V. Description, vie et fonctionnement de la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port au XVIIIe siècle
Au-delà
de l’histoire de sa construction, les sources manuscrites
consultées permettent de restituer la vie l’organisation et le
fonctionnement de la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port à l’époque
de leur rédaction, donc de procéder à une approche thématique. Le
mémoire daté de 1685, celui de Vauban, très précis mais très
concis, se limite à en préciser les caractéristiques essentielles
assorties de quelques considérations techniques et stratégiques.
Les mémoires des autres ingénieurs
du Roy
du XVIIIe siècle1,
disponibles dans les fonds d’archives consultés, donnent des
descriptions très complètes et détaillées de la citadelle. Le
premier, qui est daté de 1718, constitue une source d’une grande
qualité puisque son auteur, M. de Salmon2,
ingénieur
ordinaire du Roy
en 1689, assuma de 1715 à 1724, les fonctions de directeur des
fortifications à Bayonne. Le rapport rédigé 1753 par Canut3,
ingénieur à Saint-Jean-Pied-de-Port, dont une copie existe dans le
fonds d’archives de la bibliothèque de l’Arsenal, est d’un
emploi plus délicat car il apparaît être une simple recopie des
mémoires de Vauban et Salmon. Les mémoires de 1770 et 17734,
vraisemblablement rédigés par Sicre de Cinq-Mars, directeur général
des fortifications des places de Guyenne et des Pyrénées en poste à
Bayonne de 1770 à 1775, qui sont insérés dans les ouvrages du
cabinet du colonel Bérard, constituent d’autres sources de grande
qualité. La connaissance que nous avons ainsi de la citadelle au
XVIIIe siècle se continue au siècle suivant, car les nombreux
projets de travaux du génie et demandes de budget annuels qui nous
sont parvenus, dont les derniers datent de 1870, sont accompagnés de
considérations sur la situation et les caractéristiques de la
place. Nous avons ainsi une connaissance précise de son organisation
défensive, de son agencement général, du détail de ses
installations comme de ses capacités militaires et logistiques et de
leur évolution à l’époque. Il est donc aisé d’en approcher et
d’en imaginer tant la vie que le fonctionnement au XVIIIe siècle.
Ces documents décrivent avec une égale précision la ville de
Saint-Jean-Pied-de-Port, montrant bien ainsi que les capacités
militaires, offensives et défensives, opérationnelles et
logistiques de l’une et l’autre sont indissociables dans l’esprit
des rédacteurs de ces rapports, donc des ingénieurs de l’époque,
comme des décideurs auxquels ils étaient adressés.
Auparavant,
il convient de replacer cette vie et ce fonctionnement dans son
cadre, donc de faire précéder leur évocation d’une description
de la citadelle telle qu’elle se présente aujourd’hui au
visiteur, et que nous savons quasi identique à ce qu’elle était
vers 1730. Cette présentation rappellera les dates, les périodes,
les responsables et les conditions de la construction de chacune de
ses parties, telles qu’ils ressortent des conclusions de l’étude
qui ont été rapportées au chapitre précédent, tant pour ce qui
concerne les fortifications que les bâtiments, et qui seront ici
rappelées.
51- Les FORTIFICATIONS et les CAPACITES DEFENSIVES de la CITADELLE
La
citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port, construite par d’Argencourt
de 1625 à 1627, constitue un exemple caractéristique de la
fortification remparée et bastionnée de forme géométrique, avec
quasiment aucun dehors, telle que la concevaient les ingénieurs
du Roy sous le règne de Louis XIII, dans la première moitié du
XVIIe siècle. Elle appartient à la double ligne de défense établie
à l’extrémité occidentale des Pyrénées, comprenant les
ouvrages d’Hendaye, Socoa, Saint-Jean-Pied-de-Port et Lourdes en
avant, Bayonne et Navarrenx en arrière, dont la double mission était
d’interdire les axes de pénétration et de constituer la base
opérationnelle rassemblant hommes et matériels en vue d’éventuelles
actions offensives.
51.1-
Caractéristiques principales5
La
citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port se présente sous une forme
barlongue, celle d’un rectangle imparfait, ceint de remparts sur
ses quatre côtés et renforcé d’un bastion, également remparé,
à chacun de ses quatre angles. Le rectangle dans lequel elle
s’inscrit, épouse la forme de l’éperon sur lequel elle est
construite. Son côté le plus petit face à la ville mesure 101
mètres (52 toises) de la pointe d’un bastion à l’autre, tandis
que le côté opposé vers l’esplanade mesure 110 mètres (56
toises). Les longs côtés sont de longueur comparable, 160 mètres
(82 toises) pour le Nord contre 162 (83 toises) pour le Sud. Les
courtines des petits côtés font 40 mètres de longueur face à la
ville et 47 face à l’esplanade. Les courtines des grands côtés
mesurent respectivement 77 mètres côté Nord, et 78 mètres côté
Sud. Elles dessinent avec leurs prolongements un quasi rectangle de
121 et 123 mètres sur 71 et 73 mètres. Les bastions ont des flancs
de 11 à 12 mètres et des faces de 30 à 42 mètres. Les escarpes
ont 11 à 12 mètres de haut. De la pointe du saillant d’une
demi-lune à l’autre, la distance est de 262 mètres.
