VI. Le camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port sous la Révolution et l'Empire
Les
mémoires et rapports établis au XIXe siècle par les officiers du
génie se fondent sur les leçons des événements historiques des
périodes de la Révolution et de l’Empire pour expliquer et
justifier les projets de travaux d’amélioration et de rénovation
de la place qu’ils présentent. En effet, après avoir connu la
paix, malgré la récurrence des hostilités entre la France et
l’Espagne depuis la fin des Guerres de Religion, la place forte de
Saint-Jean-Pied-de-Port se trouva directement impliquée dans les
opérations menées au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Au cours
des guerres contre l’Espagne de la Révolution puis de l’Empire,
la citadelle devint le centre d’un vaste camp retranché, comptant
jusqu’à une douzaine d’ouvrages importants1.
Contrôlant l’itinéraire majeur entre la France et l’Espagne que
constituait le Grand
Chemin de Pampelune par Orisson et Roncevaux,
ce camp retranché assuma un rôle déterminant tant dans le cadre de
la défense de la frontière qu’en appui des opérations
offensives. La lutte contre l’Espagne de 1792 à 1795, les
campagnes du Portugal et d’Espagne de 1808 à 1813, les opérations
de Soult en 1813 et 1814 ont ainsi fait jouer à la vieille citadelle
un rôle éminent dans des événements d’importance capitale. Il
convient donc de décrire les conditions de la création du camp
retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port sous la Révolution, puis de
son développement sous l’Empire, et de rappeler son implication
dans les différentes phases des combats qui se déroulèrent à
cette époque, tant au-delà que sur la frontière des Pyrénées.
Ces événements sont évoqués dans les rapports des officiers du
génie du XIXe siècle2.
Ils sont relatés en détail dans quelques livres relatifs à la
guerre d’Espagne édités au début du XXe siècle, conservés dans
la salle de consultation des archives du SHAT3,
et dans les ouvrages d’histoire régionale4.
61- Le PROJET de PLACE FORTE de 1773
Pour
Vauban, expert en artillerie autant qu’en fortification, la
citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port était « assez éloignée
des plus hautes montagnes pour n’être que médiocrement incommodée
des commandements ». Ce propos visait essentiellement le
mont de Curutchamendy qui, distant de 1 kilomètre, domine d’une
soixantaine de mètres la place d’armes de la citadelle. En 1718,
M. de Salmon émit le même jugement. Le projet le plus ancien de
construction d’une redoute sur ce mont est celui que l’ingénieur
Damoiseau rédigea en 1725. Il prouve qu’à cette date,
l’accroissement de la portée et de la précision des canons
rendait leur tir efficace à cette distance.
Dès
les origines, le rôle des fortifications était non seulement de
contrôler un espace, mais aussi de constituer une base logistique
concentrant hommes et matériels aux frontières, en vue d’une
éventuelle guerre offensive. La directive de Louis XIV transmise par
le marquis de Seignelay, le fils de Colbert, à Vauban et Ferry en
janvier 1686, donnait ce rôle prioritaire à la citadelle de
Saint-Jean-Pied-de-Port. Au XVIIIe siècle, l’art militaire se
renouvela en entraînant un retour à la guerre de mouvement, ce qui
confirma l’évolution du rôle des places fortes. Alors, se
développa le concept innovant de « camp retranché »,
vaste zone de bivouacs adjacente à une place forte, protégée par
une ceinture d’ouvrages de fortification permanents ou de
campagne : forts, redoutes, fortins, lunettes et autres, qui se
couvraient mutuellement de leurs feux. Ces camps retranchés
permettaient de rassembler des armées nombreuses, puis de les lancer
dans des opérations offensives. Ils leur permettaient de manoeuvrer
en s’appuyant sur les points d’appui qu’ils représentaient et
d’être ravitaillés à partir des bases logistiques qu’ils
constituaient.
Dans
le dernier tiers du XVIIIe siècle, l’engagement de la France dans
la guerre de libération des colonies anglaises d’Amérique remit
d’actualité la frontière des Pyrénées. Il ne s’agissait plus
de s’y prémunir contre la menace espagnole, mais de se préparer à
y contrer une possible attaque anglaise contre les frontières Sud de
la France, menée par une armée britannique qui aurait débarqué
dans la péninsule ibérique. C’est ainsi que le Mémoire sur
Saint Jean Pied de Port relatif au projet général de 1773 pour 1774
préconisait, outre des travaux importants dans la citadelle et
autour de la ville, l’établissement, autour de la place, d’un
camp retranché pouvant contenir dix à douze mille hommes. Ce projet
prévoyait:
-
sur la montagne de Curutchamendy, « qui domine tous les environs, dont le chemin de Roncevaux seul débouché pour de l’artillerie et la vallée de Valcarlos débouché pour des troupes à pied », la construction d’un fort carré à quatre bastions, doté d’artillerie, couvert par une demi-lune sur le front face à l’ennemi ; les bâtiments intérieurs comprenaient un corps de caserne pour 250 hommes ainsi que toutes les installations de vie et de soutien nécessaires à la conduite de sa défense.
-
sur la crête de Gastellumendy, le ressaut à l’extrémité de l’esplanade de la citadelle, qui domine la vallée de Saint-Michel, d’une part, et sur la montagne d’Yparce (Ipharce) qui contrôle la vallée de Behorleguy, d’autre part, la construction de deux lunettes avec corps de caserne, qui se couvraient réciproquement.
-
sur la montagne de Saron (crête dominant le village de Caro)5, « qui est à environ 1 200 toises des ouvrages extérieurs actuels de la citadelle, tenant à la chaîne de montagnes sur l’extrémité de laquelle est construite la dite citadelle », la construction d’un ouvrage en terre.
Il
était en outre proposé de compléter ce camp retranché par la
construction d’un ouvrage avancé sur le chemin de Roncevaux, 9
kilomètres au sud de la citadelle à hauteur du bois d’Orisson et
1 kilomètre au Nord de Château Pignon, au sommet de la montagne
d’Hostateguy (1142 m.), « qui domine sur tout ce qui
l’environne même en avant à plus de 1 000 toises de distance,
notamment le chemin de Roncevaux, et où l’on pourrait arrêter
l’ennemi fort longtemps, le point à occuper n’étant attaquable
que de front ».
Ce
projet de 1773 ne comporte pas de signature dans le volume du Colonel
Bérard. Le catalogue de D. Pinzuti le révèle : Sicre de
Cinq-Mars. Il ne fut suivi d’aucune réalisation. Mais, vingt ans
plus tard, il fut repris et il constitua la base des travaux
effectués lors du déclenchement des hostilités avec l’Espagne.
62- La CAMPAGNE de 1793-1795 dans les PYRENEES6
En
1789, les États de Navarre tinrent leur session annuelle ordinaire
du 16 mars au 8 avril, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Ils refusèrent
d’être traités comme les représentants d’une province
française et ne participèrent pas aux États généraux ouverts à
Versailles le 5 mai 1789. La municipalité se prévalait du calme des
habitants, dont l’assemblée générale avec le maire et les
jurats, s’était tenue le 22 février 1789. L’assemblée
extraordinaire des États de Navarre se tint à
Saint-Jean-Pied-de-Port du 15 juin au 6 juillet 1789. Elle décida
d’envoyer à Versailles des délégués aux pouvoirs très limités.
Elle procéda à l’élection des quatre députés aux États
Généraux de Versailles : Etienne Joseph de Villevieille,
évêque de Bayonne pour le clergé, Monsieur de Logras, marquis
d’Olhonce, conseiller au parlement de Pau pour la noblesse, les
sieurs de Vivié, député de Garris et Franchisteguy, notaire à
Saint-Jean-Pied-de-Port pour le tiers-état. La députation reçut
pour mission d’obtenir le serment promis par Louis XVI en 1776 de
respect du For de Navarre. Ce fut également à
Saint-Jean-Pied-de-Port que se tint la dernière réunion des États
de Navarre du 19 au 22 septembre 1789, qui devait décider si les
décrets de l’Assemblée nationale s’appliquaient en Navarre et
se sépara sur un constat de désaccord. Quelques jours plus tard,
l’Assemblée nationale donna à Louis XVI le titre de « roi
des Français », sans plus aucune référence à la Navarre.
Ville après ville (Saint-Jean-Pied-de-Port le 13 décembre), toute
la Navarre se rallia à la France le 30 décembre 1789. Les
départements, divisés en districts dont celui de Saint-Palais
épousait les frontières de la Basse Navarre, furent créés le 15
janvier 1790. Les extraits des délibérations de la municipalité de
Saint-Jean-Pied-de-Port, dont les assemblées se tenaient alors dans
l’église Notre-Dame, nous apprennent que, le 12 février 1790, la
nouvelle municipalité prêta le serment constitutionnel d’être
fidèle à la Nation, au Roy et à la loi.
La
France était encore en paix. Dans le cadre de mesures de précaution
générales, une lettre du ministre de la Guerre du 17 mai 1791,
demanda un rapport sur les moyens de porter nos places au plus haut
degré de résistance. Si
les bons rapports entretenus avec l’Espagne expliquaient le peu
d’améliorations apportées à la place de Saint-Jean-Pied-de-Port
dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la dégradation de ces
mêmes rapports en 1791 replaçait la ville frontière au centre des
préoccupations du génie7.
Le
capitaine Duvignau-Duverger,
officier de la direction du génie de Bayonne,
rédigea un mémoire dans lequel il déplorait que les travaux
d’amélioration demandés n’aient pas été réalisés : sur
le front d’attaque, la demi-lune était couverte par un
commencement de chemin couvert, mais les deux places d’armes
rentrantes étaient restées en projet. Le
capitaine Duvignau-Duverger stigmatisait l’indifférence coupable
des « tyrans
qui avaient négligé les fortifications pour dilapider l’argent de
la Nation ».Ainsi,
la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port se trouvait-elle « dans
l’état où elle était il y a soixante-dix ans! ».
Quant
aux fortifications de la ville et du faubourg d’Espagne, leur état
était tel qu’il jugeait préférable de ne pas s’en occuper. Son
avis était donc de ne rien entreprendre dans la ville et de
consacrer les ressources à la citadelle, bien qu’elle eut peu de
valeur car commandée sur toutes les directions par les hauteurs
environnantes. Il proposa donc d’élever le chemin couvert du front
d’attaque, d’y construire les deux places d’armes rentrantes,
d’entourer la citadelle de retranchements et de remettre en état
les communications souterraines. Les travaux de renforcement réalisés
en fascines furent rapidement détériorés par les pluies d’hiver.
Ils reprirent l’année suivante puisque, le
16 novembre 1792, le capitaine Duvignau-Duverger procéda à
l‘expropriation de parcelles, trois pièces de vigne du côté de
l’esplanade de la citadelle, afin d’élargir les glacis en avant
du chemin couvert sur son front d’attaque. Le procès-verbal
d’expropriation fut signé du maire, Curutcheta, des officiers
municipaux, Elissalde, Louis Simond et Renaud ainsi que du secrétaire
greffier, Larronde. Les propriétaires des trois pièces de vignes se
nommaient Molbert, Sainte-Marie et Darralde.
Sous
Louis XVI, la
politique de Choiseul avait fait de l’alliance avec l’Espagne le
pivot de la politique étrangère française, fidèle à l’esprit
du Pacte de Famille conclu en 1761 entre Louis XV et Charles III.
Elle s’était efforcée de liquider tous les points litigieux entre
les deux nations. Lors des débuts de la Révolution, France et
Espagne avaient tenu à en respecter les termes et à maintenir la
paix entre les deux nations. Cependant, la délimitation des
frontières navarraises demeurait un problème non réglé d’autant
qu’à l’éternelle question des pacages s’ajoutaient les
convoitises suscitées par les mines de fer, comme celles
d’Ondarolle, et par les forêts avoisinantes nécessaires à
l’alimentation des forges. Les négociateurs, le comte d’Ornano
pour la France et Don Ventura Caro pour l’Espagne, avaient
finalement signé, le 27 août 1785 à Elizondo, malgré les
protestations locales véhémentes, un accord de compromis, le
« Traité
des Limites »,
pour la définition de la frontière et des droits de pacage. Il
déchaîna des explosions de colère en pays de Cize et de Baïgorry,
car le comte d’Ornano avait du consentir à quelques abandons.
L’échange des ratifications n’ayant pas pu avoir lieu avant la
tourmente révolutionnaire, ce traité n’était pas entré en
vigueur. Mais le compromis de 1785 n’ayant satisfait personne, il
régnait en 1792 dans les vallées de Navarre une ambiance pouvant à
tout instant conduire à des incidents locaux. A la suite de l’entrée
en guerre contre la France de l’empire d’Autriche et de la Prusse
en avril 1792, la Patrie fut déclarée en danger le 11 juillet 1792
par la Convention nationale8.
La France fut sauvée du danger d’invasion par la victoire de Valmy
du 20 septembre 1792. Bien que la Paix continuait à régner avec le
royaume d’Espagne, des concentrations de forces armées espagnoles
se produisirent à la frontière, sur les confins de la Navarre et du
Guipuzcoa, dès la fin de l’été 1792. Les habitants des pays de
Cize et Baïgorry qui se considéraient en guerre contre les
Espagnols depuis la signature du traité des limites en 1785,
assumèrent spontanément la garde de leur frontière. Le 2 septembre
1792, la municipalité de Saint-Jean-Pied-de-Port proclama la mise en
alerte de la garde nationale, assujettie à deux séances
d’instruction militaire hebdomadaires en réponse aux dispositions
de mise sur pied de guerre de ses troupes par le roi d’Espagne. Le
gouvernement se préoccupa de l’état des places frontière. Les
représentants du peuple, commissaires de la Convention Nationale,
Carnot, Lamarque et Garrau, arrivèrent à Bayonne le 2 novembre 1792
« pour
préparer la défense nationale contre une éventuelle agression de
l’Espagne ».
Ils se rendirent à Saint-Jean-Pied-de-Port le 6 novembre et y
prescrivirent divers travaux d’amélioration de la citadelle. Ils
autorisèrent officiellement la création de quatre compagnies
franches, regroupant les habitants ayant spontanément pris les
armes, dont les hommes élirent pour chefs: Iriart, Lassale,
Berindoague et Harispe. Le corps des Chasseurs
Basques
ainsi formé, s’accrut jusqu’au 7 mars 1793, date de la
déclaration de guerre, et atteignit l’effectif de dix compagnies.
Il fut plus tard organisé en quatre bataillons sous les ordres
d’Harispe, Lassalle, Bordarrampé et La Victoire (pseudonyme de
Joseph Matenot d’Uhart-Cize, mort général de brigade en 1794, au
col de Berdaritz). Engagés dès le printemps 1793 dans la guerre
contre l’Espagne, ils participèrent à toutes les campagnes
jusqu’en 1795, leurs dépôts demeurant sur le territoire de la
division de Saint-Jean-Pied-de-Port. En juin 1794, fut créée la
demi-brigade de chasseurs basques, regroupant les trois premiers de
ces bataillons, commandée successivement par Lavictoire puis
Harispe. Par ailleurs, le régiment de Chasseurs Cantabres, récemment
recréé, tenait garnison à Saint-Jean-Pied-de-Port et Navarrenx
depuis 1788. Il avait pris le nom de 5e
bataillon d’infanterie légère. Moncey, le futur commandant de la
3ème
division, y était capitaine.
Profitant
de ses bonnes relations, Charles IV essayait d’influer sur les
décisions de Paris concernant le sort du roi de France. L’exécution
de Louis XVI, le 21 janvier 1793, provoqua la déclaration de guerre
à la France de l’Angleterre inquiète de l’installation de
l’armée française en Belgique après la contre-offensive qui
suivit les victoires de Valmy (20 septembre 1792) et Jemmapes (6
novembre 1792). Paris prit, le 7 mars 1793, l’initiative de la
guerre avec l’Espagne qui, à son tour, la déclara à la France le
23 mars 1793. En ce printemps 1793, la situation militaire était
grave. Sur les Pyrénées, l’armée espagnole était forte de 18
000 hommes, dont douze mille fantassins, six cents cavaliers et une
artillerie nombreuse, commandée par le général Don Ventura Caro,
le négociateur du Traité des limites.
