara. Elle se dirigea d’Eugui vers Les Aldudes par le col d’Urquiaga qu’elle tint jusqu’au 31 juillet au soir. Sur le même itinéraire se repliaient 7 à 8 000 isolés et traînards appartenant à des unités complètement débandées, que Foy dirigea vers Saint-Jean-Pied-de-Port. Ayant perdu la liaison avec Soult dès le 30 juillet, Foy se replia par la vallée des Aldudes sous la pression des Anglais jusqu’à Cambo. Le 9 août, il y reçut l’ordre de gagner Saint-Jean-Pied-de-Port pour constituer un détachement de flanc-garde aux ordres directs de Soult. Il devait y prendre le commandement de toutes les troupes qui s’y trouvaient, notamment des traînards qui s’y étaient réfugiées dans le désordre de la retraite. La cité avait, à partir du 30 juillet, assisté au repli des convois, de l’artillerie et des divisions de cavalerie de l’armée de Soult. Ensuite, elle vit arriver les blessés, les déserteurs et les isolés, dont ceux rencontrés par la division Foy, qui se répandirent dans les vallées de Baïgorry et de Saint-Jean-Pied-de-Port. La débandade des troupes battues qui annonçaient l’arrivée des armées ennemies, provoqua une véritable panique, d’autant qu’elles recommencèrent à ravager le pays dans une véritable fièvre de vandalisme. L’événement sembla encore plus grave que la défaite de Vitoria. Foy récupéra environ 8 000 traînards au cours de la première quinzaine d’août.
La manœuvre à double objectif de Soult consistant à attaquer vers Pampelune, afin d’obtenir la levée du siège de Saint-Sébastien avait donc échoué. L’armée française vaincue, mais moins profondément désorganisée qu’il ne pourrait paraître, réussit à reprendre ses anciennes positions défensives depuis la Bidassoa jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port. Soult rétablit son centre sur La Rhune, sa gauche au Mondarrain et sa droite à l’océan. Du 25 juillet au 2 août, Soult avait perdu 12 443 hommes, dont 423 officiers. Les Anglais certes vainqueurs avaient cependant subi des pertes importantes. Hors d’état de poursuivre, Wellington déploya un dispositif de couverture afin d’achever le siège de Saint-Sébastien et le blocus de Pampelune. Le 3 août Wellington remania son dispositif, renvoyant le corps de Hill à Roncevaux et aux Aldudes. Les deux armées se retrouvaient dans le statu quo ante sur la Bidassoa et les cols pyrénéens.
Dès son arrivée sur la Bidassoa, Soult réorganisa son dispositif. La division Foy occupait toujours Saint-Jean-Pied-de-Port : Venta d’Orisson, Arnéguy, Baïgorry et Anhaux. Mais le passage entre Larrau et Sainte-Engrace, déjà utilisé en 1793 pour tourner Saint-Jean-Pied-de-Port restait libre. La division Foy fut donc chargée d’assurer la flanc-garde du dispositif. Soult décida de reporter son effort sur le secteur côtier et d’attaquer Saint-Sébastien pour en faire lever le siège. Le 29 août, il repassa la Bidassoa pour attaquer les hauteurs de San Marcial21 qui dominent le gué de Biriatou et soulager la garnison de Saint-Sébastien qui soutenait toujours le siège des alliés. Malgré quelques succès locaux des Français, la contre-attaque échoua le 1er septembre. Le 9 septembre, la garnison de Saint-Sébastien capitula après trois mois de siège. Avant le début d’octobre, Foy réussit à rejeter les avant-postes ennemis de la vallée de Baïgorry dans celle du Baztan. Cependant, en face de lui, les anglo-portugais de Hill tenaient les redoutes de l’Alto Biscar, du Lindus et d’Ispéguy. Début octobre, par 1 mètre de neige, la brigade Campbel attaqua les avant-postes de Foy à la fonderie des Aldudes et y razzièrent 2 000 moutons. Le 31 octobre enfin, le général Cassan capitulait à Pampelune. Sur le front européen, après la bataille de Leipzig des 18 et 19 octobre 1813, Napoléon avait du battre en retraite.
Soult revenu à Saint-Jean-Pied-de-Port début octobre, constata que la place de Saint-Jean-Pied-de-Port et sa citadelle ne barraient qu’insuffisamment le débouché des vallées de la haute Nive et les itinéraires descendant des ports de Cize. Il conçut donc le projet d’en faire le centre d’un camp retranché qui pourrait contrôler les routes conduisant d’Espagne vers Bayonne et Pau. La construction de ce camp retranché comprenant un nombre plus important d’ouvrages que celui de 1773, et englobant un plus large périmètre autour de Saint-Jean-Pied-de-Port, fut immédiatement entreprise.