Chacune
des demi-gorges a une longueur égale au quart de la courtine
adjacente. Les flancs des bastions, dont la longueur est à peu près
égale au quart des petits côtés, sont quasiment égaux entre eux
et perpendiculaires aux courtines. Les faces des bastions, de
longueur à peu près égale à la moitié des courtines des longs
côtés, sont bien alignées aux angles intérieurs formés par les
flancs des bastions et les courtines, selon les principes des
ingénieurs du XVIIe siècle, donnant ainsi les meilleures capacités
aux tirs de flanquement. Chaque épaulement, angle entre faces et
flancs des bastions, est équipé d’une échauguette, que l’on
devrait à cette époque plutôt dénommer guérite en raison de sa
fonction de guet. Elles sont de forme pentagonale, construites sur un
cul de lampe en saillie sur l’aplomb du mur.
On
décèle ainsi dans l’agencement des défenses l’application
stricte des principes des ingénieurs militaires du début du XVIIe
siècle, principes appliqués par Pierre d’Argencourt et dont le
Antoine de Ville se fit le théoricien. Ici, ces principes sont
adaptés aux caractéristiques du terrain montagneux: dissymétrie
des bastions par rapport à leur axe central et réduction de la
longueur de leurs flancs.
51.2-
Les courtines et les bastions
Les
courtines sont constituées d’un rempart, masse de terres damées
contenue entre deux murs de parement, dont le mur extérieur du côté
de l’attaque constitue l’escarpe. Le rempart absorbe l’impact
du boulet et continue à faire obstacle même si les boulets
parviennent à disloquer le parement. Les bastions ouvrages de
flanquement solidaires des courtines, sont de plan polygonal afin de
permettre les tirs de flanquement réciproques en évitant les angles
morts. Ils sont du type à angle droits, sans orillon, mais dans
cette citadelle, les angles sont très légèrement supérieurs à
l’angle droit pour des raisons d’adaptation à l’étroitesse de
l’éperon rocheux. En profil, ils sont remparés, c’est-à-dire
remplis de terres damées et parées d’un revêtement en
maçonnerie, comme les courtines. Tous les remparts qui constituent
les bastions, courtines et demi-lunes sont revêtus d’un parement
en maçonnerie avec un épaississement à la base, une plinthe, d’un
mètre de haut en partie basse et un cordon en partie sommitale. Les
escarpes des courtines et bastions étaient initialement bâties, en
1625-1627, en moyen appareil régulier en moellons dressés.
Certaines ont été reprises lors de la reconstruction des années
1643 à 1648, par un appareil en carreaux et boutisses. Les boutisses
à bossage, correspondent aux contreforts internes aux remparts qui
ont alors été bâtis pour étayer et consolider les remparts. Tel
est le cas des faces des bastions Saint-Michel et Saint-Jacques. Les
épaules et les saillants des quatre bastions ont tous été
construits en appareil en besace à bossages.
Les
parapets, au-dessus des cordons sommitaux, étaient à l’origine
dotés d’embrasures pour le tir des canons6.
Les courtines et les flancs des bastions les ont conservées, mais
les faces des bastions regardant vers le Nord et l’Est ont été
équipées vers 1700 de banquettes permettant le tir des canons en
barbette. Les épaules des bastions, angles des faces et des flancs,
sont pourvues de guérites au corps pentagonal couvert d’une
coupolette à contre courbes, portées en avant de l’escarpe en
surplomb par des cul-de-lampe moulurés à plusieurs assises.
Les
plans précisent les noms donnés aux bastions de la citadelle à
partir de la fin du XVIIe siècle. Les bastions s’appelaient, dans
le sens des aiguilles d’une montre: Bastion du Roy (1)7,
Bastion Saint-Jacques (2), Bastion Saint-Michel (3) et Bastion
Saint-Jean (4), appelé « Bastion
de la Reinne »
en 1689. Selon les documents cités par messieurs Hourmat et Poupel,
ils avaient des noms différents au milieu du XVIe siècle,
respectivement de Gramont (1), du Plessis (2), de Guiche (3), de
Landresse (4). Ils font sans doute référence au duc Antoine III de
Gramont (1604-1678), Lieutenant-général de Navarre et Béarn depuis
le décès en 1644 de son père Antoine II, à son fils le comte de
Guiche, à son lieutenant de Landresse et à l’architecte
Duplessis-Besançon. Les noms que ces bastions eurent lors de la
Révolution ne figurent pas dans les documents étudiés.