Le
décret du 30 avril 1793, pris un mois après la déclaration de
guerre, créa à partir de l’armée des Pyrénées de Toulouse,
deux armées, dont une « Armée des Pyrénées Orientales et
du Roussillon » aux ordres du général Chamron et une
« Armée des Pyrénées Occidentales » aux ordres
du général Servan de Gerbey, commandant jusqu’alors l’armée
des Pyrénées. Son Quartier Général fut successivement installé à
Bayonne, puis à Saint-Jean-de-Luz. Déployée dans le triangle
Hendaye, Bayonne, Saint-Jean-Pied-de-Port, cette armée comprenait
alors 8 000 hommes, en majorité des jeunes recrues, formant 15
bataillons et 18 compagnies franches articulés en deux divisions. La
division de gauche qui tenait le secteur de Bidarray à Iraty, avait
son P.C. à Saint-Jean-Pied-de-Port. Son commandement fut confié au
général Lamoureux de la Genetière qui depuis le mois de mars avait
remplacé le général Nuce comme commandant de la place. Cette
division comptait 6 bataillons et demi ainsi que les dix compagnies
de chasseurs basques, répartis entre Château Pignon (3 bataillons),
Arnéguy-Ondarolle (2 bataillons), Les Aldudes et les cols d’Ispeguy,
Bustancelay, Berdaritz (1 bataillon et 2 compagnies). Un dernier
bataillon était en réserve à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le
dispositif français, linéaire, très étalé et sans réserve,
permettait de surveiller la frontière, mais non de la défendre face
à une réelle offensive. Face aux deux armées françaises,
l’Espagne déploya trois armées, celle du Roussillon, celle de
l’Aragon et l’armée de Guipuzcoa et Navarre aux ordres du
Lieutenant Général Don Ventura Caro. Cette dernière protégeait
les directions de Saint-Sébastien et de Pampelune. Elle tenait
notamment, appuyée sur des retranchements, les hauteurs de l’Alto
Biscar, d’Ibaneta et du Lindus, la forêt d’Iraty ainsi que les
fonderies d’Eugui et d’Orbaïceta.
Les
opérations de l’Armée des Pyrénées Occidentales se déroulèrent
d’avril 1793 à août 1795 en trois phases, séparées par les
périodes d’hiver pendant lesquelles les armées, ayant
généralement rejoint leurs quartiers d’hiver dans les vallées,
étaient condamnées à l’immobilisme : une première phase de
défensive, de montée en puissance et d’instruction des unités du
printemps 1793 au printemps 1794 ; une deuxième phase
d’offensive et d’établissement d’une tête de pont en Espagne
de juin 1794 à mars 1795 ; une troisième phase de reprise de
l’offensive et de conquêtes successives de la Biscaye et de la
Navarre en juin 1795.
Au
printemps 1793, en raison du rapport de forces, l’initiative
initiale appartenait au général Caro. Visant à refouler les
Français de leurs positions aux cols frontière, il lança une phase
d’accrochages, puis de durs combats pour la conquête des positions
clefs. Dès le 23 avril, les Espagnols, portant leur effort sur la
zone côtière, avaient bombardé Hendaye, dont le fort fut détruit,
pris Béhobie et lancé une offensive vers Urrugne et Sarre, où les
Français subirent une lourde défaite malgré la bravoure de La Tour
d’Auvergne. Fin avril, ils reportèrent leur action à l’Est. Ils
concentrèrent leurs efforts contre la division de
Saint-Jean-Pied-de-Port, qui, pendant les deux mois de mai et juin,
lutta contre des forces espagnoles bien supérieures en nombre
qu’elle finit par repousser. Les Espagnols s’emparèrent des
villages d’Arnéguy et Ondarolle, qui furent repris par une
contre-attaque à la baïonnette conduite par Harispe. Le 10 mai
1793, une attaque française menée par 200 hommes des compagnies
franches appuyés par deux pièces d’artillerie, en représailles
de l’investissement par les Espagnols de la fonderie de Banca,
franchit la frontière au col d’Orgambide et incendia la fonderie
royale de Mattrita sur la Legarxa, au Nord d’Orbaïceta. Le 29 mai
1793, la municipalité de Saint-Jean-Pied-de-Port vota un secours aux
habitants d’Arnéguy, victimes de l’attaque espagnole, dont la
férocité et le fanatisme furent stigmatisés. Les Espagnols, en
forte supériorité numérique, attaquèrent sur tout le front les 5
et 6 juin en vue de s’emparer du col de Roncevaux, puis de faire le
siège de Saint-Jean-Pied-de-Port. Château Pignon, qui avait subi un
premier assaut le 1er juin, succomba le 6 juin, malgré
une résistance acharnée du capitaine Moncey qui « avec 1
500 chasseurs, contint pendant 8 heures 12 000
Espagnols ». Le général de La Genetière, commandant la
division, y fut blessé et fait prisonnier. Les Espagnols
progressèrent jusqu’à Orisson où ils s’arrêtèrent sans
profiter du désarroi et de la faiblesse numérique des Français.
Ils réussirent également, malgré une résistance initialement
victorieuse des Français, à s’emparer du col de Lindus et à
occuper le mont Arolla, ou mont Errola (907 m.), au dessus du village
des Aldudes, sur le chemin conduisant au col de Lindus. Ils
s’emparèrent également des cols de Berdaritz et d’Ispéguy,
mais ils ne parvinrent pas à en déboucher. Harispe remporta le
premier succès français en reprenant le mont Arrola et le village
des Aldudes. Le général Dubouquet prit le commandement de la
division le 13 juin. Château Pignon fut repris le 18 juin. Les
Français lancèrent le 23 juin, une contre offensive générale avec
trois attaques simultanées sur les trois axes de Tardets,
Saint-Jean-Pied-de-Port et la Bidassoa. Seule l’attaque de droite
sur la Bidassoa remporta des succès locaux. Celle de
Saint-Jean-Pied-de-Port se contenta d’enlever le col d’Ispéguy à
la baïonnette et le col de Berdaritz. Les Espagnols, ainsi
repoussés, réussirent cependant à conserver de solides positions,
à proximité de la ligne des cols frontières, dont la région
immédiatement au Sud de Château Pignon, ainsi que le mont Arrola.
Durant tout l’été, la ligne de front subit des coups de boutoir
incessants autour de ces positions très disputées, qui changèrent
de mains à plusieurs reprises. Dans le secteur côtier, le général
Servan réorganisa le dispositif défensif de son armée en le
repliant de la Bidassoa sur le cours de la Nivelle.
A
partir de juillet 1793, l’Armée des Pyrénées Occidentales, qui
avait reçu d’importants renforts, fut réorganisée en trois
divisions, basées respectivement à Saint-Jean-de-Luz,
Saint-Pée-sur-Nivelle et Saint-Jean-Pied-de-Port. Le général
Muller en fut nommé général en chef avec le général Laroche
comme major général et le colonel, bientôt général, Lespinasse
comme commandant de l’artillerie. Ayant restauré la discipline,
ils conduisirent l’instruction avec fermeté, consacrant la fin de
l’année 93 à la préparation de la campagne de 1794. Le général
Dubouquet, qui, succédant à La Genetière blessé, avait été
nommé le 8 juin 1793 commandant de la division de
Saint-Jean-Pied-de-Port, décida d’établir un camp retranché
centré sur la citadelle, comprenant un ensemble de redoutes
installées sur les mouvements de terrain proches. S’appuyant et se
soutenant mutuellement, elles barraient les trois itinéraires vers
l’Espagne par Orisson, le Val Carlos et Saint-Michel. Dans le camp
retranché, la division de Saint-Jean-Pied-de-Port comprenait en
début d’été 1793, des bataillons de volontaires des Landes, de
la Dordogne, de la Bourgogne et un bataillon d’un régiment de
l’armée régulière, l’ancien Cambrésis Infanterie qui avait
tenu garnison à Bayonne de 1785 à 1788. En fin d’année 1793, la
division de Saint-Jean-Pied-de-Port comprenait dix bataillons de
volontaires : les 1er, 2e, 3e
des Basses-Pyrénées, le 3e des Hautes-Pyrénées, le 3e
des Landes, le 8e du Bec d’Ambés (Gironde), le 4e
du Lot-et-Garonne, le 6e du Lot, le 6e de
Haute-Garonne, le bataillon des « Montagnards de la Neste ».
Elle comprenait aussi quatre bataillons de chasseurs basques, ainsi
que la 5e demi-brigade légère aux ordres du chef de
bataillon Moncey. Le régiment de Cambrésis, devenu le 20e
régiment d’infanterie de ligne, mit sur pied les 39e et
40e demi-brigades. Cette division comportait également
des unités d’artillerie : fin 1793 par exemple, un
détachement du 1er régiment d’artillerie de La Fère,
une compagnie de canonniers des Landes et une de la Sorbonne, chacune
d’un effectif de 65 hommes mettant en œuvre six pièces de 4
(environ 84 mm) d’une portée utile de 400 à 1 000 mètres,
étaient rattachés à chacune des demi-brigades.
En
fin d’été, les offensives espagnoles furent particulièrement
nombreuses dans le secteur de Saint-Jean-Pied-de-Port, où les
Espagnols avaient rassemble des moyens importants dans les camps
établis près de l’Alto Biscar et du col de Lindus. En septembre
1793, de violents combats se déroulèrent à nouveau vers Château
Pignon entre les troupes espagnoles de don Ventura Caro et les
recrues républicaines du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Les attaques espagnoles se succédèrent notamment en direction des
cols d’Ispéguy, où Harispe fut blessé, de Berdaritz et du
village des Aldudes qui fut occupé. Les attaques espagnoles
continuèrent sur l’ensemble du front durant l’automne et l’hiver
1793-1794, mais l’Armée des Pyrénées Occidentales réussit à
les contenir. Le général Caro abandonna finalement Château Pignon.
L’activité opérationnelle resta intense jusqu’en janvier.
Ainsi, bien qu’attaquées simultanément sur tous les fronts par
des forces bien supérieures en nombre, la division de
Saint-Jean-Pied-de-Port parvint à maintenir ses positions et à
stabiliser le front pendant ces combats de l’année 1793. Ce succès
fut obtenu grâce aux qualités combatives des recrues républicaines
et des chasseurs basques ainsi qu’au manque d’audace de
l’adversaire pour exploiter d’indéniables succès initiaux.
La
grande offensive espagnole se déroula dans le secteur côtier, le 5
février 1794 contre le camp retranché d’Urrugne. Elle échoua et
se transforma en une victoire française. Elle marqua la fin de cette
première phase durant laquelle l’initiative avait été espagnole.
Elle appartenait désormais au général Muller.
Le
général Alexandre Dumas avait été, le 3 septembre 1793, nommé
général de division et désigné comme commandant en chef de
l’Armée des Pyrénées Occidentales par la Convention. Mais il
n’avait pas pu prendre son commandement à la suite de la décision
des représentants du peuple auprès de cette armée, qui avaient
décidé de maintenir le général Muller dans ses fonctions. En
octobre 1793, le général Delalain remplaça le général Dubouquet
au commandement de la division de Saint-Jean-Pied-de-Port. Le 15
janvier 1794, la municipalité décida le changement du nom de
Saint-Jean-Pied-de-Port en « Nive-Franche ». Le 23 mai
1794, elle décida la réquisition du château de Lacarre en vue de
le transformer en hôpital. Le 2 mars 1794, le capitaine du génie
Duvignau-Duverger établit un nouveau rapport sur la citadelle. Il
proposait de renforcer le camp retranché déjà établi et
d’exécuter le projet de 1773. En juin 1794, la division de
Saint-Jean-Pied-de-Port fut dédoublée. Elle donna naissance d’une
part à la 3e division, dont le commandement fut confié
au général Moncey, général de brigade depuis février, nommé
général de division, d’autre part à une nouvelle division de
Saint-Jean-Pied-de-Port, dont le général Mauco, général de
division depuis le 14 avril, prit le commandement.
De
juin 1794 à mars 1795, se déroula la deuxième phase, celle de
l’offensive française qui, victorieuse, réussit à pénétrer en
Espagne avec l’objectif ultérieur de s’emparer des capitales
provinciales de Saint-Sébastien et Pampelune. Réorganisée et
remise sur pied, l’Armée des Pyrénées Occidentales du général
Muller atteignait à la mi-1794 un effectif de 66 000 hommes.
L’offensive fut précédée en juin 1794 d’une phase de conquête
et de sécurisation de la base de départ, comprenant le nettoyage de
la vallée des Aldudes et la prise des cols frontière. La division
Moncey forte de treize bataillons, en fut chargée. Attaquant le 3
juin à partir du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port, elle
s’empara d’abord de la région des Aldudes. Ensuite, trois
colonnes s’élancèrent pour une attaque simultanée en direction
des trois cols de:
-
Berdaritz, aux ordres du général Lavictoire, qui, tué en cours d’action, fut remplacé par Harispe, commandant le 2e bataillon de chasseurs basques, nommé chef de brigade par les représentants du peuple. Le 5 juin, le col était pris ;
-
Ispeguy, aux ordres du général Lefranc, qui fut pris le 5 juin ;
-
Maya, aux ordres du général Castelvert, qui échoua.
L’attaque
continua par la prise des cols d’Arieta et de Bustancelhaye, ainsi
que par celle du col de Maya par la division du centre. Lançant une
contre-attaque, le général Don Ventura Caro essaya, le 23 juin
1794, avec 8 000 hommes et 500 cavaliers de bousculer la droite
française entre Biriatou et Hendaye. Il échoua et il démissionna.
Il fut remplacé à la tête des troupes espagnoles par le comte de
Colomera, vice-roi de Navarre.
L’offensive
principale pouvait alors être déclenchée. Le général Muller
voulait porter son effort initial sur la conquête de Saint-Sébastien
par une action d’envergure prenant à revers les défenses de la
Bidassoa. Pour cela, il avait décidé de s’emparer de la vallée
du Baztan par une attaque à partir de la vallée de Baïgorry en
franchissant les cols récemment conquis, puis de poursuivre et
d’élargir son attaque en direction de Saint-Sébastien et du port
de Pasajes, par l’engagement successif de ses divisions :
-
à l’Est, la 3e division, aux ordres du général Moncey, débouchant la première, le 24 juillet, de la ligne des cols séparant la vallée de Baïgorry de celle du Baztan, avec 13 bataillons, 800 cavaliers, 8 pièces d’artillerie ainsi que 20 compagnies de grenadiers commandées par La Tour d’Auvergne, s’empara le 26 d’Errazu, Elizondo et San Esteban ;
-
au centre, la 2e division, commandée par le général Delaborde, avec neuf bataillons attaquant le 26 juillet depuis Olhette en direction de Sare, s’empara de Vera de Bidassoa, mais ne parvint pas à conserver Biriatou ;
-
à l’Ouest, la 1re division, commandée par le général Frégeville, avec neuf bataillons et deux escadrons, disposant de l’appui de la majorité de l’artillerie du général Lespinasse, attaquant le 29 juillet et franchissant la Bidassoa entre Hendaye et Biriatou en face de Fontarabie, en direction de Saint-Sébastien, s’empara du mouvement de terrain de San Marcial après huit jours de bombardement.
Cette
attaque était couverte face à Pampelune à hauteur des ports de
Cize par la division de réserve nouvellement créée à
Saint-Jean-Pied-de-Port et placée aux ordres de Mauco. Après
conquête de leurs objectifs initiaux, les trois divisions de
l’échelon d’attaque convergèrent vers Saint-Sébastien.