67- L’OFFENSIVE de WELLINGTON (1813-1814)

Cette offensive constitua le dernier acte de la campagne de Soult, commencée avec la bataille de Vitoria le 21 juin 1813. Elle se termina, au plan politique le 11 avril 1814 par l’abdication de Napoléon, au plan militaire le 10 avril par la bataille de Toulouse, puis le 14 avril par la sortie de la garnison de Bayonne, enfin le 30 avril par la reddition de la garnison de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Saint-Sébastien une fois prise, le front établi sur la Bidassoa et les cols pyrénéens, Wellington s’interrogea sur sa stratégie: soit pénétrer en France par les cols pyrénéens, terrain jugé plus propice mais où les Français tenaient des places fortes, dont celle de Saint-Jean-Pied-de-Port, soit attaquer par la côte et les Landes, obstacles naturels difficiles à franchir. Il opta pour une offensive par la côte, d’autant qu’à cette date Pampelune n’était pas tombée. Fidèle à ses principes, il choisit de procéder à une attaque prudente et systématique vers la côte atlantique et la basse Bidassoa, en vue de s’emparer des ports de Fontarabie et Saint-Jean-de-Luz ainsi que de la montagne de La Rhune, avant de poursuivre vers Bayonne.
Avec son armée réduite à 60 000 hommes, Soult s’était établi défensivement sur la frontière sur un front de quarante kilomètres où il avait fait exécuter de gros travaux de retranchement par de la main d’oeuvre civile réquisitionnée. Son Q.G. était installé à Saint-Jean-de-Luz. Son dispositif défensif, très étalé manquait de profondeur et de réserves. Il était constitué du corps Reille avec 10 500 hommes sur la Bidassoa, du corps Clauzel avec 15 400 hommes au centre, qui tenait également Sare et la Rhune, du corps Drouet d’Erlon à l’Est jusqu’au massif du Mondarrain. Il était couvert, dans le camp retranché qu’il faisait établir en avant de Saint-Jean-Pied-de-Port, par les 5 000 hommes de la division du général Foy qui avait pris sous ses ordres la garnison du général Blondeau. Ils étaient eux-mêmes flanqués vers Saint-Palais et Mauléon par la brigade Pâris. Accrochant sa droite au camp retranché de Bayonne et sa gauche à celui de Saint-Jean-Pied-de-Port, Soult, en nette infériorité numérique, livra contre l’armée de Wellington d’octobre 1813 à mars 1814, un combat de défense mobile en profondeur en arrêtant habilement l’ennemi sur les lignes favorables successives que constituaient les coupures de la Bidassoa, de la Nivelle, de la Nive, de l’Adour, puis des gaves et en menant contre lui des retours offensifs, notamment en s’appuyant sur le camp retranché de Bayonne. Les combats, qui se terminèrent en avril 1814 par la bataille de Toulouse, se déroulèrent donc en plusieurs phases :
  • Les 7 et 8 octobre 1813, bataille de la Bidassoa. Wellington, dont le QG était installé à Vera, prit l’initiative. Il surprit Soult, dont il perça le dispositif défensif. Il conquit une tête de pont au pas de Bidassoa et au gué de Biriatou, et s’empara d’Hendaye, dont le fort fut définitivement détruit. Après d’âpres combats, les attaques anglaises sur la Rhune et la forge Urdax, vers Dancharia furent finalement repoussées. Sous la poussée de Wellington, Soult décida de reculer sa ligne de défense sur la Nivelle, abandonnant la Rhune mais adoptant ainsi un dispositif plus resserré. Gardant l’initiative, Wellington pouvait entamer l’invasion du territoire français à partir de cette tête de pont ;
  • Jusqu’au 11 novembre 1813, bataille de la Nivelle. Malgré la supériorité numérique de l’ennemi, Soult parvint à l’arrêter sur cette rivière pendant plus d’un mois. Soult, maintenant son Q.G. à Saint-Jean-de-Luz, prépara la défense par de grands travaux, avec le corps Reille sur Saint-Jean-de-Luz, Clauzel sur Sare et Ascain, d’Erlon sur Aïnhoa et Mondarrain, tandis que Foy à Bidarray surveillait les vallées de Baïgorry et du Bastan et que le général Pâris défendait Saint-Jean-Pied-de-Port. Le 31 octobre, la garnison de Pampelune forte de 3 500 hommes aux ordres du général Cassan, capitula après plus de quatre mois de siège. Wellington organisa son armée de 90 000 hommes en trois corps. Celui du général Hill avec 26 000 hommes, soit trois divisions anglaises, les divisions espagnoles de Morillo et Mina et une brigade de cavalerie, était déployé face à Saint-Jean-Pied-de-Port et dans la vallée du Baztan. Wellington attaqua les 10 et 11 novembre en direction d’Ascain, Aïnhoa, Saint-Pée et Saint-Jean-de-Luz. Il établit après de très durs combats trois divisions sur la rive droite de la Nivelle, tandis que Foy menait une contre-attaque malencontreuse sur le mont Gorospil, tenu par les 5 000 hommes de Morillo et Mina. Menacé d’être coupé en deux, Soult abandonna Saint-Jean-de-Luz. Le 12 novembre, il reporta sa ligne de défense sur les hauteurs moins favorables d’Arbon, Arcangues, Bassussary et le cours de la Nive de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le quartier général anglais s’établit à Saint-Jean-de-Luz ;