51.3-
Les portes
Deux
portes permettent d’accéder à la citadelle. Face à la ville, la
porte d’entrée principale, dénommée selon l’usage Porte
Royale date de la construction initiale de la citadelle en
1625-1627. Du côté opposé la seconde porte ou Porte du secours
déjà prévue dans le projet de reconstruction de Desjardins de
1645-48, ne fut réalisée qu’après l’inspection de Vauban du 6
décembre 1685, soit entre 1689 et 1700.
Les
portes extérieures étaient fermées par de lourds double vantaux,
renforcés de clous pour défier le fil des haches, doublés à
l’extérieur par les tabliers des ponts-levis, une fois ceux-ci
relevés. Elles étaient doublées du côté intérieur, à mi-chemin
du passage voûté, par une herse à barreaux ou un orgue, sorte de
herse en madriers renforcée de pièces métalliques. Enfin une
seconde arcade à doubles vantaux, ouvrant à contresens donnait
accès à l’intérieur de la citadelle.
Les
citadelles, manifestations de la puissance du Roy avaient à l’époque
de Louis XIII et de Louis XIV autant valeur symbolique que
stratégique. Comme dans toutes les citadelles royales, Vauban fit
procéder à la monumentalisation des portes pour rappeler le
prestige attaché à la personne royale et symboliser la puissance du
roi dont la citadelle est la représentation. L’encadrement des
deux portes est réalisé par des pilastres doriques en pierres de
taille à bossages en grès rouge, pierre solaire symbole du « Roi
soleil ». L’entrée de la demi-lune royale est elle-même
marquée d’un arc de triomphe, également en grès rouge. Seules
les armoiries royales manquent dans les tympans rectangulaires,
formant écus, au-dessus de chacune des deux portes. Le débat sur
les armes à y sculpter, armes de France, ou armes de Navarre, ou
armes de France et de Navarre mêlées, n’a sans doute pas permis
de déboucher sur une réalisation.
51.4-
Les demi-lunes et les corps de garde
Chacune
de ces deux portes est couverte par un dehors,
une demi-lune. La demi-lune de la porte royale date de la
construction de la citadelle, en 1625-1627. Son parement de
maçonnerie semble d’époque. Il ne paraît avoir fait l’objet
d’aucune reprise, d’aucun travail de reconstruction. Elle est de
forme symétrique par rapport à son axe avec des faces de 35 mètres
de longueur sur une base de 40 mètres. Adaptée au relief de
montagne, elle se trouve légèrement en contre bas de la courtine
qu’elle couvre. Cette demi-lune est pleine, sans abri ni passage
souterrain. Entre 1700 et 1715, une tenaille a été construite sous
le pont-levis d’entrée8,
entre les bastions encadrant la porte royale pour protéger la
maçonnerie de la base de la courtine. Elle a été remplacée au
XIXe siècle, par le mur à créneaux de tir de fusillade de 3 m de
haut encore visible, permettant de tenir sous un feu rasant de
mousqueterie toute tentative de pénétration par la rampe royale
sous la demi-lune et de protéger l’escarpe contre les tentatives
de sape.
Sur
le front opposé où est la porte
du secours9,
la demi-lune construite plus tardivement en 1728, est de plus grande
taille. La demi-lune destinée à couvrir la porte et l’ouvrage à
cornes qui devait renforcer les défenses de la citadelle sur
l’esplanade face à l’Est sur le front d’attaque, tous deux
projetés dès les travaux de rénovation de 1643-48, et recommandés
par Vauban dans son mémoire de 1685, ne furent jamais réalisés. A
leur place, un ouvrage en forme de grande demi-lune de forme
dissymétrique fut construit en 1728, selon un plan qui est une copie
des plans des demi-lunes que Vauban construisait. Ses faces mesurent
55 mètres pour l’une, 81 mètres pour l’autre sur une base de 75
mètres. Elle est revêtue d’un parement maçonné en appareil
régulier en moellons taillés. Cette demi-lune de la porte du
secours est protégée face à l’Est par un chemin couvert au delà
d’un fossé, dont la contrescarpe est également revêtue d’un
parement en maçonnerie. Elle est bien disposée contre le canon de
l’ennemi mais recouvre trop, par les prolongements de ses faces, le
volume des bastions dont elle ne peut ainsi recevoir aucun soutien
par des tirs de flanquement. Les banquettes qui y étaient aménagées
pour y installer des canons, connurent des améliorations dont la
dernière en 1860. Il s’agit donc, à proprement parler, plus d’une
lunette, ou d’une redoute d’artillerie, en forme de demi-lune « à
la manière de Vauban », que d’une véritable demi-lune. Face
à l’esplanade qui se continue quasi horizontalement, le front Est
de la citadelle, notamment sa demi-lune, est parfaitement profilé et
défilé selon les principes de base de la fortification bastionnée.