Fontarabie se rendit le 1er août 1794, Hernani le 2,
Saint-Sébastien le 5. L’armée, exploitant son succès, poursuivit
vers Tolosa qui fut atteint le 9 août. Le général Muller prenant
la retraite fut remplacé à la tête de l’armée, le 30 août 1794
par le général Moncey.
Celui-ci
lança une seconde attaque, l’opération de Viscarret, le 17
octobre 1794, afin de s’emparer de Roncevaux et de Pampelune par
une action convergente de trois divisions, regroupant un total de
plus de 30 000 hommes. La division Delaborde avec 12 bataillons
débouchant de la vallée du Baztan devait s’emparer du col de
Velate et de Lanz et attaquer les arrières ennemis. La division de
Saint-Jean-Pied-de-Port forte de treize bataillons aux ordres de
Mauco devait attaquer de front en direction du col de Roncevaux par
la route directe par Orisson et depuis Esterençuby. La division des
vallées avec six bataillons aux ordres de Marbot, devait attaquer
les arrières ennemis en débouchant de Tardets par le col de Larrau.
Malgré les succès de l’avant-garde de Delaborde, la « colonne
infernale », composée des chasseurs basques d’Harispe et
des grenadiers du 80e régiment d’infanterie commandée
par La Tour d’Auvergne, qui s’empara de Velate, Eugui et
Viscarret, l’opération sur Pampelune échoua finalement par manque
de coordination entre les actions des trois divisions. Elle avait
réussi à s’emparer de l’ensemble des cols de Cize, dont celui
de Roncevaux, et des fonderies d’Orbaïceta et d’Eugui.
Cependant, les Espagnols qui étaient parvenus à retraiter en bon
ordre, restaient une menace pour un dispositif français trop étalé.
Moncey finit par obtenir de Paris l’autorisation de le resserrer en
abandonnant la Navarre et de prendre ses quartiers d’hiver.
En
juin 1795, fut lancée la troisième phase de l’offensive, celle
qui visait à l’invasion de l’Espagne, en portant l’effort
initial sur la conquête de la Biscaye, avant d’entreprendre celle
de la Navarre. Malgré de meurtrières épidémies durant l’hiver,
qui provoquèrent la saturation de l’hôpital de
Saint-Jean-Pied-de-Port comme des autres hôpitaux de la région, et
grâce à l’arrivée d’importants renforts, l’Armée des
Pyrénées Occidentales était forte de 66 bataillons, 4 régiments
de cavalerie et disposait d’une excellente artillerie en juin 1795,
lors de la reprise de l’offensive. Face à elle, l’armée
espagnole alors commandée par le Comte de Castelfranco ne disposait
que de deux divisions, l’une en Navarre couvrant Pampelune, l’autre
en Guipuzcoa couvrant Bilbao et Vitoria. Après quelques actions
préliminaires en juin, Moncey, début juillet, parvint à séparer
les deux divisions espagnoles en s’emparant du nœud routier
d’Irurzun. Les
victoires de Lecumberry
et de Villanueva
leur ouvrirent les portes de Vitoria, où elles entrèrent le
15 juillet, et leur permirent de poursuivre jusqu’à l’Ebre de
Miranda, avant d’achever la conquête de la Biscaye en prenant
Bilbao le 17 juillet 1795. Pendant toute la campagne, le
ravitaillement était resté un problème crucial, mal réglé en
raison de la pénurie en moyens de transport, notamment en chevaux.
Le souci permanent d’acheminer les ravitaillements au plus près
explique l’intérêt de disposer à cet effet du port de Pasajes9
et donc de privilégier la conquête de Saint-Sébastien sur celle de
Pampelune. De
son côté, l’Armée des Pyrénées Orientales de Dugommier avait
chassé les Espagnols de Roussillon.
Tout
était alors prêt pour mener l’offensive contre la Navarre et sa
capitale, notamment dès lors que les moyens en artillerie et génie,
nécessaires au siège de la ville et de la citadelle de Pampelune
avaient été rassemblés à l’arsenal de Bayonne, respectivement
par les généraux Lespinasse et Marescot. La signature de la paix à
Bâle le 22 juillet 1795, dont la nouvelle parvint le 7 août,
interrompit la marche victorieuse sur la Navarre et arrêta l’élan
de l’Armée des Pyrénées Occidentales. Cette paix, qui mit fin à
la première coalition, avait été préparée par des pourparlers
parallèles menés à Bayonne entre le général Servan et le marquis
d’Iranda. Au traité de Bâle, la France abandonna ses conquêtes
espagnoles, mais reçut la partie espagnole de Saint-Domingue. Les
opérations arrêtées, l’Armée des Pyrénées Occidentales évacua
rapidement les provinces espagnoles et fut dissoute le 15 septembre
1795. Après avoir maintenu l’intégrité des frontières, l’Armée
des Pyrénées Occidentales avait porté le combat chez l’adversaire,
le contraignant à signer la paix.
Le
général Moncey devint commandant de la 11e division
territoriale à Bayonne avec le Chef de Brigade Harispe comme chef
d’état-major. La brigade des chasseurs basques resta sur place,
ses bataillons stationnant à Saint-Jean-de-Luz, Navarrenx et
Saint-Jean-Pied-de-Port. En 1797, ils furent réduits à un seul
bataillon. A Saint-Jean-Pied-de-Port, l’assemblée municipale avait
pris le 3 juillet 1794, la décision d’ériger un autel de la
Patrie en gazon sur la place d’Eyheraberry, sur le terrain du
ci-devant Pré du Lieutenant du Roy semble-t-il, pour célébrer
les fêtes décadaires. Le 28 novembre 1795, malgré l’opposition
de l’assemblée au projet, l’église de la commune fut
transformée en arsenal.
63- Le CAMP RETRANCHE de 179310
Le
projet ambitieux de 1773 d’établissement d’un camp retranché
dont la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port était le centre, ne fut
suivi d’aucune réalisation, pas plus que ne l’avaient été
avant lui les projets de Vauban en 1685 ou de Salmon en 1718.
Cependant, ce projet de 177311
se révéla très utile vingt ans plus tard. Il constitua la base de
la conception et de la création du camp retranché centré sur la
citadelle12,
dont le général Dubouquet, commandant la division de
Saint-Jean-Pied-de-Port, décida l’aménagement en juin 1793, après
les difficiles combats contre les forces espagnoles sur les cols
frontière. Dès 1791, le capitaine Duvignau-Duverger avait proposé
l’établissement d’un camp retranché comprenant :
-
face au débouché d’Arnéguy et surveillant celui de Baïgorry, la redoute de Bel Aspect ;
-
barrant la grande route de Roncevaux sur laquelle elles croisaient leurs feux, les redoutes de Curutchamendy et d’Arignarte ;
-
barrant la vallée de Saint-Michel, la redoute de Picoçoury qui y croisait ses feux avec celle d’Arignarte ;
-
complétant le contrôle de la citadelle sur le bassin de Saint-Jean-Pied-de-Port, une redoute sur le mouvement de terrain d’Ipharce13.
Après
avoir brièvement relaté les combats de mai et juin 1793,
le capitaine du corps du génie Duvignau-Duverger,
dans le rapport qu’il signa à Saint-Jean-Pied-de-Port
le 2 mars 1794, 12
ventose de l’an 2 de la république une et indivisible,
propose d’exécuter le projet de 1773. Il donne en outre une
description précise du camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port à
la date de rédaction de son rapport. La
Carte
de St Jean Pied de Port, servant à faire connaître l’état
défensif de cette place en 1793,
conservée à la cartothèque de l’Institut Géographique
National14,
précise notre connaissance de ce camp retranché et des troupes qui
y étaient affectées en 1793. Il s’agit d’un dessin aquarellé
collé sur toile de 80 x 160, à une échelle de 13,8 cm pour 250
toises, soit de 1/3600 environ. Ces informations sont également
confirmées par les rapports établis par les officiers du génie au
XIXe siècle, notamment celui de 1834, qui fondent leurs propositions
de travaux sur les enseignements des campagnes de la révolution et
de l’Empire.
Après
les combats de mai et juin 1793, au cours desquels les positions sur
les cols frontière avaient été perdues, le général Dubouquet,
nommé le 8 juin 1793 commandant de la division de
Saint-Jean-Pied-de-Port, décida d’établir un camp retranché
centré sur la citadelle. Il replia sa division sur ce camp et y
établit un dispositif défensif en contrebas des ports de Cize qui
barrait l’axe de pénétration d’Espagne vers la France par le
col de Roncevaux.
Les
défenses de la citadelle, constituant le centre de ce camp
retranché, étaient elles-mêmes renforcées. La citadelle
bastionnée était prolongée et couverte sur son front Est, le front
d’attaque, par la construction sur l’esplanade d’un « camp »
de bataillon, le « camp de Casteloumendy »,
couvert vers le Sud et l’Est par un retranchement qui s’étendait
jusqu’à l’éminence de Gastellumendy, qui en marque
l’extrémité, sur laquelle ce retranchement se terminait par un
saillant. Ce camp occupait ainsi l’espace où Vauban avait projeté
de faire construire un ouvrage à cornes. Autour de la citadelle
ainsi renforcée, ce camp retranché de 1793 comprenait, sur les deux
mouvements de terrain majeurs descendant des ports de Cize, un
ensemble de redoutes qui, à une distance de 1 à 2 kilomètres de la
citadelle, le couvraient directement face aux cols frontière et
s’appuyaient mutuellement :
-
à hauteur de la citadelle de l’autre côté de la Nive de Béhérobie, sur la montagne de Curutchamendy, contrôlant le débouché du grand chemin d’Espagne par Roncevaux et Orisson, itinéraire majeur vers Saint-Jean-Pied-de-Port et seul itinéraire praticable par de l’artillerie et des convois, le « camp de Crutchmendy »15. Couvert sur ses arrières par la redoute de Bel Aspect, sur le mouvement de terrain dominant le village d’Uhart, face aux vallées d’Arnéguy et Baïgorry, il est renforcé d’une batterie d’artillerie, placée en avant. Il est occupé en 1793 par un bataillon des Basses-Pyrénées ;
-
sur le même mouvement de terrain, environ un kilomètre plus au Sud doublant le contrôle de ce grand chemin d’Espagne, le camp d’Arignarte, à proximité du mont d’Arignarte (au dessus de la maison Antonenea), qui est occupé en 1793, selon la carte déjà citée, par le « bataillon de Cambresy », c’est-à-dire un bataillon du 20e régiment d’infanterie de ligne, ex-régiment de Cambrésis Infanterie. Il est couvert, à 500 mètres en avant sur le mont d’Etcheverrigaray16, par une grosse redoute, la redoute de la Liberté, à côté de laquelle se trouve également un camp de bataillon. Face à la vallée d’Arnéguy, il est couvert en contrebas d’Arignarte sur le plateau, par un camp du bataillon, occupé en 1793 par le bataillon de la Dordogne, ou des Landes, lui-même protégé par un petit ouvrage. Le capitaine Duvignau y préconisait la construction d’une redoute pour interdire le contournement du dispositif par une colonne s’infiltrant depuis la vallée d’Arnéguy, par Uhaldéa et le bois de Beterguibel. Cette redoute aurait complété le dispositif des redoutes de la Liberté et d’Arignarte ;
-
sur le mouvement de terrain de la citadelle, à environ un kilomètre à son sud en direction de Caro et en face du camp d’Arignarte, sur le mont Cherrapo (cote 299), la grosse redoute de Picoçoury17, avec une batterie d’artillerie en retrait et un camp de bataillon en contrebas près de la « fontaine de Santé ». Cette batterie croisait ses feux dans la vallée de la Nive de Béhérobie en aval de Saint-Michel avec ceux de la batterie de la redoute de la Liberté.
Face
à une attaque ennemie venant d’Espagne, le camp retranché
présentait une double ligne de défense en profondeur. La ligne
arrière était constituée de la citadelle et de la redoute de
Curutchamendy, la ligne avant des redoutes d’Arignarte et de
Picoçoury. Ces quatre positions étaient reliées par un double
réseau d’itinéraires : deux pénétrantes et deux rocades.
Le dispositif avant notamment, la première ligne de défense, était
relié par un itinéraire, un chemin transverse allant du carrefour
de Pochinborda, en arrière de la redoute de Picoçoury, jusqu’au
carrefour d’Etcheverrigaray en arrière de la redoute de la
Liberté, en passant par le pont, la digue et le château d’Olhonce.
Cet itinéraire était encore usité par les chars à bœufs vers
1950, de part et d’autre du pont aujourd’hui remplacé par une
passerelle piétonnière en maçonnerie. Le château fut détruit
vers 1950. Le dispositif arrière était relié par l’itinéraire
empruntant le pont d’Eyheraberry. Ce dispositif en deux échelons,
avant et arrière, barrait ainsi à la fois les deux itinéraires
pénétrants, l’itinéraire principal par Orisson et l’itinéraire
de contournement par Caro, ainsi que les chemins muletiers empruntant
les deux vallées de Saint-Michel et d’Arnéguy. Il était enfin
couvert face à une menace provenant de la vallée de Baïgorry.
Ces
redoutes étaient des ouvrages de campagne en terre, parfois
partiellement renforcés de maçonnerie, entourés de fossés et,
souvent, d’un ou plusieurs rangs de palissades. Leur taille
variable pouvait atteindre une centaine de mètres de périmètre.
Leur forme variée, le plus souvent pentagonale ou en étoile à cinq
branches, comportait généralement plusieurs saillants permettant
les tirs de flanquement réciproque. Elles s’appuyaient et se
couvraient mutuellement de leurs feux. Elles étaient, en outre,
protégées par les feux de la grosse artillerie de la citadelle,
dont une batterie aurait occupé le plateau de l’esplanade. Cette
grosse artillerie était réputée pouvoir également battre tous les
débouchés des gorges de Lecumberry, Aincille, Saint-Michel, ainsi
que la vallée de Baïgorry. Les camps de bataillon avaient des
dimensions de 150 à 200 mètres sur moins d’une centaine de large.
Il convient de noter que le mont d’Ipharce, ou Iparça, bien
qu’indiqué sur la carte, n’était alors ni occupé, ni fortifié.
En plus du camp retranché, plusieurs ouvrages de campagne, du type
redoute ou lunette, furent établis, au cours de ces trois années,
sur la ligne des combats, tant par les Français vers Château Pignon
que par les Espagnols au col de Lindus par exemple.
Ainsi,
après les durs combats aux frontières contre les forces espagnoles,
au cours des deux mois de mai et juin 1793, l’Armée des Pyrénées
Occidentales rétablit son dispositif défensif en s’adossant au
camp retranché constitué autour de la citadelle de
Saint-Jean-Pied-de-Port, avant de reprendre progressivement
l’initiative. Le camp retranché joua le rôle de pivot durant les
combats défensifs, puis offensifs, des années 1794 et 1795 qui
furent menés comme une guerre de manoeuvres et de mouvements et se
terminèrent par un succès. Le colonel Bérard, directeur du génie
à Bayonne, inspecta à nouveau la citadelle en 1801. Son rapport du
7 juin 1801 conclut à l’assez bon état de l’enceinte de la
citadelle, dont toutes les réparations ont été effectuées et qui
n’exige que des travaux d’entretien. Couverte en plusieurs points
importants par des ouvrages de campagne établis pendant la guerre de
1793, elle est jugée capable de défendre le grand chemin de
Roncevaux ainsi que les itinéraires du Val Carlos et
Saint-Michel. Cependant le 31 mars 1802, le capitaine du génie
Bordenave, qui vient de succéder au colonel Bérard comme directeur
du génie à Bayonne, après avoir souligné l’importance mais
aussi la petitesse de la citadelle, demande qu’elle soit entourée
d’une nouvelle enceinte capable d’en doubler la garnison qui
serait alors portée de 600 à 1 200 hommes. « Quoiqu’il
en soit, elle est située au pied des Pyrénées en position
favorable ... On ignore l’époque de l’établissement de la
citadelle; il parait postérieur à l’invention des bastions.