  • Jusqu’au 13 décembre 1813, bataille de la Nive. Appuyant sa droite sur la place de Bayonne dont la garnison est portée à 8 000 hommes, et sa gauche sur la place de Saint-Jean-Pied-de-Port, accrochant son centre aux hauteurs de Cambo, Soult qui avait établi son Q.G. à Bayonne, voulait arrêter Wellington sur la coupure de la Nive. Reille était déployé à Anglet et Biarritz, Clauzel au centre à Arcangues, Drouet d’Erlon sur le cours de la Nive, tandis que Pâris à Saint-Martin d’Arossa gardait le débouché des vallées de Baïgorry et de Cize avec 4 000 hommes et que Blondeau défendait Saint-Jean-Pied-de-Port avec les seuls effectifs de sa garnison. Le 9 décembre, Wellington attaqua entre Cambo et Ustaritz tandis que Morillo franchissait la Nive à Itxassou, obligeant Pâris à se replier sur Helette. S’appuyant sur Bayonne, Soult mena pendant cinq jours une série de contre-attaques, dont certaines heureuses. Il fut finalement battu à la bataille de Saint-Pierre d’Irube et de Mouguerre, le 13 décembre et il dut finalement abandonner la position de la Nive. Le 17 décembre une colonne espagnole conduisant une descente en force dans la vallée de Baïgorry, commit de nombreuses exactions contre la population ;
  • Janvier 1814, combats sur la Joyeuse, la Bidouze et le Saison. Wellington, parvenu devant Bayonne, voulait agir prudemment et assiéger Bayonne avant de poursuivre. Soult, après avoir envoyé 15 000 hommes en renfort à Napoléon qui se préparait à défendre les frontières de la France, installa son Q.G. à Peyrehorade. Il organisa son dispositif en s’appuyant sur l’Adour depuis son embouchure et la Joyeuse son affluent. Bayonne, en plus de sa garnison portée à 9 500 hommes commandée par le général Thouvenot, était défendue par les 5 100 hommes de la division Abbé. Wellington chargea le corps Hope, à l’effectif de 39 000 hommes, de l’assiéger. En Basse Navarre, la division Harispe, détachée de l’armée du maréchal Suchet et arrivée depuis le 25 décembre, occupait le secteur d’Helette, Irissarry et la brigade Pâris tenait Saint-Palais. Mais les divisions Harispe et Foy durent se replier après une sanglante affaire autour de Garris. Wellington confia à la division espagnole de Morillo la garde de la Nive à Itxassou et à la division Mina l’occupation du Baztan ;
  • Février 1814, franchissement de l’Adour et combats d’Orthez. Après le départ de ses deux divisions rappelées à Paris, l’armée de Soult était réduite à 37 000 fantassins et 3 800 cavaliers. Wellington disposait d’effectifs triples. Tout en poursuivant le siège de Bayonne qui devint définitif à la mi-février et en assiégeant Saint-Jean-Pied-de-Port, il lança plusieurs attaques pour éloigner l’armée de campagne française de Bayonne. Ainsi, le 14 février, la division Harispe, battue vers Hélette, dut se retirer vers Saint-Palais. Wellington prit l’offensive sur l’Adour le 15 février. Après s’être battu sur cette rivière, puis sur le gave de Pau, Soult dut se replier sur le gave d’Oloron. Le 23 février, tandis que Hope franchissait l’Adour pour investir la ville de Bayonne, Wellington relança une attaque sur un front de cinquante kilomètres provoquant un nouveau repli de Soult de part et d’autre d’Orthez où il s’installa le 25 février avec ses 40 000 hommes. Après avoir, durant la nuit, lancé un pont sur le gave à Bérenx, Wellington attaqua Orthez le 27 février, tandis que les troupes du général Hope assiégeaient Bayonne et celles de Morillo Navarrenx. A Orthez, où 35 000 Français opposaient une défense opiniâtre à 45 000 Anglais, les combats furent très violents et les pertes très lourdes des deux côtés. Contraint à un nouveau repli, Soult regroupa ses troupes à Hagetmau où il établit son QG. La bataille d’Orthez, du 27 février 1814, acheva la défaite d’une armée française dont le moral avait faibli ;