Il convient de remarquer que la tenaille demandée par Vauban entre
les deux bastions du front Est, sous le pont de la porte du secours,
n’a pas été construite lors de l’aménagement de la demi-lune
de la porte du secours par manque de crédits, ou par manque d’acuité
de la menace.
Le
corps de garde est le logement de la troupe chargée de surveiller un
point faible. Des corps de garde existaient donc dans le pavillon de
la porte royale et dans le bâtiment de la porte du secours10.
Il existait, en outre, un corps de garde avancé dans chacune des
deux demi-lunes. Leur plan comprenait habituellement deux pièces :
une grande chambre avec bat-flanc pour les soldats et une petite
réservée à l’officier, les deux avec cheminée tandis qu’en
façade un portique sur piliers abritait le factionnaire. Tel était
sans doute le cas au corps de garde avancé de la demi-lune de la
porte royale, corps de garde avancé de petite taille pour cinq
hommes, dont ne subsistent que des ruines et dont la construction
remonte probablement aux années 1625-27. Tel était le cas pour le
corps de garde avancé de la demi-lune de la porte du secours, qui
subsiste, dont le plan et l’emplacement dans le virage que le
chemin d’accès fait en franchissant la demi-lune, respecte les
critères habituels de Vauban en la matière. De plus grande taille,
environ dix mètres sur huit, il était prévu pour 12 hommes. A la
fin du XVIIIe siècle, un corps de garde existait également dans le
fossé sous la porte royale.
51.5-
Les accès
Edifiée
sur un éperon rocheux à une altitude de 233 mètres, la citadelle
domine de près de quatre-vingt mètres la cité. Le fond des fossés
est à 52 mètres au-dessus du niveau de la Nive. Ses deux grands
côtés bordent des escarpements raides qui les rendent quasiment
inaccessibles.
Une
rampe permet d’accéder à chacune des deux portes. Une rampe
pavée, la « Grande rampe pour les chevaux et les gens à
pied » conduit à la « Porte Royalle »
en venant de la ville depuis le haut de la rue Sainte-Marie,
aujourd’hui rue de la citadelle, à hauteur de la « porte
d’Haraconcia », devenue porte Saint-Jacques à la fin du
XVIIIe siècle. Une rampe en lacets, le « Chemin des
charrois », située à quelques mètres de la rampe
goudronnée actuelle, conduisait à la « Porte du secours »
du côté de l’esplanade, depuis la rue de « Scalapuria »,
l’actuel chemin de Saint-Jacques, à hauteur de la « Porte
Saint-Jacques » aujourd’hui disparue, dont l’emplacement
est marquée par une croix métallique à l’embranchement du chemin
de Saint-Jacques et du chemin de la citadelle. Au bas de la rampe, un
mur de soutènement à douze contreforts maintient les terres depuis
l’origine de la citadelle semble-t-il.
Chacune
des rampes accède, par un pont-levis à chacune des demi-lunes
correspondantes. Le pont donnant accès à la demi-lune de la porte
royale comporte une seule travée pont-levis. Celui conduisant à la
demi-lune de la porte du secours comprend quatre travées dormantes
sur piliers et une travée pont-levis. Il entre de biais par la face
de la demi-lune, fait un virage sur le terre-plein devant le corps de
garde pour se trouver face à la porte du secours, en stricte
application des principes de Vauban. Le franchissement des fossés
entre chacune des demi-lunes et chacune des deux portes, se fait par
des ponts de forme classique, comportant une partie fixe, appelée
pont dormant, qui franchit la plus grande partie du fossé par
plusieurs arches ou travées, et qui se termine par une partie
mobile, le pont-levis à une seule arche. Les ponts-levis sont du
modèle à bascule11
dont le contrepoids bascule dans un puits
de bascule
situé dans le sous-sol des bâtiments d’entrée. Ils remplacèrent,
après l’inspection de 1685, les ponts-levis à flèches et à
contrepoids d’origine, qui furent abandonnés à partir de 1680,
Vauban préférant la bascule. La partie dormante du pont de la porte
royale comporte deux travées sur piliers verticaux de facture
visiblement archaïque, datant de 1625-27, par rapport aux très
belles arches en pierres de taille, au nombre de deux et demie du
pont d’accès à la porte du secours, construit peu après 1704.