Vauban a fait un projet sur cette place, il n’a été exécuté
qu’en partie, la citadelle est restée imparfaite et l’enceinte
dont ce grand homme proposait d’entourer la ville n’est pas
changée. A 13 lieues et demi de Pampelune, ses communications avec
cette dernière ville sont bonnes pour tout charroi ... Si l’on
achevait la citadelle, ... ce point de frontière déjà très fort
par la nature du pays, serait hors de toute atteinte et très propre
pour appuyer l’offensive ». Un autre ‘Mémoire
sommaire’ de 1804 recommandait d’achever le camp retranché de
1793, qui avait prouvé lors de la guerre de 1794 et 1795 son intérêt
et son efficacité. Rien de tel ne fut fait jusqu’à ce que, sous
l’Empire, la frontière avec l’Espagne ne soit réactivée.
64- La GUERRE d’ESPAGNE (1807-181318)
L’Espagne
sortie de la première coalition par le traité de Bâle du 22
juillet 1795, se rapprocha de la France avec laquelle elle signa deux
traités d’alliance en 1796 et 1800. Elle resta pendant douze ans
l’alliée fidèle de la France. Ainsi la flotte espagnole fut
écrasée à Trafalgar le 21 octobre 1805, en même temps que la
flotte française. L’alliance franco-espagnole était rendue
nécessaire par l’hostilité commune de ces deux pays face à
l’Angleterre qui occupait Gibraltar depuis 1713 et essayait de
mettre la main sur les colonies espagnoles d’Amérique.
La
paix établie en Europe continentale par les traités de Tilsit du 7
juillet 1807, Napoléon concentra ses efforts contre l’Angleterre.
Il décida de l’affaiblir par le blocus continental, auquel il
avait obtenu l’adhésion de la Russie et de la Prusse. Le Portugal
se révéla une faille dans le dispositif. Napoléon, alors au sommet
de sa gloire, décida de contraindre le Portugal, allié de
l’Angleterre à appliquer le blocus. En juillet 1807, Napoléon
lança un ultimatum à la dynastie portugaise des Bragance. En
octobre 1807, la France et l’Espagne s’accordèrent pour se
partager le Portugal.
Le
2 août 1807, le général Junot avait été désigné comme
commandant du « 1er corps
d’observation des côtes de la Gironde » mis sur pied à
Bayonne. Sur ordre de Napoléon du 12 octobre, ce corps franchissait
la Bidassoa, le 18 octobre, avec 24 700 hommes, 2 100 chevaux et 36
bouches à feu. Après avoir traversé l’Espagne avec l’accord du
roi Charles IV, il battit l’armée portugaise à Abrantès et il
entra à Lisbonne le 30 Novembre.
Pour
soutenir cette opération et assurer la sécurité des communications
de l’armée du Portugal, Napoléon ordonna la formation de
plusieurs corps et leur entrée en Espagne, afin d’occuper des
forteresses dans le Nord du pays. Dès le 12 octobre, Napoléon avait
décidé la mise sur pied du « 2e
corps d’observation des côtes de la Gironde »
à partir des légions de réserve et ordonna de diriger sur Bayonne
les bataillons destinés à sa formation. Ce corps devait comprendre
3 divisions à 7 bataillons, plus un bataillon du train de la garde à
former à Paris, et 36 pièces d’artillerie du 3° R.A. venant de
La Rochelle. Le général Dupont, désigné pour le commander, arriva
à Bayonne début novembre. Le 12 novembre, la 1° division du
général Barbou reçut l’ordre de s’installer à Vitoria pour
maintenir la communication avec Junot. Elle était à Vitoria le 28
novembre. Le 6 décembre, les 3 divisions étaient regroupées entre
Burgos et Vitoria. Le 5 novembre 1807, Napoléon ordonna la formation
du « corps
d’observation des côtes de l’océan »,
prévu à 34 000 hommes et 54 pièces d’artillerie, formé par
dérivation de l’armée de réserve du Rhin à partir de jeunes
conscrits dans la région de Metz, Nancy, et Sedan. Il ordonna son
mouvement sur Bordeaux, mouvement réalisé au 1er
janvier 1808, puis son glissement sur Bayonne, réalisé le 7
janvier. Le commandement en fut donné à Moncey, maréchal depuis
1804, qui arriva à Bordeaux le 21 décembre. Fin mars 1808, le
« corps
d’observation des côtes de l’océan »,
au ordres du général Moncey avec 22 200 hommes, 2 700
chevaux et 54 canons se déployait dans la région de Vitoria et
Burgos et le « 2e
corps d’observation des côtes de la Gironde »
aux ordres du général Dupont, avec 20 600 hommes, 3 500
chevaux et 38 bouches à feu dans la région de Valladolid.
L’itinéraire de la côte était ainsi choisi comme itinéraire
principal pour les mouvements et le soutien des armées françaises.
Le même ordre du 5 novembre 1807 prévoyait la création à
Saint-Jean-Pied-de-Port sur le second itinéraire vers l’Espagne,
celui par Roncevaux, d’une nouvelle division chargée de surveiller
et contrôler les cols pyrénéens, la « division
d’observation des Pyrénées occidentales ».
Formée majoritairement d’unités en provenance de Bretagne, cette
division était placée aux ordres du général de division Mouton,
dont le poste de commandement et l’état-major s’installèrent à
Saint-Jean-Pied-de-Port. Le 1er
janvier 1808, sa composition était la suivante19
4e
Bataillon du 15e régiment de ligne
1er
Bataillon du 47e régiment de ligne
2e
Bataillon du 47e régiment de ligne
3e
Bataillon du 70e régiment de ligne
3e
Bataillon du 86e régiment de ligne
|
Lacarre
Saint-Jean-Pied-de-Port
Saint-Etienne-de-Baïgorry
Saint-Jean-Pied-de-Port
Lecumberry
|
effectif
394
effectif1193
effectif
272
effectif
455
effectif
173
|
Total
de l’infanterie : 2 481 dont 65 officiers, -289 en hôpital,
soit 2127 hommes et 65 officiers
|
A
cet effectif, il fallait ajouter les éléments précurseurs de
l’artillerie divisionnaire, la 1re compagnie du 3e
régiment d’artillerie à pied et la 1re compagnie du 6e
bataillon du train, toutes deux installées à
Saint-Jean-Pied-de-Port. Ainsi les effectifs totaux de la division au
1er janvier 1808 étaient de 2 621 dont 67 officiers et 60
chevaux du train. L’effectif théorique de la division était de
5 000 hommes, mais ses unités d’infanterie n’étaient alors
réalisées qu’à environ cinquante pour cent. Le 3e
régiment d’artillerie à pied et le 6e bataillon du
train étaient attendus le 1er février à
Saint-Jean-Pied-de-Port. Le dernier régiment de la division, le 3e
régiment Suisse devait la rejoindre en partant de Rennes le 20
février 1808. En février 1808, le général Mouton reçut l’ordre
de laisser à Saint-Jean-Pied-de-Port, le général de brigade
Darmagnac, arrivé le 4 février, et de faire mouvement avec sa
division sur Pampelune, dont il occupa la citadelle malgré
l’opposition de sa garnison espagnole. Le 20 février, le général
Merle fut désigné comme commandant de la division. Fin mars 1808,
ses effectifs étaient de 3 412 hommes dont 116 officiers, 190
chevaux et 12 bouches à feu. De même à l’autre extrémité des
Pyrénées, la « division d’observation des Pyrénées
orientales », aux ordres du général Duhesme, tenait la
région de Barcelone avec 7 150 hommes, 266 chevaux et 18
bouches à feu.
Le
dispositif français en Espagne continua à évoluer et à se
déplacer vers l’Ouest. En mai 1808, la sécurité des
communications entre Bayonne et Madrid était assurée par le « Corps
des Pyrénées occidentales », placé aux ordres du
maréchal Bessières dont le PC était à Burgos, dont la division
Merle tenait Burgos, la division Verdier occupait Vitoria et deux
grosses garnisons étaient installées à Pampelune avec le général
d’Agoult et Saint-Sébastien avec le général Thouvenot. Les
effectifs du corps étaient de 18 000 hommes et 2 000 chevaux.
En juin, Napoléon décida de renforcer la sécurité dans la zone
frontière en deçà des Pyrénées. Dans chacun des deux
départements des Hautes et des Basses-Pyrénées, il nomma un
général commandant des troupes et il ordonna la levée d’un
bataillon de gardes nationaux à quatre compagnies de 120 hommes. Il
décida leur renforcement par 3 000 gardes nationaux sédentaires
de Bordeaux, dont un bataillon fut installé à
Saint-Jean-Pied-de-Port.
Entre
temps, en effet la situation générale avait évolué à la suite
des événements intérieurs espagnols. Napoléon se satisfaisait
pleinement de l’alliance du roi d’Espagne Charles IV. Mais, à la
suite d’un mouvement insurrectionnel du peuple espagnol, les
émeutes d’Aranjuez le 13 mars 1808, Charles IV abdiqua le 19 mars
1808 en faveur de son fils Ferdinand, prince des Asturies, et quitta
Madrid. Cette émeute, suivie de l’abdication de Charles IV,
entraîna l’intervention de Napoléon en Espagne. Murat, lieutenant
général de Napoléon, qui commandait l’armée française
d’Espagne chargée de la sécurité des arrières de l’armée du
Portugal de Junot, entra le 23 mars 1808 dans Madrid. La population
de Madrid, attachée à son souverain légitime, se souleva contre
l’abdication de Charles IV et contre l’occupation française.
Murat réprima durement l’insurrection de Madrid dès le 2 mai
1808. Le soulèvement s’étendit au peuple espagnol, puis au peuple
portugais, et dégénéra en une guerre civile, ‘la guerra de la
Independencia’, entraînant les premières défaites de l’armée
impériale, au cours d’une guerre de six années, qui fut l’une
des causes majeures de la chute de l’Empire. Napoléon, arrivé le
14 avril 1808 à Bayonne, y resta jusqu’au 20 juillet, habitant à
Marracq, le château construit un siècle auparavant pour Marie-Anne
de Neubourg. Il convoqua la famille royale espagnole le 20 avril à
Bayonne. Au roi Charles IV, au prince Ferdinand et à la reine
Marie-Louise, qui l’y rejoignirent, il imposa son arbitrage :
c’est le « guet-apens de Bayonne ». Il contraignit
Ferdinand à rendre la couronne à son père qui s’en démit alors
en faveur de Napoléon. Le 6 juin, Napoléon désigna comme roi
d’Espagne son propre frère Joseph. Il fit approuver la
constitution de Bayonne par une assemblée nationale espagnole le 7
juillet 1808. Ainsi le traité de Bayonne de 1808 entérinait la
prise de pouvoir de Joseph Bonaparte en Espagne et le renoncement des
Bourbon à la couronne d’Espagne.
Cependant,
le mouvement insurrectionnel, déclenché à Madrid le 2 mai, s’était
généralisé à toute l’Espagne entre le 23 mai et le 1er
juin 1808. La victoire remportée par Bessières le 14 juillet permit
à Joseph, roi d’Espagne depuis le 6 juin, d’entrer à Madrid le
20 juillet 1808. Mais la division Dupont envoyée en Andalousie fut
encerclée à Baylen et capitula le 22 juillet. Cette défaite
renforça l’insurrection qui s’étendit au Portugal où
Wellesley, futur duc de Wellington20,
débarqua le 20 août à la tête d’un corps anglais devant lequel
Junot capitula le 30 août. Joseph quitta Madrid après dix jours de
règne et se replia sur l’Ebre.
De
Paris, Napoléon forma, dès septembre 1808, à Bayonne une armée de
200 000 hommes d’excellentes troupes, organisée en six corps,
qui porta les effectifs de l’armée d’Espagne à 286 000 hommes.
Arrivé à Vitoria le 5 novembre 1808, il conduisit une
contre-offensive rapide qui le mena de Burgos où il était le 10
novembre, à Madrid où il entra le 4 décembre 1808. Cependant, les
diverses armées espagnoles étaient battues, mais non détruites.
Napoléon n’eut guère le temps de rétablir définitivement la
situation. Dès son arrivée à Madrid, apprenant que l’Autriche
s’apprêtait à entrer en guerre, il dut regagner Paris et de là
l’Europe centrale. Il quitta l’Espagne le 17 janvier 1809,
laissant ses généraux achever la besogne avec une armée de 200 000
hommes. Wellington se dérobait à la bataille et laissait l’armée
française s’épuiser dans la contre guérilla. Les opérations
furent contrariées par la mauvaise entente entre les maréchaux et
la dualité de commandement entre Joseph et Napoléon qui continuait
à donner directement ses ordres à ses maréchaux. La progression
des armées françaises fut lente en raison de sièges difficiles.
Dans Saragosse prise d’assaut le 27 janvier, les combats durèrent
jusqu’au 20 février. Suchet remporta des succès en Aragon qu’il
pacifia en mai et juin 1809. Soult prit Porto le 27 mars 1809.
Wellington manoeuvra habilement et battit séparément les corps
français de Soult et Victor, mais il se replia sur le Portugal à
l’annonce d’un retour offensif de Soult. Ce dernier, devenu chef
d’état-major du roi Joseph, détruisit une armée espagnole à
Ocana le 19 novembre. Mais à la fin de l’année 1809, la Galice,
les Asturies et l’Andalousie restaient aux mains des Espagnols et
la guérilla sévissait sur tout le territoire, gênant
particulièrement les communications des troupes françaises. Les
guérilleros étaient des agriculteurs ou d’anciens militaires
professionnels. Mina, « le roi de Navarre », qui
deviendra maréchal, était un ancien laboureur qui mit au point une
tactique très efficace en s’appuyant sur la terreur qu’il
inspirait.
En
Espagne, les années 1810 à 1812 furent celles de l’enlisement
dans une guerre à la fois contre les armées régulières et les
unités de guérilla qui menaient un combat indépendant. Napoléon,
alors en paix avec tous les pays continentaux, ne profita pas de ce
répit pour retourner en Espagne. Il continua à conduire les
opérations depuis Paris. Il réorganisa les troupes en plusieurs
armées : Soult dans le sud, Joseph au centre, Masséna au
Portugal, Augereau en Catalogne et Suchet en Aragon. Le dilemme
était, soit de tenir le pays, soit d’agir groupé contre les
armées ennemies. Les généraux épuisèrent leurs troupes dans
d’infructueuses marches et contremarches. En début 1810, Soult
occupa les principales villes d’Andalousie mais Victor échoua
devant Cadix. Dans une lettre du 21 avril 1811, Napoléon écrivait à
Berthier : « Ecrivez au général Reille pour lui
témoigner mon mécontentement du peu d’énergie qu’il met dans
le commandement de la Navarre ». Les généraux ne
coordonnaient pas leurs actions. Marmont, qui avait succédé à
Masséna, et Soult ne parvinrent pas à unir leurs efforts contre
Wellington qui les vainquit en janvier 1812. Dans l’Est, après des
échecs initiaux, Suchet progressa méthodiquement de Lérida à
Valence qu’il atteignit le 9 janvier 1812. Au début de 1812, les
armées françaises furent réduites de 200 000 à 178 000 hommes en
raison des prélèvements nécessaires à la campagne de Russie. A
partir de 1812, les unités de partisans furent intégrées dans
l’armée espagnole qui se réorganisait avec l’aide anglaise.
Alors, Wellington passa à la contre-offensive. Le 16 mars 1812,
Joseph fut nommé commandant suprême avec Jourdan comme major
général de l’armée. Mais il ne parvint pas à imposer son
autorité aux généraux qui continuaient à se montrer peu
disciplinés. Jourdan ne réussit pas à redresser la situation et
les revers se succédèrent. Soult refusa d’évacuer l’Andalousie
et Marmont qui avait imprudemment pris l’offensive contre
Wellington, fut sévèrement battu aux Arapiles le 22 juillet 1812.