  • Mars 1814, combats d’Aire-sur-Adour et retraite vers Toulouse. Soult renonça à barrer la route de Bordeaux où les Anglais entrèrent le 12 mars, et dont le maire proclama le ralliement de sa ville à Louis XVIII. Soult décida de faire route vers Toulouse en entraînant Wellington dans le Piémont pyrénéen. Il espérait y rejoindre l’armée du maréchal Suchet venant de Catalogne. Wellington lança la poursuite en trois colonnes. Le 2 mars, il surprit Soult autour d’Aire-sur-Adour et lui infligea une nouvelle défaite. De son côté, Soult réussit plusieurs actions limitées fructueuses contre les Anglais. Après de nouveaux combats à Vic-en-Bigorre, Tarbes et Saint-Gaudens, Soult s’installa le 24 mars 1814 à Toulouse. Il mit la ville en état de défense et recompléta son artillerie grâce aux arsenaux de la ville ;
  • 10 avril 1814, bataille de Toulouse. Wellington engagea le combat le 10 avril avec ses 60 000 hommes. Dès le 10 au soir, Soult était presque totalement encerclé dans Toulouse. Le bilan de la bataille qui se termina sans véritable vainqueur, fut très lourd. Harispe fut blessé. Wellington décida de relancer une attaque le 12, mais dans la nuit du 11 au 12 avril, Soult reconnaissant sa défaite, évacua la ville.

Cette manœuvre de retraite de Soult d’Hendaye à Toulouse est remarquable. Il parvint, pendant six mois, à manoeuvrer face à une armée deux fois plus nombreuse, alternant combats d’arrêt sur les coupures naturelles, manoeuvres de diversion et retours offensifs, en s’appuyant sur les places fortes. Par ailleurs, il avait réussi à attirer Wellington vers Toulouse, interdisant ainsi aux Alliés de regrouper l’ensemble de leurs forces contre Napoléon.
Wellington entra le 12 avril 1814 matin dans la ville de Toulouse. En fin de matinée, il reçut à la préfecture les émissaires des Alliés et du gouvernement provisoire de la France, lui annonçant l’abdication sans condition de Napoléon, intervenue le 6 avril. Paris avait capitulé le 31 mars. Le 13 avril, les émissaires rejoignirent Soult à Castelnaudary. L’ordre de cesser le combat signé du major général des armées, le général Berthier, lui parvint le 18 avril. L’armistice fut alors conclu, le même jour 18 avril, entre les généraux Gazan et Murray, respectivement chefs d’état-major des deux armées. A cette date, Suchet se maintenait toujours en Catalogne vers Figueras et plusieurs garnisons dont celle de Barcelone résistaient encore. Le 19 avril, le maréchal Soult signa une proclamation d’adhésion de lui-même et de ses troupes au nouveau gouvernement français. Après la signature de l’armistice le 18 avril, le général Murray fit porter le texte de la convention mettant fin aux hostilités aux places fortes de Bayonne, Navarrenx, Lourdes et Saint-Jean-Pied-de-Port qui résistaient encore. Leurs garnisons devaient alors capituler ainsi que celle de Venasque en Espagne où une garnison française était également encerclée. La proclamation du maréchal Soult leur fut communiquée le 22 avril. Napoléon avait fait ses adieux à la Garde à Fontainebleau, le 20 avril.
La place de Bayonne, assiégée depuis le 17 février et abandonnée à son sort, tenait toujours. Le général de division Thouvenot, personnellement désigné à ce poste par l’empereur y était assiégé avec 12 000 hommes, organisés en quatre brigades et vingt-et-un bataillons, plus 800 marins, par les 28 000 hommes du général Hope, constituant deux divisions et une brigade anglaises, deux brigades d’infanterie et une brigade de cavalerie portugaises ainsi que deux divisions espagnoles. Commençant par des attaques de diversion le 23 février, Hope réussit à lancer un pont de bateaux sur l’Adour et à réaliser l’investissement complet de la place le 27 février. Thouvenot élabora alors un plan de sortie qu’il réalisa le 14 avril 1814, à partir de 2 h 30 du matin, et qui lui permit de faire prisonnier le général anglais Hope. Devant la contre-attaque anglaise, Thouvenot ordonna le repli à 08 h 00. Le 17 avril, la nouvelle de l’abdication de Napoléon parvint à Bayonne. L’entrée des Alliés à Paris rendait inutile toute prolongation de sa résistance, mais le général Thouvenot ne consentit à signer une suspension d’armes que le 27 avril et la convention levant le blocus n’intervint que le 5 mai.