51.6-
La casemate d’artillerie antérieure
Cette
citadelle de Louis XIII a incorporé dans sa courtine Ouest, lors de
sa construction en 1625-1627, une casemate d’artillerie antérieure,
érigée au siècle précédent, vraisemblablement entre 1540 et
1550, par le roi de Navarre, Henri II d’Albret. Cette casemate
d’artillerie, dont les embrasures ont été partiellement
obstruées, s’étendait de part et d’autre de la porte royale et
au niveau juste inférieur à celle-ci. Elle se composait de deux
demi-casemates, reliées par un couloir de jonction, dont chacune a
une longueur de 13 m (Nord) ou 15 m (Sud) sur 4 m de large, les
plafonds sont voûtés, mais non à l’épreuve de la bombe, avec
une hauteur de 3 m à la clef. La casemate comprend un total de
quatre chambres de tir, de 1,6 m de large sur 1,9 de profondeur,
aménagées dans l’épaisseur du mur d’enceinte et s’ouvrant
vers l’extérieur par des embrasures à canons obstruées et
réduites à de simples fentes d’aération lors de la construction
de la citadelle vers 1625. De part et d’autre des embrasures, le
mur protégeant les chambres de tir n’a qu’un mètre d’épaisseur
environ. Le couloir de jonction des deux demi-casemates fut démoli
vers 1686-89 lors de l’aménagement du puits de la bascule du
pont-levis. La casemate unique fut alors divisée en deux
demi-casemates indépendantes. La casemate d’origine n’avait
initialement qu’un seul accès débouchant dans la demi casemate
Nord. Un accès nouveau vers la demi casemate Sud fut aménagé lors
de la construction du pont-levis à bascule. Les crapaudines, prises
dans la masse de l’encadrement en pierre, dans lesquelles entraient
les pivots des portes, existent encore ainsi que la porte avec ses
deux pivots incorporés taillés dans la masse du bois. Ils sont
visibles derrière la porte moderne.
51.7-
Les enceintes extérieures
A
la suite de l’inspection de Vauban de 1685, une enceinte de combat
extérieure fut créée autour de la citadelle, pour doubler
l’enceinte de défense constituée par les remparts des courtines
et bastions. Sur les deux grands fronts, Nord et Sud ainsi que sur le
front Ouest face à la ville, furent réalisées, grâce à l’apport
de remblais provenant de l’arasement du donjon médiéval, des
fausses brayes12,
avec deux redents13
au milieu de leurs longs côtés14.
Elles ont ainsi permis de créer l’équivalent d’un fossé, sur
une largeur d’environ six mètres, et d’un chemin couvert. Il ne
semble pas qu’elles aient été renforcées par des murs de
contrescarpe en maçonnerie. Lors de la construction de la demi-lune
Est, cette enceinte fut continuée, sur le front d’attaque face à
l’esplanade, par un véritable fossé et un véritable chemin
couvert dont les contrescarpes ont été parées de maçonnerie. En
avant de la demi-lune Est, le chemin couvert a été aménagé pour
constituer une place d’armes saillante15,
en vue de contre-attaques, où l’on peut encore distinguer les
vestiges de la banquette et des traverses qui y étaient aménagées.
Ainsi, avec ses deux demi-lunes et les redents des fausses-brayes, la
citadelle s’inscrit dans un rectangle de 262 mètres sur 124. Cet
ensemble a été entretenu régulièrement jusqu’à la fin du XIXe
siècle si bien que l’on peut encore aujourd’hui en voir des
vestiges significatifs.
Depuis
les années 1730 environ, les deux extrémités du vieux mur
d’enceinte de la ville, qui s’arrêtaient auparavant à hauteur
de l’ancienne enceinte extérieure du château à mi-pente de
l’éperon rocheux, se poursuivent jusqu’aux saillants des deux
bastions encadrant la porte royale, auxquels elles se raccordent.
Ainsi c’est à partir de 1730 que la cité et la citadelle qui
constituaient jusqu’alors, dans la continuité de l’époque
médiévale, deux entités défensives distinctes, bourg castral et
bourg civil, ont été fusionnées en un ensemble défensif unique,
destiné à constituer à proprement parler une place forte sur la
frontière face à l’Espagne. Lors de la restauration de l’enceinte
de la ville en 1833 et 1834, deux portes ont été aménagées dans
les extrémités du mur d’enceinte à proximité des saillants des
bastions afin de permettre le passage d’infanterie depuis l’entrée
principale, en vue de contre-attaques sur les fronts Nord et Sud
entre les courtines et les fausses brayes. A la même date, deux
batteries ont été aménagées, l’une entre la porte Saint-Jacques
et le bastion du roi, l’autre en dessous de la porte Saint-Jacques
dans l’angle droit que fait la muraille d’enceinte. Elles
permettent de prendre de flanc par des tirs de canon le glacis en
contrebas de la citadelle.