Wellington marcha sur Madrid que Joseph évacua le 10 août pour
rejoindre Suchet à Valence. Soult se résolut à lever le siège de
Cadix le 25 août et à rejoindre Suchet le 3 octobre. Leur réunion
permit à Joseph de rentrer à Madrid en fin d’année 1812. Mais
ils ne parvinrent pas à user de leur supériorité, 80 000 hommes
contre 68 000, pour imposer bataille à Wellington et le
vaincre. En Navarre, la guérilla était active avec les actions de
Mina qui se distingua par ses succès notamment du 22 août et 17
décembre 1812, mais qui fut battu le 13 mai 1813 par le général
Abbé, gouverneur de Pampelune.
Cependant,
en Russie la campagne de 1812 se terminait par la retraite de l’hiver
1812-13. Elle se continua en 1813 par la campagne d’Allemagne qui
se termina en fin d’année par la perte totale du territoire
allemand à l’exception de la rive gauche du Rhin et de sept places
fortes, dont Hambourg où Davout s’était enfermé.
65- La RETRAITE de VITORIA (1813)
En
cette année 1813, comptant sur un retour de fortune en Allemagne,
Napoléon ne se décidait pas à évacuer l’Espagne. Le roi Joseph
quitta à nouveau Madrid. Il se replia sur l’Ebre dans l’intention
de tenir le Nord du pays avec ses armées encore fortes de 113 000
hommes, dont une partie cependant était immobilisée dans les
places. L’insécurité était grande sur les lignes de
communication des armées. Le général Clauzel, commandant l’Armée
du Nord, avait fait établir une ligne de redoutes afin de sécuriser
l’itinéraire traversant la Navarre, où l’hostilité de la
population était particulièrement grande. Face à Wellington qui
cherchait à tourner les Français par l’Ouest, le roi Joseph
Bonaparte et le maréchal Jourdan, bien qu’en nette infériorité
numérique, acceptèrent la bataille à Vitoria le 21 juin 1813. Ils
subirent une sévère défaite. Joseph vaincu avait perdu le trône
d’Espagne. L’armée française battue était contrainte de se
replier sur la frontière. La retraite dut s’effectuer par
Pampelune et Saragosse, car la route côtière par Fontarabie était
sous le contrôle des alliés anglo-ibériques. Les armées du Midi,
général Gazan, du Centre, général Drouet d’Erlon, et du
Portugal, général Reille, retraitèrent sous la pression des
Anglais en direction de la place de Pampelune qui reçut le flot de
la déroute française. La ville tenait le carrefour de deux routes
majeures conduisant en France respectivement par les cols de Velate
et de Roncevaux. Une garnison de 3 500 hommes y fut laissée aux
ordres du général Cassan. Le 24 juin le roi Joseph et la cour
passèrent à Pampelune, en même temps que ces trois armées, puis
se replièrent, le 25, par Velate et la vallée du Baztan. Ils
s’installèrent à Saint-Pée-sur-Nivelle, au quartier d’Helbarron
(Ilbarron), avant de gagner le château de Marracq à Bayonne.
A
l’issue de la retraite, l’ensemble de l’armée française
s’arrêta sur la frontière. Elle déploya un rideau défensif sur
la ligne définie par le cours de la Bidassoa et les cols pyrénéens.
L’armée du Midi, celle du général Gazan, tout en se livrant au
pillage, retraita par Roncevaux et arriva à Saint-Jean-Pied-de-Port
le 26 juin. Les gardes nationaux qui tenaient le col de Roncevaux
n’eurent pas le temps d’évacuer les projectiles de la fonderie
royale située au Nord d’Orbaïceta. Elle s’installa sur la Nive
et la Nivelle de Saint-Pée à Cambo, avec son PC à Ustaritz, le 1er
juillet. La garnison de Saint-Jean-Pied-de-Port ne comprenait qu’un
dépôt de 100 chasseurs pyrénéens et le bataillon d’élite des
gardes nationaux des Basses-Pyrénées qui y était en service depuis
1811. La division Conroux de l’armée du Midi se déploya, sur
ordre de Jourdan, autour de la place, le 1er juillet, avec
des unités à Arnéguy, Anhaux, Baïgorry et au mont Arrola. L’armée
du Centre, celle du général Drouet d’Erlon passa par Velate et la
vallée du Baztan où elle se déploya le 2 juillet, en occupant San
Esteban et Elizondo, se trouvant ainsi en pointe du dispositif
français. L’armée du Portugal, celle de Reille, retraita par San
Esteban et Vera et se redéploya le 30 juin sur la Bidassoa, de Vera
à Hendaye. Elle avait été recueillie sur la Bidassoa par le
général Lhuillier, commandant d’armes de Bayonne, qui y avait
installé les troupes disponibles de sa division de réserve. Clauzel
regroupa le 30 juin ses divisions de l’armée du Nord autour de
Saragosse. Il parvint à échapper à Wellington qui cherchait à
détruire cette armée, et effectua sa retraite par Jacca, puis le
col du Somport. Derrière lui, la brigade Paris de l’armée Suchet
parvint également à retraiter par Saragosse, Jacca et le Somport.
Après leur départ, le chef de bande espagnol Mina occupa Tudela et
Saragosse. Le 7 juillet, Wellington attaqua les cols de Maya et
d’Ispéguy. Gazan échoua dans son action offensive visant à
soulager Drouet d’Erlon qui dut finalement évacuer la vallée du
Baztan. Le général anglais Hill, commandant un corps allié formé
d’Anglais, d’Espagnols et de Portugais, installé à Burguette,
avait lancé le 3 juillet une attaque vers Arnéguy d’un millier
d’Espagnols. En réaction, Conroux craignant en outre une attaque
en force contre Château Pignon, la décision fut prise le 6 juillet
de renforcer Saint-Jean-Pied-de-Port en y concentrant le gros des
forces françaises, soit 5 à 6 divisions. Aussi ordre fut-il donné
à Clauzel, dès son arrivée à Bedous en vallée d’Aspe le 12
juillet, après avoir franchi la frontière, de poursuivre par
Tardets vers Saint-Jean-Pied-de-Port. Dans la partie orientale des
Pyrénées, Suchet évacua Valence et se replia sur l’Ebre.
L’évacuation
par les Français de la rive gauche de la Bidassoa, de la vallée du
Baztan, de la Navarre et de l’Aragon, décida Wellington à
terminer la campagne de 1813 sur les Pyrénées. Toujours soucieux de
sa sécurité, il voulut s’emparer des trois places encore aux
mains des Français : Pampelune, Saint-Sébastien et Santona sur
la côte cantabrique. Il décida de faire d’abord le siège de
Saint-Sébastien, tout en maintenant le blocus de Pampelune par le
corps espagnol de La Bisbal qui devait y relever les trois divisions
anglaises de Hill. Wellington, dont le QG était à Lesaca, adopta
sur la frontière une posture défensive avec la division Cole au col
de Roncevaux, la division Clinton au col de Velate et la division
Picton en réserve à Olatta.
Ainsi,
la défaite de Vitoria du 21 juin 1813 marqua la fin de l’occupation
de l’Espagne et du Portugal, décidée par Napoléon en 1807 pour
parfaire le blocus continental contre l’Angleterre. Napoléon,
rentré précipitamment de Russie, après avoir réorganisé une
nouvelle armée s’était engagé dans la campagne de Saxe contre la
6e coalition, marquée par les batailles de Lutzen et
Bautzen en Mai 1813. A l’annonce de la défaite de Vitoria, il s’en
prit violemment à Joseph qu’il destitua et à Jourdan qu’il
limogea. Par décret signé à Dresde le 6 juillet 1813, il donna le
commandement des armées d’Espagne au maréchal Soult, alors âgé
de 44 ans, qui se trouvait alors également à Dresde. Il le nomma
« Lieutenant de l’Empereur, commandant en chef de l’armée
en Espagne et sur les Pyrénées ». Le 11 juillet
l’émissaire de l’empereur signifiait sa destitution à Joseph,
alors réfugié à Saint-Pée-sur-Nivelle.
Soult
venant de Saxe, arriva à Bayonne le 13 juillet, soit six mois après
avoir quitté l’armée du Midi. Il trouva sur les Pyrénées un
ensemble de 57 000 combattants et 50 canons. Ces forces furent
réorganisées par un décret également signé à Dresde en une
seule armée, articulée en trois corps d’armée. Le commandement
de ces trois corps d’armée fut confié aux anciens commandants
d’armée, Reille, Drouet d’Erlon et Clauzel, ramenés aux grades
de lieutenants généraux, directement subordonnés à Soult. Gazan,
qui ne reçut pas un commandement en raison de son évacuation trop
rapide du Baztan, devint le chef d’état-major de l’armée. Le
soin fut laissé à Soult de choisir les commandants de division et
d’organiser ses forces en appliquant les principes suivants :
divisions à 6000 hommes, divisions d’infanterie avec deux
batteries d’artillerie à pied, divisions de cavalerie avec une
batterie à cheval, en réserve d’armée deux batteries à cheval
et plusieurs batteries de gros calibre. Soult mit ainsi sur pied dix
divisions d’infanterie et deux divisions de cavalerie, constituant
trois « ailes », chacune à trois divisions
d’infanterie et un régiment de cavalerie légère : Le corps
Reille avec les divisions Foy, Maucune et Lamartinière, le corps
Drouet d’Erlon avec les divisions Darmagnac, Abbé et Darricau, le
corps Clauzel avec les divisions Conroux, Vandermaesen et Taupin. S’y
ajoutaient la division d’infanterie de réserve, commandée par
Villatte et les deux divisions de cavalerie. Chaque division
comprenait 5 ou 6 bataillons, mais toutes étaient en sous-effectif.
Au total l’armée représentait 59 450 hommes, 8 546
chevaux et 140 canons, auxquels s’ajoutaient 4 660 non
combattants. Les matériels avaient été fournis par la 10e
division militaire de Toulouse et la 11e de Bordeaux.
L’artillerie nécessaire avait été trouvée dans l’arsenal de
Bayonne. Mais les troupes étaient démoralisées, désorganisées,
sous encadrées et indisciplinées. Dans la première quinzaine de
juillet durant leur retraite, elles s’étaient abattues comme un
fléau sur les campagnes du pays Basque. L’offensive de fin juillet
reporta pendant une semaine ces brigandages de l’autre côté de la
frontière.
Le
maréchal Soult était déterminé à reprendre l’offensive. Il
avait noté que la retraite d’Espagne après la défaite de Vitoria
avait pu être enrayée grâce à l’appui des places de Bayonne et
Saint-Jean-Pied-de-Port. Il décida donc d’agir offensivement à
partir de Saint-Jean-Pied-de-Port en direction de Pampelune pour en
faire lever le siège et ainsi provoquer un relâchement de la
pression sur Saint-Sébastien. Il quitta Bayonne le 20 juillet et
arriva à Saint-Jean-Pied-de-Port le 21 juillet. Il décida de
réorganiser son dispositif en concentrant les gros de son armée à
Saint-Jean-Pied-de-Port et en maintenant un dispositif de couverture
sur la Bidassoa jusqu’au col de Vera, constitué par la division de
réserve de Villatte et vingt pièces d’artillerie avec Bayonne
comme dernier point d’appui. Les trois divisions de l’aile droite
de Reille placées en avant de Saint-Jean-de-Luz purent ainsi être
ramenées sur Saint-Jean-Pied-de-Port, après leur relève à partir
du 18 juillet. Les trois divisions du centre de Drouet d’Erlon
restèrent rassemblées dans la région d’Aïnhoa. Depuis la
retraite, la division Conroux occupait la région de
Saint-Jean-Pied-de-Port, Saint-Etienne-de-Baïgorry et Bidarray.
Ordre fut confirmé à Clauzel de rallier Saint-Jean-Pied-de-Port.
Arrivant de la vallée d’Aspe, il parvint à
Saint-Jean-Pied-de-Port les 15 et 16 juillet avec les divisions
Vandermaesen et Taupin. Il y prit la division Conroux sous ses
ordres. Le 17 juillet, la division Vandermaesen était installée à
la ‘venta’ d’Orisson avec un bataillon à Château
Pignon qui connut des engagements avec les postes avancés du camp
anglais de l’Alto Biscar. La division Taupin était déployée à
Arnéguy. La division Conroux regroupée à Baïgorry tenait des
avant-postes vers le col d’Ispéguy et la fonderie des Aldudes et
occupait fortement avec deux bataillons le mont Arrola séparant la
vallée des Aldudes de celle du Val Carlos. Les divisions du corps de
Reille parvinrent à Saint-Jean-Pied-de-Port le 22 juillet soir et
s’installèrent dans les cantonnements d’Aphat-Ospital, Aincille
et Anhaux. Au total, étaient ainsi concentrés à
Saint-Jean-Pied-de-Port, les six divisions des ailes droite et
gauche, soit les corps Reille et Clauzel, ainsi que les deux
divisions de cavalerie et 66 pièces d’artillerie. Soult disposait
alors au total de 72 000 hommes, tandis qu’à l’extrémité
orientale des Pyrénées, Suchet disposait de 25 000 hommes face à
70 000 Anglais, Siciliens et Catalans.
Arrivé
à Saint-Jean-Pied-de-Port le 21 juillet au matin, Soult installa son
quartier général au château d’Olhonce. Il voulait utiliser la
place forte comme base d’appui de l’engagement offensif de ses
troupes vers Pampelune.
66- La CONTRE-OFFENSIVE de SOULT (1813)
La
tentative de contre-offensive de Soult débuta le 24 juillet 1813.
L’intention de Soult était, dans une première attaque profitant
de l’effet de surprise, de dégager Pampelune où le général
Cassan était assiégé avec 3 500 hommes, puis de conduire une
seconde attaque vers Saint-Sébastien où était assiégé le général
Rey avec plus de 3 000 hommes, dont un bataillon de chasseurs
pyrénéens. La contre-offensive de Soult échoua face à Wellington
devant Pampelune, à la bataille de Sauroren du 28 au 30 juillet
1813.
Le
maréchal Soult diffusa ses ordres le 23 juillet. Couverts sur la
basse Bidassoa par la division Villatte face aux forces alliées de
Fontarabie et Saint-Sébastien, Soult avait décidé de déboucher le
25 juillet, simultanément par les cols de Roncevaux, de Lindus et de
Maya, avec trois corps d’armée en direction de Pampelune. Deux
corps, soit 40 000 hommes au total, chargés de l’effort principal
devaient s’emparer de Roncevaux et Burguette. Le corps Clauzel,
avec les divisions Conroux, van der Maësen et Taupin, attaquerait
par le grand chemin d’Espagne et le col de Roncevaux tandis que le
corps Reille, avec les divisions Lamartinière, Maucune et Foy,
s’engagerait par le col de Lindus. Le corps Drouet d’Erlon, avec
les divisions Darricau, Abbé et Darmagnac, chargé de l’action
secondaire, devait conquérir successivement les cols de Maya et de
Velate. Le dispositif de Soult était couvert sur son Est par le
général Pâris, sans liaison avec son chef Suchet, qui tenait Jacca
et le col du Somport.