La place de Saint-Jean-Pied-de-Port était, quant à elle, assiégée depuis le 16 février. En novembre, en effet, en raison d’actes de vandalisme, Wellington avait renvoyé en Espagne la division de Mina, l’ex-chef de bande espagnol devenu général, initialement engagée au sein du corps Hill. Le 16 février, Mina arrivant du Baztan mit le siège devant la place de Saint-Jean-Pied-de-Port, en ravageant le pays mais sans prononcer de véritable attaque d’envergure. La garnison forte de 1 562 hommes aux ordres du général Blondeau, formée du dépôt du 31e léger, de deux cohortes de la légion des Basses-Pyrénées, d’artilleurs et de sapeurs, résista. En mars, un corps de 4 000 Espagnols tenta une nouvelle incursion en vallée de Baïgorry où ils furent repoussés par les habitants, rapidement reformés en compagnies franches ayant à leur tête M. Etcheverry, un de leurs anciens officiers de 1793. Averti à partir du 17 avril de l’abdication de Napoléon, puis le 22 avril de l’armistice et de la proclamation de Soult d’adhésion au nouveau gouvernement français, le général Blondeau ne signa une suspension d’armes que le 30 avril en se rendant au roi de France, douze jours après l’armistice général. Saint-Jean-Pied-de-Port qui, comme Bayonne, n’eut pas à capituler devant l’ennemi, ne se rendit qu’au roi de France.
Au traité de Paris du 30 mai 1814, la France fut ramenée à ses frontières du 1er janvier 1792, mais conserva Mulhouse, Montbéliard, Avignon, le Comtat Venaissin et une partie de la Savoie. Pendant les Cent Jours, du 1er mars 1815, débarquement de Napoléon au Golfe Juan, au 18 juin 1815, bataille de Waterloo et jusqu’au 15 juillet quand Napoléon se livra aux Anglais, son chef d’état-major fut Soult. Après le désastre de Waterloo, une petite armée espagnole commandée par le comte de Labisbal franchit la Bidassoa, pénétra sur le territoire français et s’avança jusqu’à Anglet et Ustaritz. L’alerte fut chaude mais brève sur la frontière. Une intervention du duc d’Angoulême auprès de Ferdinand VII entraîna un retrait pacifique des troupes espagnoles. Le 8 juillet 1815, Louis XVIII rentra à Paris.

68- Le CAMP RETRANCHE de 181322

Après la bataille de Vitoria, une partie de l’armée impériale s’était repliée, fin juin 1813, avec son artillerie par la route de Roncevaux. Poursuivie par une partie de l’armée anglo-espagnole, elle l’arrêta à la frontière en appuyant son dispositif défensif sur le camp retranché établi à Saint-Jean-Pied-de-Port depuis 1793. Ayant installé son quartier général au château d’Olhonce à Saint-Jean-Pied-de-Port le 21 juillet, le maréchal Soult se servit de ce camp retranché comme point d’appui de sa contre-offensive du 25 juillet 1813, qui visait à débloquer la place de Pampelune où était enfermé le général Cassan. En ces deux occasions, il avait pu constater les insuffisances du camp retranché qui barrait insuffisamment les débouchés des ports de Cize, dont Roncevaux, et pouvait aisément être débordé.
Aussi, lorsque, après ses défaites de Sorauren et San Marcial, puis la chute de Saint-Sébastien, décida-t-il d’y établir un camp retranché de plus grande taille, couvrant toute la vallée et englobant les monts et les villages entourant Saint-Jean-Pied-de-Port. Il comprenait ainsi un nombre plus important d’ouvrages, camps, redoutes et batteries que le camp retranché de 1793. Vu son développement, il nécessitait l’emploi d’une division entière, comme le précise la lettre de Soult au ministre de la guerre, Clarke, signée à Saint-Jean-Pied-de-Port, le 2 octobre 1813. La division Foy, forte d’environ 5 000 hommes, avait été affectée au camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port, le général Blondeau, gouverneur de la place étant placé à ses ordres avec les 1 562 hommes de la garnison. Le général Foy y fut remplacé par le général Pâris et sa brigade, lorsque le dispositif français fut redéployé sur la Nivelle. Le général Blondeau y assuma seul la mission lorsque Soult décida de regrouper ses forces sur Bayonne à la mi-novembre, après la bataille de la Nivelle des 10 et 11 novembre 1813. Le camp retranché joua parfaitement son rôle durant la manœuvre de défense mobile à l’extrémité sud du dispositif français d’octobre 1813 à avril 1814. Il ne subit aucune attaque majeure, dès lors que Wellington, qui voulait éviter de l’attaquer directement, avait décidé de lancer son offensive par le secteur côtier. Sa mission d’interdire à l’ennemi le libre usage du col de Roncevaux fut accomplie jusqu’à la fin des hostilités. De même, il fixa devant lui des effectifs alliés qui allégeaient d’autant le rapport des forces devant l’armée de campagne de Soult. La guerre se termina en 1814 pour le camp retranché par le blocus de Saint-Jean-Pied-de-Port, réalisé par le général espagnol Mina à partir du 16 février. La garnison n’eut à subir que des attaques partielles. Elle ne se rendit au roi de France que le 30 avril 1814, vingt-quatre jours après l’abdication de Napoléon, douze jours après l’armistice général.