Aucun
ouvrage additif ne fut greffé sur cette citadelle, ni aucune
modification importante ne fut apportée après les travaux effectués
dans les années 1730. Ceux du XIXe siècle ne furent que de
restauration. La seule différence pour le visiteur d’aujourd’hui
est que la citadelle était, au-delà de son enceinte de combat,
entourée d’un glacis aplani et dépourvu de tout arbre et de toute
végétation, notamment sur les versants en pente sur une profondeur
de 200 mètres environ pour permettre l’observation et donner leur
pleine efficacité aux tirs rasants des canons, fusils et mousquets,
placés tant sur les remparts que sur le chemin couvert et les
fausses-brayes. Les arbres actuels cachent malencontreusement les
courtines et les bastions, mais surtout ils ne respectent pas le
concept du glacis de tir, réduisant ainsi l’apport pédagogique de
la citadelle. Un compromis serait aujourd’hui à rechercher pour
redonner au site de la citadelle une plus grande véracité. Ainsi,
la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port a conservé jusqu’à
aujourd’hui toutes les caractéristiques d’une citadelle
bastionnée construite par les ingénieurs militaires de Louis XIII,
selon les concepts du début du XVIIe siècle adaptés au relief
montagneux. En effet, citadelle de plaine pour celui qui l’aborde
par l’Est, auquel elle apparaît parfaitement défilée, elle se
présente comme une citadelle de montagne sur les trois fronts qui
dominent la région environnante, à une distance des autres
montagnes supérieure à la portée des canons de l’époque de sa
construction. Cette citadelle fut juste complétée sur son front
d’attaque au début du XVIIIe siècle, par des dehors « à la
manière de Vauban », qui respectent cependant l’esprit de
ses constructeurs initiaux tout en illustrant avec leur système de
circulation souterrain, l’évolution de la tactique défensive à
l’époque de Vauban.
52- Les CASERNEMENTS de la CITADELLE16
Les
casernements internes à la citadelle ont été construits en trois
phases. La première au début du XVIIe siècle, de 1625 à 1627,
concerne les bâtiments 12, 14, 15, 16 et 17, la deuxième vers le
milieu du siècle, de 1643 à 1648 environ, pour les bâtiments 25,
26, 18 et 24, la troisième en fin de siècle, de 1686 à 1700 après
l’inspection de Vauban de 1685, pour les bâtiments 10, 11, 19, 20,
21 et 22, le dernier construit. Vauban prévoyait également des
changements d’affectation de bâtiments, ce qui fut réalisé. A
partir de 1700, aucune construction ou reconstruction ne fut faite.
Les bâtiments existants furent seulement maintenus en état et
rénovés quand nécessaire. Ils connurent quelques changements
d’affectation sans importance. L’hôpital mis à part, comme ceci
était alors la norme, aucun casernement extérieur n’existait dans
la ville : le mémoire de 1718 précise que les bâtiments
appartenant au Roy sont tous dans la citadelle.
Longtemps
les soldats ont logé en ville, ‘en garni’ chez l’habitant, la
ville s’appelant de ce fait « ville de garnison ». A
partir de Richelieu, et sous Louvois qui généralisa la formule, les
soldats furent logés dans des casernes, en principe érigées à
l’intérieur des citadelles. Les casernes construites sous Vauban,
sont constituées de modules indépendants juxtaposés, alignés le
long des remparts. Des pavillons sont également prévus dans les
citadelles pour les officiers célibataires. Chaque logement comprend
une chambre pour l’officier, une pour son valet et des latrines
individuelles. Chaque pavillon ou module dispose de son entrée et de
son escalier interne. La citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port
présente bien ces caractéristiques.
52.1-
Descriptif général
Au
début du XVIIe siècle, la citadelle comprenait trois casernes
alignées le long des remparts, des habitations pour une quinzaine
d’officiers et un aumônier, une chapelle, un arsenal, deux
magasins à poudre, des magasins à vivres, un puits et, bientôt une
citerne.