Les
troupes françaises prirent leurs dispositions préparatoires le 24
juillet et gagnèrent leurs bases de départ. Derrière l’échelon
d’attaque constitué par les trois divisions du corps Clauzel, le
Grand Chemin d’Espagne par Roncevaux et Orisson, réparé
les jours précédents par les sapeurs du commandant Burel, était
réservé à l’artillerie, à la cavalerie et aux bagages. Trois
cents paires de bœufs, rassemblés à Saint-Jean-Pied-de-Port,
devaient permettre de hisser les 66 pièces d’artillerie au col de
Roncevaux à plus de 1 300 mètres d’altitude en ménageant
les attelages. Dès le 24 au soir, quelques pièces d’artillerie
étaient en batterie à la ‘venta’ d’Orisson. Les trois
divisions du corps Reille, cantonnées à Anhaux, Aincille et
Aphat-Ospital se mirent en marche à 1 heure du matin dans la nuit du
24 au 25 juillet. Elles traversèrent Saint-Jean-Pied-de-Port pour y
percevoir une distribution de pain de deux jours. L’encombrement
était si grand dans les rues de la ville que les troupes retardées
ne parvinrent qu’à une lieue en arrière des points qui leur
avaient été assignés dans la vallée de Baïgorry, où elles
relevèrent la division Conroux. Les services des subsistances
fonctionnèrent mal. Les unités démarrèrent avec seulement deux
jours de vivres. Les soldats furent rapidement réduits à dévaliser
la campagne et les fermes dont les hommes, réquisitionnés comme
gardes nationaux étaient de service dans les montagnes. De surcroît
des pluies abondantes s’abattirent sur les troupes au cours de la
nuit, trempant les hommes et mouillant leurs munitions.
L’attaque
se déclencha le 25 juillet matin. « Les gros de l’armée
d’Espagne, composé des six divisions de Reille et Clauzel, sous le
commandement de Soult, s’engagèrent dans le Val carlos. Jamais,
depuis le temps des Paladins, tant de guerriers y étaient passés »
écrit le capitaine Vidal de la Blanche. Les trois divisions de
l’aile gauche aux ordres de Clauzel, s’élancèrent par la route
des crêtes, avec pour objectif la montagne d’Altobiscar qui domine
le col de Roncevaux, afin de poursuivre ultérieurement vers
Burguette. La division Vandermaesen démarra des positions d’Orisson
et Château Pignon qu’elle occupait depuis le 17, la division
Taupin agissant de concert sur sa droite monta directement de la
vallée d’Arnéguy, la division Conroux, une fois relevée à
Baïgorry, s’engagea derrière la division Vandermaesen. Cette
attaque principale était accompagnée de l’attaque d’un
bataillon par le Val Carlos en direction de la chapelle de Roncevaux,
et par l’attaque d’un bataillon d’élite de gardes nationaux,
aux ordres d’un ancien officier Lalanne, agissant depuis la Nive de
Béhérobie en direction des forges d’Orbaïceta, par le col
d’Orgambide. Les avant-postes ennemis au-delà de Château Pignon
et vers le mont de Leiçar Atheca furent emportés. Mais l’attaque
fut arrêtée par l’ennemi fortement retranché autour de
l’Altobiscar. Ses positions furent finalement prises d’assaut.
L’objectif du col de Bentarte, le « col de Roncevaux »
était atteint. Soult bivouaqua face à l’Altobiscar le 25 soir.
Débouchant
de Baïgorry, les trois divisions de l’aile droite aux ordres de
Reille, s’emparèrent des Aldudes et du mont Arrola, avant de
poursuivre vers le col de Lindus. Leur action était également
accompagnée d’une attaque de diversion d’un bataillon de gardes
nationaux, aux ordres d’Etcheverry, en direction des cols d’Ispéguy
et de Berdaritz, tenus par une brigade portugaise qui finalement
abandonna ces cols. Mais les divisions du corps Reille, empruntant
depuis le mont Arrola le sentier de montagne conduisant au col de
Lindus, perdirent beaucoup de temps sur cet itinéraire difficile,
peu propice à l’attaque, sur lequel les unités devaient
progresser en file indienne. Elles ne parvinrent pas à s’emparer
du col pour le 25 soir. La montagne de Lindus, dominant le col, était
une vieille position espagnole de 1793. Cependant, les Anglais par
crainte d’être débordés, évacuèrent le Lindus dans la nuit du
25 au 26.
Débouchant
également le 25, d’Espelette et d’Aïnhoa en passant de part et
d’autre du mont Mondarrain, les trois divisions du centre aux
ordres du comte Drouet d’Erlon, s’emparèrent de leur objectif du
col de Maya dans la journée. Les Alliés se replièrent sur
Elizondo.
Au
cours de la journée du 26 juillet, le corps de Clauzel, poursuivit
sa progression en direction de Pampelune et atteignit le 26 soir la
ligne de crête entre Zubiri et Espinal, à hauteur du col d’Erro.
Le corps de Reille s’empara des autres cols proches du Lindus.
Poursuivant ensuite en direction d’Espinal, au sud de Burguete, il
se perdit dans le brouillard, sans pouvoir être aidé par les guides
basques dont il ne comprenait pas la langue. Le corps de Drouet
d’Erlon, quant à lui, ne parvint pas à déboucher du col de Maya
pour poursuivre vers Elizondo et le col de Velate. Ainsi, les
divisions anglaises de la vallée du Baztan se replièrent en ordre
vers Elizondo et Pampelune par le col de Velate. Apprenant le 26 soir
que d’Erlon n’avait pas débouché du col de Maya, Soult décida
de poursuivre le 27 matin vers Pampelune avec les seules six
divisions des corps Reille et Clauzel. Le 27 juillet, Clauzel occupa
la ville de Sorauren, ville située à hauteur des monts dominant
Pampelune à 7 Km à son nord.
Ayant
appris l’offensive française le 25 juillet à Saint-Sébastien où
une attaque de la place venait d’échouer, Wellington, quittant le
siège de Saint-Sébastien, se dirigea précipitamment vers
Pampelune. Ainsi, Soult et Wellington se retrouvèrent face à face
devant Pampelune le 27 juillet. Wellington voulait arrêter les
Français en avant de Pampelune. L’armée française, réduite à
deux corps, se déploya sur les deux rives de la rivière Arga. Dans
l’attente du corps Drouet d’Erlon, Soult ne se décida à
attaquer que le 28 après-midi. Les Français, fatigués et à jeun,
essayèrent en vain de bousculer les Anglais galvanisés par la
présence de Wellington, et de s’emparer des hauteurs de Sorauren,
qui commandaient les accès à Pampelune d’où l’on entendait le
canon de la bataille. Le 28 après-midi, Soult lança une attaque
limitée de Clauzel qui, partant du village, s’empara de la crête
couronnée par la chapelle de Sorauren. Mais il ne parvint pas à s’y
maintenir et il fut repoussé par la contre-attaque anglaise,
subissant de lourdes pertes dans des combats acharnés. Vers cinq
heures de l’après-midi, Soult décida le repli sur les positions
de départ. De son côté, Drouet d’Erlon, le 28 dans la matinée,
constatant le décrochage des Anglais face à lui, se mit en route et
franchit enfin le col de Velate, à la suite des divisions anglaises.
Le 28 soir, il atteignait Lanz et parvint le 29 à midi à Ostiz,
quinze kilomètres au nord de Pampelune. Le 29 juillet Wellington
disposait de 30 000 hommes sur le champ de bataille. Face à
lui, les troupes françaises étaient épuisées et à court de
vivres, n’ayant perçu aucune distribution depuis leur départ de
Saint-Jean-Pied-de-Port. Conscient de l’échec de son action sur
Pampelune et craignant l’arrivée des divisions alliées que
l’action de Drouet d’Erlon n’avait pas arrêtées, Soult
« malgré son indomptable énergie » ordonna le
repli dès le 29 juillet. Voulant profiter de la concentration des
forces alliées devant Pampelune avec Wellington à leur tête, Soult
confiant au corps de Reille la mission de masquer et couvrir sa
manœuvre de retraite, décida de reporter son effort sur la zone
côtière et de basculer le gros de ses forces contre
Saint-Sébastien. Il renvoya le jour même son artillerie vers
Saint-Jean-de-Luz par le chemin de Roncevaux à
Saint-Jean-Pied-de-Port. Il voulait se replier à partir du 30, en
coupant en ligne droite avec le gros de ses forces, par la montagne à
partir du col de Velate sur la direction Dona Maria, San Esteban,
pour rejoindre les positions tenues sur la Bidassoa par la division
Villatte.
Face
à lui, Wellington le 30 juillet craignait une attaque d’envergure
de Soult, que Drouet d’Erlon avait rejoint. Il surveillait les
mouvements français. Le repli de Soult, commencé le 30 juillet,
s’effectua donc sous la pression anglaise, face à laquelle le
corps Reille avait mission de le couvrir. La bataille de Sorauren
connut donc une seconde phase le 30 entre l’armée de Wellington et
le seul corps Reille. Wellington s’empara du village de Sorauren et
commença à déborder Reille qui dut ordonner la retraite. Certaines
de ses unités commencèrent alors à se débander.
Entamant
son repli de Sorauren à Saint-Sébastien en s’engageant vers le
col de Velate, Soult voulait exécuter une « marche
manœuvre » et reprendre l’initiative en cours de
retraite. Il marchait avec le corps de Drouet d’Erlon qui formait
l’avant-garde de l’armée. Il réussit initialement à progresser
dans de bonnes conditions, grâce à des succès locaux contre les
unités anglaises. Le 31 juillet, il installa son Q.G. à Lanz au
pied du col de Velate. Apprenant l’échec subi par Reille, il prit
conscience de la situation réelle et décida de poursuivre vers San
Esteban par le col de Dona Maria, puis de prendre la direction de
Vera par les gorges de la Bidassoa. Il commença son mouvement le 31
juillet à 1 heure du matin. Les Anglais passèrent immédiatement à
l’offensive. La suite de la retraite, effectuée sous la pression
anglaise se déroula dans la confusion, les unités françaises se
trouvant sans vivres ni munitions, perdirent confiance et tout sens
de la discipline. Cependant, le 1er août au soir, le
corps Reille l’ayant rejoint avec deux de ses divisions, Soult
réussit à regrouper à hauteur d’Echalar les restes de huit de
ses divisions. De là, Soult se dirigea vers Sare et Aïnhoa à la
rencontre de Villatte.
Lors
de la retraite du corps Reille laissé initialement en couverture, la
division Foy s’égara. Elle se dirigea d’Eugui vers Les Aldudes
par le col d’Urquiaga qu’elle tint jusqu’au 31 juillet au soir.
Sur le même itinéraire se repliaient 7 à 8 000 isolés et
traînards appartenant à des unités complètement débandées, que
Foy dirigea vers Saint-Jean-Pied-de-Port. Ayant perdu la liaison avec
Soult dès le 30 juillet, Foy se replia par la vallée des Aldudes
sous la pression des Anglais jusqu’à Cambo. Le 9 août, il y reçut
l’ordre de gagner Saint-Jean-Pied-de-Port pour constituer un
détachement de flanc-garde aux ordres directs de Soult. Il devait y
prendre le commandement de toutes les troupes qui s’y trouvaient,
notamment des traînards qui s’y étaient réfugiées dans le
désordre de la retraite. La cité avait, à partir du 30 juillet,
assisté au repli des convois, de l’artillerie et des divisions de
cavalerie de l’armée de Soult. Ensuite, elle vit arriver les
blessés, les déserteurs et les isolés, dont ceux rencontrés par
la division Foy, qui se répandirent dans les vallées de Baïgorry
et de Saint-Jean-Pied-de-Port. La débandade des troupes battues qui
annonçaient l’arrivée des armées ennemies, provoqua une
véritable panique, d’autant qu’elles recommencèrent à ravager
le pays dans une véritable fièvre de vandalisme. L’événement
sembla encore plus grave que la défaite de Vitoria. Foy récupéra
environ 8 000 traînards au cours de la première quinzaine
d’août.
La
manœuvre à double objectif de Soult consistant à attaquer vers
Pampelune, afin d’obtenir la levée du siège de Saint-Sébastien
avait donc échoué. L’armée française vaincue, mais moins
profondément désorganisée qu’il ne pourrait paraître, réussit
à reprendre ses anciennes positions défensives depuis la Bidassoa
jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port. Soult rétablit son centre sur La
Rhune, sa gauche au Mondarrain et sa droite à l’océan. Du 25
juillet au 2 août, Soult avait perdu 12 443 hommes, dont 423
officiers. Les Anglais certes vainqueurs avaient cependant subi des
pertes importantes. Hors d’état de poursuivre, Wellington déploya
un dispositif de couverture afin d’achever le siège de
Saint-Sébastien et le blocus de Pampelune. Le 3 août Wellington
remania son dispositif, renvoyant le corps de Hill à Roncevaux et
aux Aldudes. Les deux armées se retrouvaient dans le statu quo
ante sur la Bidassoa et les cols pyrénéens.
Dès
son arrivée sur la Bidassoa, Soult réorganisa son dispositif. La
division Foy occupait toujours Saint-Jean-Pied-de-Port : Venta
d’Orisson, Arnéguy, Baïgorry et Anhaux. Mais le passage entre
Larrau et Sainte-Engrace, déjà utilisé en 1793 pour tourner
Saint-Jean-Pied-de-Port restait libre. La division Foy fut donc
chargée d’assurer la flanc-garde du dispositif. Soult décida de
reporter son effort sur le secteur côtier et d’attaquer
Saint-Sébastien pour en faire lever le siège. Le 29 août, il
repassa la Bidassoa pour attaquer les hauteurs de San Marcial21
qui dominent le gué de Biriatou et soulager la garnison de
Saint-Sébastien qui soutenait toujours le siège des alliés. Malgré
quelques succès locaux des Français, la contre-attaque échoua le
1er
septembre. Le 9 septembre, la garnison de Saint-Sébastien capitula
après trois mois de siège. Avant le début d’octobre, Foy réussit
à rejeter les avant-postes ennemis de la vallée de Baïgorry dans
celle du Baztan. Cependant, en face de lui, les anglo-portugais de
Hill tenaient les redoutes de l’Alto Biscar, du Lindus et
d’Ispéguy. Début octobre, par 1 mètre de neige, la brigade
Campbel attaqua les avant-postes de Foy à la fonderie des Aldudes et
y razzièrent 2 000 moutons. Le 31 octobre enfin, le général
Cassan capitulait à Pampelune. Sur le front européen, après la
bataille de Leipzig des 18 et 19 octobre 1813, Napoléon avait du
battre en retraite.
Soult
revenu à Saint-Jean-Pied-de-Port début octobre, constata que la
place de Saint-Jean-Pied-de-Port et sa citadelle ne barraient
qu’insuffisamment le débouché des vallées de la haute Nive et
les itinéraires descendant des ports de Cize. Il conçut donc le
projet d’en faire le centre d’un camp retranché qui pourrait
contrôler les routes conduisant d’Espagne vers Bayonne et Pau. La
construction de ce camp retranché comprenant un nombre plus
important d’ouvrages que celui de 1773, et englobant un plus large
périmètre autour de Saint-Jean-Pied-de-Port, fut immédiatement
entreprise.
67- L’OFFENSIVE de WELLINGTON (1813-1814)
Cette
offensive constitua le dernier acte de la campagne de Soult,
commencée avec la bataille de Vitoria le 21 juin 1813. Elle se
termina, au plan politique le 11 avril 1814 par l’abdication de
Napoléon, au plan militaire le 10 avril par la bataille de Toulouse,
puis le 14 avril par la sortie de la garnison de Bayonne, enfin le 30
avril par la reddition de la garnison de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Saint-Sébastien
une fois prise, le front établi sur la Bidassoa et les cols
pyrénéens, Wellington s’interrogea sur sa stratégie: soit
pénétrer en France par les cols pyrénéens, terrain jugé plus
propice mais où les Français tenaient des places fortes, dont celle
de Saint-Jean-Pied-de-Port, soit attaquer par la côte et les Landes,
obstacles naturels difficiles à franchir. Il opta pour une offensive
par la côte, d’autant qu’à cette date Pampelune n’était pas
tombée. Fidèle à ses principes, il choisit de procéder à une
attaque prudente et systématique vers la côte atlantique et la
basse Bidassoa, en vue de s’emparer des ports de Fontarabie et
Saint-Jean-de-Luz ainsi que de la montagne de La Rhune, avant de
poursuivre vers Bayonne.