En octobre 1813 donc, Soult fit rétablir les travaux de fortification antérieurs et y fit ajouter plusieurs fortifications nouvelles afin d’entourer plus complètement la citadelle face à toutes les directions, sans en privilégier aucune comme précédemment. Occupant ainsi plus largement la vallée de Cize, ce nouveau camp retranché était mieux en mesure d’interdire tout débouché en force du col de Roncevaux et de barrer les itinéraires conduisant de Pampelune vers Bayonne d’une part, Pau d’autre part. Déjà, le rapport de 1794 avait demandé que le camp retranché soit développé, notamment par la construction d’une redoute additionnelle en avant de Curutchamendy, sur le plateau de l’autre côté du grand chemin d’Orisson en face de la redoute de la Liberté, pour empêcher son contournement à partir d’Arnéguy23, par le bois de Bereterguibel. Cette redoute aurait ainsi complété l’ensemble constitué par les redoutes de La Liberté et d’Arignarte.
Au total le camp retranché édifié en 1813 ne comptait pas moins de douze redoutes, généralement en forme de pentagones réguliers, construites sur les hauteurs entourant Saint-Jean-Pied-de-Port. La citadelle était d’abord couverte à son Sud-ouest à l’extrémité de l’esplanade par une lunette, dénommée « lunette de Gastellumendy », construite à environ 600 mètres en avant de la porte du secours. Elle était ensuite entourée d’une première ceinture d’ouvrages constituée par les redoutes de :
  • Picoçoury, établie au lieu-dit Cherrapo, au-dessus de la route de Zaro, à la cote 299 ;
  • Ipharce, ou Ipartzéa, établie au lieu-dit Taillapalde, au-dessus du carrefour du chemin de La Madeleine et de la route de Zaro à la cote 231 ;
  • Ispoure, établie à la cote 192 à côté de la maison Abotia, entre le village d’Ispoure et la maison forte Larria, ouvrage dénommé « retranchement d’Ispoure » sur les cartes d’époque ;
  • Bel Aspect, au-dessus du village d’Uhart face à la direction de Baïgorry et du Val Carlos ;
  • Curutchamendy, établie sur un mamelon à une distance de 1 000 m, en face du côté ouest de la citadelle qu’elle domine de 45 m, couverte par une batterie en arc de cercle, déployée en avant, elle contrôlait à la fois les deux routes conduisant à Roncevaux en étant plus près de la « grande route » que de celle du Val Carlos.
Ainsi, la citadelle constituait le centre d’un camp retranché de 3020 m depuis la redoute de Picoçoury à Caro jusqu’à celle d’Ispoure, sur 2280 m depuis la redoute de Curutchamendy jusqu’à celle d’Ipharce, selon les mesures effectuées par les officiers du génie au XIXe siècle. Ce camp retranché était défendu sur les directions dangereuses par une seconde ceinture d’ouvrages :
  • en avant de l’ouvrage de Curutchamendy, à environ 1300 mètres plus en avant sur le grand chemin d’Espagne, un important ensemble de deux redoutes, celles de « La Liberté », et d’ « Arignarte » ;
  • en avant de la redoute de « Bel Aspect », un ensemble de deux redoutes, établi au dessus du village d’Ascarat, sur le mouvement de terrain marqué par les cotes 231 et 256, commandant les routes de Baïgorry et de Lasse ;
  • en avant de l’ouvrage de Picoçoury, à environ 800 mètres de distance, commandant le cheminement conduisant de Saint-Michel à Caro, le « redent d’Harispuru » ;
  • à 2 500 mètres plein Est de la citadelle, au-dessus de Saint-Jean-le-Vieux, commandant le grand chemin vers Pau, la redoute de « Francismendy », également dénommée « La Belle Esponda », redoute en forme d’étoile, prolongée par une sorte d’ouvrage à cornes sur son flanc Sud.