Ces
casernements comprennent d’Ouest en Est selon ce même mémoire de
Salmon daté de 1718 :
-
le pavillon central (12) au-dessus de la porte royale, au toit d’ardoises, abritant un corps de garde et quelques logements de soldats, couronné d’un lanternon en forme de fin clocheton galbé, supporté par huit colonnettes, au toit recouvert d’écailles d’ardoises17 ; il abrite une cloche, d’environ 1 mètre de haut pour 70 centimètres de diamètre, gravée de fleurs de lys en relief, donnée en 1627 à la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port par le roi Louis XIII, comme l’indiquent ses inscriptions également en relief, fondues dans la masse ; elle est ornée en outre d’une scène montrant le Christ crucifié au pied duquel se tiennent sa mère et l’apôtre Jean ;
-
deux bâtiments (14 & 15) en aile situés de part et d’autre de ce pavillon le long de la courtine, aux toits de tuile creuses, servant de logements aux officiers avant l’inspection de Vauban. A la suite de celle-ci, dans l’aile Nord (14) fut aménagée une chapelle et, plus tard à l’étage au-dessus une salle d’armes où était gardé l’armement d’infanterie, puis une salle d’instruction, tandis que dans l’aile Sud était aménagée une cantine (15) ; l’entrée de la chapelle était à l’extrémité Nord du bâtiment, l’autel avec sa sainte table au Sud et une sacristie dans la pièce du coin Sud-ouest18 ;
-
de part et d’autre de ces deux ailes de bâtiment, se trouvent les magasins à poudre entourés de leurs enceintes de confinement: magasin à poudre du bastion Saint-Jean (16) et magasin à poudre du bastion du Roy (17), placés face à la ville qu’ils dominaient, donc à l’abri des coups de l’époque ;
-
juste au delà de la porte royale dans la cour, le puits (13) datant du château médiéval, avec une grande roue en bois « à écureuil » pour remonter les seaux d’eau et un réservoir attenant ;
-
au-delà de la porte royale deux bâtiments de part et d’autre de l’axe principal :
-
au Nord le pavillon du Lieutenant du Roy (10) et un logement d’officiers (26) adossé à l’arrière du pavillon du Lieutenant du Roy,
-
au Sud, le pavillon du Major (11) et un logement d’officiers (25) adossé à l’arrière du pavillon du Major ;
-
le long de la courtine Nord, un ensemble de deux casernes accolées :
-
la vieille caserne (18) avec des logements de soldats et, ultérieurement, quelques logements d’officiers, en nombre variable selon les époques,
-
la caserne neuve, adossée à la précédente, avec des logements de soldats et, ultérieurement aussi, quelques logements d’officiers, en nombre variable selon les époques ; elles est composée de la juxtaposition de plusieurs modules, constitués autour d’un escalier double à rampes inversées desservant, à chaque étage, deux ensembles de quatre chambres groupées deux à deux de part et d’autre du couloir central ;
-
le long de la courtine Est, un ensemble de deux bâtiments accolés :
-
la vieille caserne (24) avec des logements de soldats, dont la galerie sur piliers en bois, à la fois caractéristique et esthétique, domine la courtine Est,
-
l’arsenal (20 & 21) dont les extrémités comportent des logements de soldats, adossé à cette caserne, donne directement sur la place d’armes placée au centre de la citadelle ; la façade est ornée de grandes arcatures et les fenêtres ont des frontons en triangle ou en arcs de cercle ; dans l’arsenal sont stockés au rez-de-chaussée, canons et affûts, tandis que l’armement léger est gardé au premier étage ; des ateliers de menuiserie, de bourrellerie, et une forge pour les charrons permettent l’entretien des matériels ; ils étaient sans doute installés dans les pièces d’extrémité où se trouve également un four, sans doute le four de boulangerie d’origine ;
-
au centre, la place d’armes de la citadelle s’étendant jusqu’à la banquette d’artillerie le long du parapet de la courtine sud où pouvait être déployée une batterie de canons battant la grande route d’Espagne par Orisson située à une distance de 1 000 à 1 500 mètres ;
-
le pavillon (22) situé au-dessus de la porte de secours, débordant de part et d’autre le long de la courtine Est, abritait un corps de garde et quelques logements de soldats et, à son extrémité Nord, une prison militaire ; ce pavillon se présente de l’extérieur de la citadelle comme un bâtiment rectangulaire massif, en forme de « Tour-porte ».
Ces
casernements internes à la citadelle ont été construits en trois
phases :
-
Les plus anciennement bâtis sont le pavillon (12) de la porte royale ainsi que les deux bâtiments (14 & 15) dominant la courtine Ouest, qui l’encadrent et les deux magasins à poudre (16 & 17) ; leur construction peut être datée des années 1625-1627 ; ces casernements furent modifiés entre 1686 et 1700 quand la porte royale fut réaménagée et les deux bâtiments (14 & 15) élargis, provoquant la reconstruction de la façade donnant sur la cour intérieure ;
-
La deuxième phase correspond à la construction de « la vieille caserne basse », vers 1648 selon le rapport de 1770 ce qui est confirmé par la présente étude, dont subsistent les bâtiments (18, 24, 25 & 26) ;
-
La troisième phase comprend l’arsenal (20 & 21), la caserne (19), le pavillon de la porte du secours (22) et les deux pavillons du lieutenant du roi et du major (10 & 11) qui furent construits après l’inspection de Vauban et en application de son projet, entre 1686 et 1700, en fait tous à l’exception du bâtiment (22) avant 1689. Seuls les deux autres pavillons qu’il avait prévus le long de la courtine Sud n’ont pas été réalisés.