Avec
son armée réduite à 60 000 hommes, Soult s’était établi
défensivement sur la frontière sur un front de quarante kilomètres
où il avait fait exécuter de gros travaux de retranchement par de
la main d’oeuvre civile réquisitionnée. Son Q.G. était installé
à Saint-Jean-de-Luz. Son dispositif défensif, très étalé
manquait de profondeur et de réserves. Il était constitué du corps
Reille avec 10 500 hommes sur la Bidassoa, du corps Clauzel avec 15
400 hommes au centre, qui tenait également Sare et la Rhune, du
corps Drouet d’Erlon à l’Est jusqu’au massif du Mondarrain. Il
était couvert, dans le camp retranché qu’il faisait établir en
avant de Saint-Jean-Pied-de-Port, par les 5 000 hommes de la division
du général Foy qui avait pris sous ses ordres la garnison du
général Blondeau. Ils étaient eux-mêmes flanqués vers
Saint-Palais et Mauléon par la brigade Pâris. Accrochant sa droite
au camp retranché de Bayonne et sa gauche à celui de
Saint-Jean-Pied-de-Port, Soult, en nette infériorité numérique,
livra contre l’armée de Wellington d’octobre 1813 à mars 1814,
un combat de défense mobile en profondeur en arrêtant habilement
l’ennemi sur les lignes favorables successives que constituaient
les coupures de la Bidassoa, de la Nivelle, de la Nive, de l’Adour,
puis des gaves et en menant contre lui des retours offensifs,
notamment en s’appuyant sur le camp retranché de Bayonne. Les
combats, qui se terminèrent en avril 1814 par la bataille de
Toulouse, se déroulèrent donc en plusieurs phases :
-
Les 7 et 8 octobre 1813, bataille de la Bidassoa. Wellington, dont le QG était installé à Vera, prit l’initiative. Il surprit Soult, dont il perça le dispositif défensif. Il conquit une tête de pont au pas de Bidassoa et au gué de Biriatou, et s’empara d’Hendaye, dont le fort fut définitivement détruit. Après d’âpres combats, les attaques anglaises sur la Rhune et la forge Urdax, vers Dancharia furent finalement repoussées. Sous la poussée de Wellington, Soult décida de reculer sa ligne de défense sur la Nivelle, abandonnant la Rhune mais adoptant ainsi un dispositif plus resserré. Gardant l’initiative, Wellington pouvait entamer l’invasion du territoire français à partir de cette tête de pont ;
-
Jusqu’au 11 novembre 1813, bataille de la Nivelle. Malgré la supériorité numérique de l’ennemi, Soult parvint à l’arrêter sur cette rivière pendant plus d’un mois. Soult, maintenant son Q.G. à Saint-Jean-de-Luz, prépara la défense par de grands travaux, avec le corps Reille sur Saint-Jean-de-Luz, Clauzel sur Sare et Ascain, d’Erlon sur Aïnhoa et Mondarrain, tandis que Foy à Bidarray surveillait les vallées de Baïgorry et du Bastan et que le général Pâris défendait Saint-Jean-Pied-de-Port. Le 31 octobre, la garnison de Pampelune forte de 3 500 hommes aux ordres du général Cassan, capitula après plus de quatre mois de siège. Wellington organisa son armée de 90 000 hommes en trois corps. Celui du général Hill avec 26 000 hommes, soit trois divisions anglaises, les divisions espagnoles de Morillo et Mina et une brigade de cavalerie, était déployé face à Saint-Jean-Pied-de-Port et dans la vallée du Baztan. Wellington attaqua les 10 et 11 novembre en direction d’Ascain, Aïnhoa, Saint-Pée et Saint-Jean-de-Luz. Il établit après de très durs combats trois divisions sur la rive droite de la Nivelle, tandis que Foy menait une contre-attaque malencontreuse sur le mont Gorospil, tenu par les 5 000 hommes de Morillo et Mina. Menacé d’être coupé en deux, Soult abandonna Saint-Jean-de-Luz. Le 12 novembre, il reporta sa ligne de défense sur les hauteurs moins favorables d’Arbon, Arcangues, Bassussary et le cours de la Nive de Bayonne à Saint-Jean-Pied-de-Port. Le quartier général anglais s’établit à Saint-Jean-de-Luz ;
-
Jusqu’au 13 décembre 1813, bataille de la Nive. Appuyant sa droite sur la place de Bayonne dont la garnison est portée à 8 000 hommes, et sa gauche sur la place de Saint-Jean-Pied-de-Port, accrochant son centre aux hauteurs de Cambo, Soult qui avait établi son Q.G. à Bayonne, voulait arrêter Wellington sur la coupure de la Nive. Reille était déployé à Anglet et Biarritz, Clauzel au centre à Arcangues, Drouet d’Erlon sur le cours de la Nive, tandis que Pâris à Saint-Martin d’Arossa gardait le débouché des vallées de Baïgorry et de Cize avec 4 000 hommes et que Blondeau défendait Saint-Jean-Pied-de-Port avec les seuls effectifs de sa garnison. Le 9 décembre, Wellington attaqua entre Cambo et Ustaritz tandis que Morillo franchissait la Nive à Itxassou, obligeant Pâris à se replier sur Helette. S’appuyant sur Bayonne, Soult mena pendant cinq jours une série de contre-attaques, dont certaines heureuses. Il fut finalement battu à la bataille de Saint-Pierre d’Irube et de Mouguerre, le 13 décembre et il dut finalement abandonner la position de la Nive. Le 17 décembre une colonne espagnole conduisant une descente en force dans la vallée de Baïgorry, commit de nombreuses exactions contre la population ;
-
Janvier 1814, combats sur la Joyeuse, la Bidouze et le Saison. Wellington, parvenu devant Bayonne, voulait agir prudemment et assiéger Bayonne avant de poursuivre. Soult, après avoir envoyé 15 000 hommes en renfort à Napoléon qui se préparait à défendre les frontières de la France, installa son Q.G. à Peyrehorade. Il organisa son dispositif en s’appuyant sur l’Adour depuis son embouchure et la Joyeuse son affluent. Bayonne, en plus de sa garnison portée à 9 500 hommes commandée par le général Thouvenot, était défendue par les 5 100 hommes de la division Abbé. Wellington chargea le corps Hope, à l’effectif de 39 000 hommes, de l’assiéger. En Basse Navarre, la division Harispe, détachée de l’armée du maréchal Suchet et arrivée depuis le 25 décembre, occupait le secteur d’Helette, Irissarry et la brigade Pâris tenait Saint-Palais. Mais les divisions Harispe et Foy durent se replier après une sanglante affaire autour de Garris. Wellington confia à la division espagnole de Morillo la garde de la Nive à Itxassou et à la division Mina l’occupation du Baztan ;
-
Février 1814, franchissement de l’Adour et combats d’Orthez. Après le départ de ses deux divisions rappelées à Paris, l’armée de Soult était réduite à 37 000 fantassins et 3 800 cavaliers. Wellington disposait d’effectifs triples. Tout en poursuivant le siège de Bayonne qui devint définitif à la mi-février et en assiégeant Saint-Jean-Pied-de-Port, il lança plusieurs attaques pour éloigner l’armée de campagne française de Bayonne. Ainsi, le 14 février, la division Harispe, battue vers Hélette, dut se retirer vers Saint-Palais. Wellington prit l’offensive sur l’Adour le 15 février. Après s’être battu sur cette rivière, puis sur le gave de Pau, Soult dut se replier sur le gave d’Oloron. Le 23 février, tandis que Hope franchissait l’Adour pour investir la ville de Bayonne, Wellington relança une attaque sur un front de cinquante kilomètres provoquant un nouveau repli de Soult de part et d’autre d’Orthez où il s’installa le 25 février avec ses 40 000 hommes. Après avoir, durant la nuit, lancé un pont sur le gave à Bérenx, Wellington attaqua Orthez le 27 février, tandis que les troupes du général Hope assiégeaient Bayonne et celles de Morillo Navarrenx. A Orthez, où 35 000 Français opposaient une défense opiniâtre à 45 000 Anglais, les combats furent très violents et les pertes très lourdes des deux côtés. Contraint à un nouveau repli, Soult regroupa ses troupes à Hagetmau où il établit son QG. La bataille d’Orthez, du 27 février 1814, acheva la défaite d’une armée française dont le moral avait faibli ;
-
Mars 1814, combats d’Aire-sur-Adour et retraite vers Toulouse. Soult renonça à barrer la route de Bordeaux où les Anglais entrèrent le 12 mars, et dont le maire proclama le ralliement de sa ville à Louis XVIII. Soult décida de faire route vers Toulouse en entraînant Wellington dans le Piémont pyrénéen. Il espérait y rejoindre l’armée du maréchal Suchet venant de Catalogne. Wellington lança la poursuite en trois colonnes. Le 2 mars, il surprit Soult autour d’Aire-sur-Adour et lui infligea une nouvelle défaite. De son côté, Soult réussit plusieurs actions limitées fructueuses contre les Anglais. Après de nouveaux combats à Vic-en-Bigorre, Tarbes et Saint-Gaudens, Soult s’installa le 24 mars 1814 à Toulouse. Il mit la ville en état de défense et recompléta son artillerie grâce aux arsenaux de la ville ;
-
10 avril 1814, bataille de Toulouse. Wellington engagea le combat le 10 avril avec ses 60 000 hommes. Dès le 10 au soir, Soult était presque totalement encerclé dans Toulouse. Le bilan de la bataille qui se termina sans véritable vainqueur, fut très lourd. Harispe fut blessé. Wellington décida de relancer une attaque le 12, mais dans la nuit du 11 au 12 avril, Soult reconnaissant sa défaite, évacua la ville.
Cette
manœuvre de retraite de Soult d’Hendaye à Toulouse est
remarquable. Il parvint, pendant six mois, à manoeuvrer face à une
armée deux fois plus nombreuse, alternant combats d’arrêt sur les
coupures naturelles, manoeuvres de diversion et retours offensifs, en
s’appuyant sur les places fortes. Par ailleurs, il avait réussi à
attirer Wellington vers Toulouse, interdisant ainsi aux Alliés de
regrouper l’ensemble de leurs forces contre Napoléon.
Wellington
entra le 12 avril 1814 matin dans la ville de Toulouse. En fin de
matinée, il reçut à la préfecture les émissaires des Alliés et
du gouvernement provisoire de la France, lui annonçant l’abdication
sans condition de Napoléon, intervenue le 6 avril. Paris avait
capitulé le 31 mars. Le 13 avril, les émissaires rejoignirent Soult
à Castelnaudary. L’ordre de cesser le combat signé du major
général des armées, le général Berthier, lui parvint le 18
avril. L’armistice fut alors conclu, le même jour 18 avril, entre
les généraux Gazan et Murray, respectivement chefs d’état-major
des deux armées. A cette date, Suchet se maintenait toujours en
Catalogne vers Figueras et plusieurs garnisons dont celle de
Barcelone résistaient encore. Le 19 avril, le maréchal Soult signa
une proclamation d’adhésion de lui-même et de ses troupes au
nouveau gouvernement français. Après la signature de l’armistice
le 18 avril, le général Murray fit porter le texte de la convention
mettant fin aux hostilités aux places fortes de Bayonne, Navarrenx,
Lourdes et Saint-Jean-Pied-de-Port qui résistaient encore. Leurs
garnisons devaient alors capituler ainsi que celle de Venasque en
Espagne où une garnison française était également encerclée. La
proclamation du maréchal Soult leur fut communiquée le 22 avril.
Napoléon avait fait ses adieux à la Garde à Fontainebleau, le 20
avril.
La
place de Bayonne, assiégée depuis le 17 février et abandonnée à
son sort, tenait toujours. Le général de division Thouvenot,
personnellement désigné à ce poste par l’empereur y était
assiégé avec 12 000 hommes, organisés en quatre brigades et
vingt-et-un bataillons, plus 800 marins, par les 28 000 hommes du
général Hope, constituant deux divisions et une brigade anglaises,
deux brigades d’infanterie et une brigade de cavalerie portugaises
ainsi que deux divisions espagnoles. Commençant par des attaques de
diversion le 23 février, Hope réussit à lancer un pont de bateaux
sur l’Adour et à réaliser l’investissement complet de la place
le 27 février. Thouvenot élabora alors un plan de sortie qu’il
réalisa le 14 avril 1814, à partir de 2 h 30 du matin, et qui lui
permit de faire prisonnier le général anglais Hope. Devant la
contre-attaque anglaise, Thouvenot ordonna le repli à 08 h 00. Le 17
avril, la nouvelle de l’abdication de Napoléon parvint à Bayonne.
L’entrée des Alliés à Paris rendait inutile toute prolongation
de sa résistance, mais le général Thouvenot ne consentit à signer
une suspension d’armes que le 27 avril et la convention levant le
blocus n’intervint que le 5 mai.
La
place de Saint-Jean-Pied-de-Port était, quant à elle, assiégée
depuis le 16 février. En novembre, en effet, en raison d’actes de
vandalisme, Wellington avait renvoyé en Espagne la division de Mina,
l’ex-chef de bande espagnol devenu général, initialement engagée
au sein du corps Hill. Le 16 février, Mina arrivant du Baztan mit le
siège devant la place de Saint-Jean-Pied-de-Port, en ravageant le
pays mais sans prononcer de véritable attaque d’envergure. La
garnison forte de 1 562 hommes aux ordres du général Blondeau,
formée du dépôt du 31e léger, de deux cohortes de la
légion des Basses-Pyrénées, d’artilleurs et de sapeurs, résista.
En mars, un corps de 4 000 Espagnols tenta une nouvelle incursion en
vallée de Baïgorry où ils furent repoussés par les habitants,
rapidement reformés en compagnies franches ayant à leur tête M.
Etcheverry, un de leurs anciens officiers de 1793. Averti à partir
du 17 avril de l’abdication de Napoléon, puis le 22 avril de
l’armistice et de la proclamation de Soult d’adhésion au nouveau
gouvernement français, le général Blondeau ne signa une suspension
d’armes que le 30 avril en se rendant au roi de France, douze jours
après l’armistice général. Saint-Jean-Pied-de-Port qui, comme
Bayonne, n’eut pas à capituler devant l’ennemi, ne se rendit
qu’au roi de France.
Au
traité de Paris du 30 mai 1814, la France fut ramenée à ses
frontières du 1er janvier 1792, mais conserva Mulhouse,
Montbéliard, Avignon, le Comtat Venaissin et une partie de la
Savoie. Pendant les Cent Jours, du 1er mars 1815,
débarquement de Napoléon au Golfe Juan, au 18 juin 1815, bataille
de Waterloo et jusqu’au 15 juillet quand Napoléon se livra aux
Anglais, son chef d’état-major fut Soult. Après le désastre de
Waterloo, une petite armée espagnole commandée par le comte de
Labisbal franchit la Bidassoa, pénétra sur le territoire français
et s’avança jusqu’à Anglet et Ustaritz. L’alerte fut chaude
mais brève sur la frontière. Une intervention du duc d’Angoulême
auprès de Ferdinand VII entraîna un retrait pacifique des troupes
espagnoles. Le 8 juillet 1815, Louis XVIII rentra à Paris.
68- Le CAMP RETRANCHE de 181322
Après
la bataille de Vitoria, une partie de l’armée impériale s’était
repliée, fin juin 1813, avec son artillerie par la route de
Roncevaux. Poursuivie par une partie de l’armée anglo-espagnole,
elle l’arrêta à la frontière en appuyant son dispositif défensif
sur le camp retranché établi à Saint-Jean-Pied-de-Port depuis
1793. Ayant installé son quartier général au château d’Olhonce
à Saint-Jean-Pied-de-Port le 21 juillet, le maréchal Soult se
servit de ce camp retranché comme point d’appui de sa
contre-offensive du 25 juillet 1813, qui visait à débloquer la
place de Pampelune où était enfermé le général Cassan. En ces
deux occasions, il avait pu constater les insuffisances du camp
retranché qui barrait insuffisamment les débouchés des ports de
Cize, dont Roncevaux, et pouvait aisément être débordé.