Plus en avant encore, à une dizaine de kilomètres au Sud de ce camp retranché sur le grand chemin d’Espagne, un ensemble avancé d’ouvrages détachés, constitué autour du camp de Château Pignon par plusieurs fortins et redoutes, commandait les débouchés des cols d’Orgambide, d’Arnostéguy et de Bentarte, ou Roncevaux. La carte actuelle au 1/25 000 indique l’ancienne redoute de Château Pignon à la cote 1 177 en face du pic d’Hostatéguy, immédiatement à l’est de la « route Napoléon », ainsi que les vestiges d’une redoute sur la frontière à la cote 1 385 entre les deux cols de Bentarte et d’Arnosteguy. Une autre redoute existe, semble-t-il, en contrebas et à l’Est du monument d’Urculu. Selon les ingénieurs du génie, l’ouvrage d’Arnostéguy était tenu par 1 500 hommes. Construits légèrement à contre-pente de la ligne de crête principale pour qui vient d’Espagne, en face de l’Alto Biscar, en avant des cols constituant la frontière, cet ensemble couvrait à distance le camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port. La carte d’état-major en hachures au 1/80 000, édition 1930, indique également des redoutes au col de Lindus, de Berdaritz et une « redoute espagnole » au col de Phagocelhay.
Le rapport de 1834 précise que tous ces ouvrages extérieurs étaient des ouvrages en terre, vraisemblablement renforcés d’éléments en maçonnerie et entourés de palissades. Mais aucun des documents consultés ne précise sur quel dispositif s’était replié la garnison du général Blondeau, une fois livrée à elle-même à partir de décembre 1813. Sans doute tenait-elle au moins avec ses effectifs les deux ouvrages de la citadelle, Gastellumendy inclus, et de Curutchamendy, mais peut-être avait-elle déployé un dispositif plus large englobant l’ensemble de la première ceinture.

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Ainsi donc, cette période de la Révolution et de l’Empire fut très riche en événements militaires pour la cité de Saint-Jean-Pied-de-Port. Elle se trouva, en effet, directement impliquée dans les guerres de la Révolution, après la déclaration de guerre de la France à l’Espagne le 7 mars 1793 jusqu’à la signature de la paix à Bâle le 22 juillet 1795, puis de l’Empire avec la campagne du Portugal commencée le 18 octobre 1807 par le franchissement de la Bidassoa par les troupes françaises du général Junot, puis celle d’Espagne par l’installation à Madrid du Maréchal Murat le 23 mars 1808. La citadelle fit alors concrètement la démonstration de son importance opérationnelle en devenant le centre d'un vaste « Camp Retranché » qui comprit en 1793 six, puis en 1813 une douzaine d’ouvrages importants, qui couvrait l’ensemble de la vallée. Il joua à plusieurs reprises un rôle opérationnel important, comme pivot des opérations, tour à tour en postures défensive et offensive, en 1793-95, puis en 1808, enfin en 1813-14. L’effectif nécessaire à sa défense se montait à une division. Par deux fois, lors de la concentration des troupes en vue d’opérations offensives, il abrita plusieurs divisions, jusqu’à deux corps d’armée, soit 40 000 hommes, en juillet 1813.
Placé en première ligne, ce camp retranché se trouva directement engagé comme point d’appui des combats pour la défense de la frontière face aux Espagnols d’avril 1793 à juin 1794, puis en juin et juillet 1813 lors de la retraite suivant la défaite de Vitoria, d’août 1813 au 30 avril 1814 enfin durant la manœuvre défensive de Soult de la frontière des Pyrénées à Toulouse, entre octobre 1813 et avril 1814, à l’extrémité Est, puis Sud, de son dispositif. Il constitua de 1808 et à 1813, en avant de Bayonne et au pied du col de Roncevaux, une base avancée de transit et de soutien logistique pour l’armée d’Espagne sur le second des deux itinéraires transfrontaliers des Pyrénées occidentales, le Grand chemin de Pampelune par Orisson et Roncevaux. Il constitua la base de départ de Moncey pour son offensive victorieuse en territoire espagnol de juin 1794 à juillet 1795, puis de la contre-offensive de Soult en direction de Pampelune en juillet 1813.
Il subit finalement en 1814 un blocus de deux mois et demi, sans capituler devant l’ennemi. Les deux camps retranchés de Bayonne et Saint-Jean-Pied-de-Port, ce dernier essentiellement durant les premières phases de la campagne, immobilisèrent pour leurs sièges et leurs blocus des effectifs alliés importants qui contribuèrent à rendre supportable par Soult le rapport es forces qui l’opposaient à Wellington et lui permirent de développer sa manoeuvre de défense mobile. Le simple fait que Wellington choisit de lancer son offensive de 1813 par la zone côtière tandis que Moncey en 1794, puis Soult en 1813 lancèrent leurs propres offensives à partir de Saint-Jean-Pied-de-Port sont la démonstration que sa citadelle, au centre du camp retranché a parfaitement assuré sa mission stratégique de défense et de contrôle de l’axe transpyrénéen constitué par le col de Roncevaux.