Aussi,
lorsque, après ses défaites de Sorauren et San Marcial, puis la
chute de Saint-Sébastien, décida-t-il d’y établir un camp
retranché de plus grande taille, couvrant toute la vallée et
englobant les monts et les villages entourant
Saint-Jean-Pied-de-Port. Il comprenait ainsi un nombre plus important
d’ouvrages, camps, redoutes et batteries que le camp retranché de
1793. Vu son développement, il nécessitait l’emploi d’une
division entière, comme le précise la lettre de Soult au ministre
de la guerre, Clarke, signée à Saint-Jean-Pied-de-Port, le 2
octobre 1813. La division Foy, forte d’environ 5 000 hommes,
avait été affectée au camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port,
le général Blondeau, gouverneur de la place étant placé à ses
ordres avec les 1 562 hommes de la garnison. Le général Foy y fut
remplacé par le général Pâris et sa brigade, lorsque le
dispositif français fut redéployé sur la Nivelle. Le général
Blondeau y assuma seul la mission lorsque Soult décida de regrouper
ses forces sur Bayonne à la mi-novembre, après la bataille de la
Nivelle des 10 et 11 novembre 1813. Le camp retranché joua
parfaitement son rôle durant la manœuvre de défense mobile à
l’extrémité sud du dispositif français d’octobre 1813 à avril
1814. Il ne subit aucune attaque majeure, dès lors que Wellington,
qui voulait éviter de l’attaquer directement, avait décidé de
lancer son offensive par le secteur côtier. Sa mission d’interdire
à l’ennemi le libre usage du col de Roncevaux fut accomplie
jusqu’à la fin des hostilités. De même, il fixa devant lui des
effectifs alliés qui allégeaient d’autant le rapport des forces
devant l’armée de campagne de Soult. La guerre se termina en 1814
pour le camp retranché par le blocus de Saint-Jean-Pied-de-Port,
réalisé par le général espagnol Mina à partir du 16 février. La
garnison n’eut à subir que des attaques partielles. Elle ne se
rendit au roi de France que le 30 avril 1814, vingt-quatre jours
après l’abdication de Napoléon, douze jours après l’armistice
général.
En
octobre 1813 donc, Soult fit rétablir les travaux de fortification
antérieurs et y fit ajouter plusieurs fortifications nouvelles afin
d’entourer plus complètement la citadelle face à toutes les
directions, sans en privilégier aucune comme précédemment.
Occupant ainsi plus largement la vallée de Cize, ce nouveau camp
retranché était mieux en mesure d’interdire tout débouché en
force du col de Roncevaux et de barrer les itinéraires conduisant de
Pampelune vers Bayonne d’une part, Pau d’autre part. Déjà, le
rapport de 1794 avait demandé que le camp retranché soit développé,
notamment par la construction d’une redoute additionnelle en avant
de Curutchamendy, sur le plateau de l’autre côté du grand chemin
d’Orisson en face de la redoute de la Liberté, pour empêcher son
contournement à partir d’Arnéguy23,
par le bois de Bereterguibel. Cette redoute aurait ainsi complété
l’ensemble constitué par les redoutes de La Liberté et
d’Arignarte.
Au
total le camp retranché édifié en 1813 ne comptait pas moins de
douze redoutes, généralement en forme de pentagones réguliers,
construites sur les hauteurs entourant Saint-Jean-Pied-de-Port. La
citadelle était d’abord couverte à son Sud-ouest à l’extrémité
de l’esplanade par une lunette, dénommée « lunette de
Gastellumendy », construite à environ 600 mètres en avant
de la porte du secours. Elle était ensuite entourée d’une
première ceinture d’ouvrages constituée par les redoutes de :
-
Picoçoury, établie au lieu-dit Cherrapo, au-dessus de la route de Zaro, à la cote 299 ;
-
Ipharce, ou Ipartzéa, établie au lieu-dit Taillapalde, au-dessus du carrefour du chemin de La Madeleine et de la route de Zaro à la cote 231 ;
-
Ispoure, établie à la cote 192 à côté de la maison Abotia, entre le village d’Ispoure et la maison forte Larria, ouvrage dénommé « retranchement d’Ispoure » sur les cartes d’époque ;
-
Bel Aspect, au-dessus du village d’Uhart face à la direction de Baïgorry et du Val Carlos ;
-
Curutchamendy, établie sur un mamelon à une distance de 1 000 m, en face du côté ouest de la citadelle qu’elle domine de 45 m, couverte par une batterie en arc de cercle, déployée en avant, elle contrôlait à la fois les deux routes conduisant à Roncevaux en étant plus près de la « grande route » que de celle du Val Carlos.
Ainsi,
la citadelle constituait le centre d’un camp retranché de 3020 m
depuis la redoute de Picoçoury à Caro jusqu’à celle d’Ispoure,
sur 2280 m depuis la redoute de Curutchamendy jusqu’à celle
d’Ipharce, selon les mesures effectuées par les officiers du génie
au XIXe siècle. Ce camp retranché était défendu sur les
directions dangereuses par une seconde ceinture d’ouvrages :
-
en avant de l’ouvrage de Curutchamendy, à environ 1300 mètres plus en avant sur le grand chemin d’Espagne, un important ensemble de deux redoutes, celles de « La Liberté », et d’ « Arignarte » ;
-
en avant de la redoute de « Bel Aspect », un ensemble de deux redoutes, établi au dessus du village d’Ascarat, sur le mouvement de terrain marqué par les cotes 231 et 256, commandant les routes de Baïgorry et de Lasse ;
-
en avant de l’ouvrage de Picoçoury, à environ 800 mètres de distance, commandant le cheminement conduisant de Saint-Michel à Caro, le « redent d’Harispuru » ;
-
à 2 500 mètres plein Est de la citadelle, au-dessus de Saint-Jean-le-Vieux, commandant le grand chemin vers Pau, la redoute de « Francismendy », également dénommée « La Belle Esponda », redoute en forme d’étoile, prolongée par une sorte d’ouvrage à cornes sur son flanc Sud.
Plus
en avant encore, à une dizaine de kilomètres au Sud de ce camp
retranché sur le grand chemin d’Espagne, un ensemble avancé
d’ouvrages détachés, constitué autour du camp de Château Pignon
par plusieurs fortins et redoutes, commandait les débouchés des
cols d’Orgambide, d’Arnostéguy et de Bentarte, ou Roncevaux. La
carte actuelle au 1/25 000 indique l’ancienne redoute de Château
Pignon à la cote 1 177 en face du pic d’Hostatéguy, immédiatement
à l’est de la « route Napoléon », ainsi que les
vestiges d’une redoute sur la frontière à la cote 1 385 entre les
deux cols de Bentarte et d’Arnosteguy. Une autre redoute existe,
semble-t-il, en contrebas et à l’Est du monument d’Urculu. Selon
les ingénieurs du génie, l’ouvrage d’Arnostéguy était tenu
par 1 500 hommes. Construits légèrement à contre-pente de la ligne
de crête principale pour qui vient d’Espagne, en face de l’Alto
Biscar, en avant des cols constituant la frontière, cet ensemble
couvrait à distance le camp retranché de Saint-Jean-Pied-de-Port.
La carte d’état-major en hachures au 1/80 000, édition 1930,
indique également des redoutes au col de Lindus, de Berdaritz et une
« redoute espagnole » au col de Phagocelhay.
Le
rapport de 1834 précise que tous ces ouvrages extérieurs étaient
des ouvrages en terre, vraisemblablement renforcés d’éléments en
maçonnerie et entourés de palissades. Mais aucun des documents
consultés ne précise sur quel dispositif s’était replié la
garnison du général Blondeau, une fois livrée à elle-même à
partir de décembre 1813. Sans doute tenait-elle au moins avec ses
effectifs les deux ouvrages de la citadelle, Gastellumendy inclus, et
de Curutchamendy, mais peut-être avait-elle déployé un dispositif
plus large englobant l’ensemble de la première ceinture.
* * *
Ainsi
donc, cette période de la Révolution et de l’Empire fut très
riche en événements militaires pour la cité de
Saint-Jean-Pied-de-Port. Elle se trouva, en effet, directement
impliquée dans les guerres de la Révolution, après la déclaration
de guerre de la France à l’Espagne le 7 mars 1793 jusqu’à la
signature de la paix à Bâle le 22 juillet 1795, puis de l’Empire
avec la campagne du Portugal commencée le 18 octobre 1807 par le
franchissement de la Bidassoa par les troupes françaises du général
Junot, puis celle d’Espagne par l’installation à Madrid du
Maréchal Murat le 23 mars 1808. La citadelle fit alors concrètement
la démonstration de son importance opérationnelle en devenant le
centre d'un vaste « Camp Retranché » qui comprit
en 1793 six, puis en 1813 une douzaine d’ouvrages importants, qui
couvrait l’ensemble de la vallée. Il joua à plusieurs reprises un
rôle opérationnel important, comme pivot des opérations, tour à
tour en postures défensive et offensive, en 1793-95, puis en 1808,
enfin en 1813-14. L’effectif nécessaire à sa défense se montait
à une division. Par deux fois, lors de la concentration des troupes
en vue d’opérations offensives, il abrita plusieurs divisions,
jusqu’à deux corps d’armée, soit 40 000 hommes, en juillet
1813.
Placé
en première ligne, ce camp retranché se trouva directement engagé
comme point d’appui des combats pour la défense de la frontière
face aux Espagnols d’avril 1793 à juin 1794, puis en juin et
juillet 1813 lors de la retraite suivant la défaite de Vitoria,
d’août 1813 au 30 avril 1814 enfin durant la manœuvre défensive
de Soult de la frontière des Pyrénées à Toulouse, entre octobre
1813 et avril 1814, à l’extrémité Est, puis Sud, de son
dispositif. Il constitua de 1808 et à 1813, en avant de Bayonne et
au pied du col de Roncevaux, une base avancée de transit et de
soutien logistique pour l’armée d’Espagne sur le second des deux
itinéraires transfrontaliers des Pyrénées occidentales, le Grand
chemin de Pampelune par Orisson et Roncevaux. Il constitua la
base de départ de Moncey pour son offensive victorieuse en
territoire espagnol de juin 1794 à juillet 1795, puis de la
contre-offensive de Soult en direction de Pampelune en juillet 1813.
Il
subit finalement en 1814 un blocus de deux mois et demi, sans
capituler devant l’ennemi. Les deux camps retranchés de Bayonne et
Saint-Jean-Pied-de-Port, ce dernier essentiellement durant les
premières phases de la campagne, immobilisèrent pour leurs sièges
et leurs blocus des effectifs alliés importants qui contribuèrent à
rendre supportable par Soult le rapport es forces qui l’opposaient
à Wellington et lui permirent de développer sa manoeuvre de défense
mobile. Le simple fait que Wellington choisit de lancer son offensive
de 1813 par la zone côtière tandis que Moncey en 1794, puis Soult
en 1813 lancèrent leurs propres offensives à partir de
Saint-Jean-Pied-de-Port sont la démonstration que sa citadelle, au
centre du camp retranché a parfaitement assuré sa mission
stratégique de défense et de contrôle de l’axe transpyrénéen
constitué par le col de Roncevaux.
Les
rapports du XIXe siècle jugèrent que ce camp retranché fermait
parfaitement toute l’entrée du bassin de St Jean Pied de Port. Ils
concluaient qu’il était assez grand pour contenir deux corps
d’armée, soit près de cinquante mille hommes, tout en notant que
la citadelle ne pouvait quant à elle héberger qu’une garnison de
660 hommes. Ils laissèrent cependant entendre que, une fois le
blocus de Saint-Jean-Pied-de-Port réalisé, les anglo-espagnols
avaient pu déborder le camp retranché en empruntant l’axe
Saint-Michel, Caro, Aincille, Saint-Jean-le-Vieux, c’est-à-dire le
tracé de l’ancienne voie romaine. Mais ils n’explorèrent pas
les voies et moyens de renforcement du camp retranché afin
d’interdire un tel débordement. Ils passèrent également sous
silence l’incapacité des vallées de Cize et Baïgorry à
soutenir, au plan des subsistances un effectif aussi important sans
l’apport de ravitaillements extérieurs. Les combats de la
Révolution et de l’Empire autour de Saint-Jean-Pied-de-Port
démontrent bien que la valeur opérationnelle d’une place dépend
également de la capacité de la cité bâtie à ses pieds à
soutenir et prolonger son action, à garantir la sûreté de ses
habitants, artisans et commerçants. Les enseignements tirés des
combats de la Révolution et de l’Empire relancèrent dès le début
du XIXe siècle des projets de grande ambition en vue de constituer
une véritable place forte englobant la cité et la citadelle.
1
Voir planche n° 17.
2
Cf. sources manuscrites 06 à 13.
3
Cf. capitaine A. Grasset, bibliographie n° 07, capitaine Vidal de
la Blache, bibliographie N° 11 et G. Six, bibliographie n°09.
4
Cf. général J. Ansoborlo, bibliographie n° 28 et
lieutenant-colonel Strasser, bibliographie n° 45 (op. cit.).
5
Il s’agit de la crête sur laquelle fut construite ultérieurement
la redoute de Picoçoury
6
Voir planche n° 18.
7
En 1791, la châtellenie de Saint-Jean-Pied-de-Port compte 64
communes.
8
La Convention nationale succéda à l’Assemblée législative le
20 septembre 1792 et gouverna jusqu’en octobre 1795. Elle proclama
la République, condamna Louis XVI à la peine capitale, créa le
comité de Salut public en avril 1793 et envoya dans toute la France
des représentants en mission qui galvanisèrent le patriotisme du
pays.
9
Voir note n° 32.
10
Cf. sources cartographiques n°38 et 39 et source manuscrite n° 05.
11
Voir planche n° 22.
12
Voir planche n° 17.
13
Une redoute n’y fut établie qu’en 1813.
14
Cf. source cartographique n° 38.
15
Cette redoute était située sur la crête aujourd’hui appelée
Curutchamendy, immédiatement à l’ouest de la « route
Napoléon »; la carte en hachures au 1/80.000 de 1930 y
signale une ancienne redoute dénommée Ithurburia; la carte
actuelle au 1/25.000 donne le nom d’Ithurburua à une ferme située
le long de la « route Napoléon » au carrefour avec
celle provenant de la maison Marmisol.
16
La carte actuelle de l’IGN au 1/25.000 indique les vestiges d’une
redoute à la cote 319 à l’Est de la « route Napoléon »,
juste avant les maisons appelées respectivement Antonénéa et
Etcheverrigaraya, à hauteur et en face du village de Zaro.
17
La carte actuelle de l’IGN au 1/25.000 donne le nom de Cherrapo à
la cote 299 au-dessus de la route de Caro à St-Jean-Pied-de-Port où
se trouvait cette redoute dont les vestiges très intéressants ont
été détruits il y a environ vingt ans.
18
Voir planche n° 19.
20
Le général anglais Wellesley fut fait comte, puis duc de
Wellington en récompense de ses succès face aux armées
napoléoniennes en péninsule ibérique.
21
Eminence d’une altitude de 258 mètres, au Sud de la Bidassoa,
plein Est de Biriatou qui commande le gué et domine la ville
d’Irun ; un ermitage à une altitude de 225 mètres occupe la
crête militaire en dessous du sommet.
22
Voir planche n° 18.
23
Il s’agit d’une possibilité d’utilisation du cheminement
partant de l’école de Pentchetto sur la route d’Arnéguy qui
permet d’accéder à la « route Napoléon » à
proximité de la maison Etchebestia.
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