Les rapports du XIXe siècle jugèrent que ce camp retranché fermait parfaitement toute l’entrée du bassin de St Jean Pied de Port. Ils concluaient qu’il était assez grand pour contenir deux corps d’armée, soit près de cinquante mille hommes, tout en notant que la citadelle ne pouvait quant à elle héberger qu’une garnison de 660 hommes. Ils laissèrent cependant entendre que, une fois le blocus de Saint-Jean-Pied-de-Port réalisé, les anglo-espagnols avaient pu déborder le camp retranché en empruntant l’axe Saint-Michel, Caro, Aincille, Saint-Jean-le-Vieux, c’est-à-dire le tracé de l’ancienne voie romaine. Mais ils n’explorèrent pas les voies et moyens de renforcement du camp retranché afin d’interdire un tel débordement. Ils passèrent également sous silence l’incapacité des vallées de Cize et Baïgorry à soutenir, au plan des subsistances un effectif aussi important sans l’apport de ravitaillements extérieurs. Les combats de la Révolution et de l’Empire autour de Saint-Jean-Pied-de-Port démontrent bien que la valeur opérationnelle d’une place dépend également de la capacité de la cité bâtie à ses pieds à soutenir et prolonger son action, à garantir la sûreté de ses habitants, artisans et commerçants. Les enseignements tirés des combats de la Révolution et de l’Empire relancèrent dès le début du XIXe siècle des projets de grande ambition en vue de constituer une véritable place forte englobant la cité et la citadelle.
1 Voir planche n° 17.
2 Cf. sources manuscrites 06 à 13.
3 Cf. capitaine A. Grasset, bibliographie n° 07, capitaine Vidal de la Blache, bibliographie N° 11 et G. Six, bibliographie n°09.
4 Cf. général J. Ansoborlo, bibliographie n° 28 et lieutenant-colonel Strasser, bibliographie n° 45 (op. cit.).
5 Il s’agit de la crête sur laquelle fut construite ultérieurement la redoute de Picoçoury
6 Voir planche n° 18.
7 En 1791, la châtellenie de Saint-Jean-Pied-de-Port compte 64 communes.
8 La Convention nationale succéda à l’Assemblée législative le 20 septembre 1792 et gouverna jusqu’en octobre 1795. Elle proclama la République, condamna Louis XVI à la peine capitale, créa le comité de Salut public en avril 1793 et envoya dans toute la France des représentants en mission qui galvanisèrent le patriotisme du pays.
9 Voir note n° 32.
10 Cf. sources cartographiques n°38 et 39 et source manuscrite n° 05.
11 Voir planche n° 22.
12 Voir planche n° 17.
13 Une redoute n’y fut établie qu’en 1813.
14 Cf. source cartographique n° 38.
15 Cette redoute était située sur la crête aujourd’hui appelée Curutchamendy, immédiatement à l’ouest de la « route Napoléon »; la carte en hachures au 1/80.000 de 1930 y signale une ancienne redoute dénommée Ithurburia; la carte actuelle au 1/25.000 donne le nom d’Ithurburua à une ferme située le long de la « route Napoléon » au carrefour avec celle provenant de la maison Marmisol.
16 La carte actuelle de l’IGN au 1/25.000 indique les vestiges d’une redoute à la cote 319 à l’Est de la « route Napoléon », juste avant les maisons appelées respectivement Antonénéa et Etcheverrigaraya, à hauteur et en face du village de Zaro.
17 La carte actuelle de l’IGN au 1/25.000 donne le nom de Cherrapo à la cote 299 au-dessus de la route de Caro à St-Jean-Pied-de-Port où se trouvait cette redoute dont les vestiges très intéressants ont été détruits il y a environ vingt ans.
18 Voir planche n° 19.
19 Cf. capitaine A. Grasset, bibliographie n° 07 (op. cit.).
20 Le général anglais Wellesley fut fait comte, puis duc de Wellington en récompense de ses succès face aux armées napoléoniennes en péninsule ibérique.
21 Eminence d’une altitude de 258 mètres, au Sud de la Bidassoa, plein Est de Biriatou qui commande le gué et domine la ville d’Irun ; un ermitage à une altitude de 225 mètres occupe la crête militaire en dessous du sommet.
22 Voir planche n° 18.
23 Il s’agit d’une possibilité d’utilisation du cheminement partant de l’école de Pentchetto sur la route d’Arnéguy qui permet d’accéder à la « route Napoléon » à proximité de la maison Etchebestia.

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