Tous
ces casernements existent aujourd’hui et sont dans un état
d’excellente conservation. Ceux qui ont doublé en largeur à la
fin du XVIIe siècle comportent une dissymétrie latérale bien
visible. Ils sont divisés intérieurement sur toute leur longueur
par des murs de refend qui n’ont été percés que lors de la
transformation de la citadelle en collège dans les années 1980.
Leurs façades donnant sur la cour intérieure sont toutes
louis-quatorziennes avec leurs doubles bandeaux en grès rouge
marquant chaque étage. Leurs façades donnant vers l’extérieur de
la citadelle ont conservé leur style Louis XIII d’origine. Leur
partie sommitale est cependant ornée d’un bandeau en grès rouge
qui suggère une surélévation des bâtiments lors des travaux de
1686-1700. Les fenêtres du deuxième étage des façades donnant sur
l’intérieur de la citadelle, ainsi que les fenêtres de la
Tour-porte du secours sont alternativement surmontées de
frontons triangulaires et curvilignes. Les pierres des encadrements
et des bandeaux sont en grès rouge, provenant des carrières du Jara
et de l’Arradoy. Les fenêtres des autres étages et les fenêtres
donnant sur l’extérieur sont rectangulaires.
La
superficie des bâtiments donnée par les mémoires du XVIIe siècle
est la suivante :
BATIMENT
|
SUPERFICIE
en
toises2
|
SUPERFICIE
en
mètres2
|
Pavillon
d’entrée et bâtiments en ailes accolés (12, 14 & 15)
Casernes
neuve et vieille accolées (18 &19)
Vieille
caserne derrière l’arsenal (24)
Arsenal
(20 & 21)
Pavillon
du Lt du roi et logement officiers accolé (10 & 26)
Pavillon
du Major et logement officiers accolé (11 & 25)
Magasins
à poudre (16 & 17)
Tour
porte du secours (22)
|
112
182
84
98
76
76
80
44
|
449
728
336
392
304
304
318
176
|
TOTAL
|
752
|
3010
|
52.2-
Capacités de logement
Elles
sont indiquées dans le détail par le mémoire de Salmon de 1718
déjà cité. Le logement du Lieutenant du Roy comprend 12 pièces et
celui du major comprend 9 pièces. Les logements des officiers dans
la citadelle consistent en un total de 13 chambres et 3 cabinets,
dont le logement de l’aumônier. Ils incluent, en plus de cinq
pièces dans les bâtiments (25 et 26), 6 chambres dans la caserne
neuve (19) et 2 dans la vieille caserne (18) où se trouvent
également 2 chambres et 1 cabinet servant pour « l’aubergisse »
des officiers. Le logement des soldats est assuré dans les 51
chambres répertoriées dans les casernes (18), (19) et (24), les
extrémités de l’arsenal (20/21) et le pavillon (22). Ces 51
chambres peuvent accueillir 179 lits, ce qui permet de loger 537
soldats sur la base de trois soldats dans chaque lit19.
La garde d’artillerie, c’est-à-dire les ouvriers civils en
charge du service des canons, a son logement au-dessus du corps de
garde de la porte royale (12), qui consiste en 2 chambres et un petit
grenier, logement transféré plus tard dans une extrémité du
bâtiment de l’arsenal. Quant au corps de garde de la demi-lune de
la porte de secours, il est prévu pour douze hommes et celui de la
demi-lune de la porte royale pour cinq hommes. En 1718, l’effectif
de la garnison était donc de quinze officiers, dont le lieutenant du
Roy et le major, et cinq cent trente sept soldats, auxquels
s’ajoutaient les servants des canons d’artillerie.
Le
mémoire de M. de Salmon de 1718 note l’existence additionnelle, en
temps de paix comme de guerre, d’une milice formée par la
population locale, capable de suppléer et de compléter la garnison,
notamment pour s’opposer à toute incursion des armées espagnoles.
La ville de Saint-Jean-Pied-de-Port, dont la population s’élevait
alors à cinq cents habitants, mettait sur pied une compagnie de cent
hommes placée aux ordres du maire et des quatre jurats de la cité.
En outre, l’ensemble des vingt-cinq paroisses du Pays de Cize
mettait sur pied quatorze compagnies de cinquante hommes chacune. Ce
total de huit cents hommes, articulé en quinze compagnies20,
était placé aux ordres du « châtelain
du Pays »
dont l’identité n’est pas précisée par le mémoire qui indique
seulement qu’il « autrefois
était commandant du château qui était à l’endroit où la
citadelle et située et commandait aussi dans toute la
chastellenie ».
Les rapports et mémoires, autres que celui de M. de Salmon, ne
mentionnent pas l’existence de cette milice.
En
1770, les effectifs de la garnison étaient inchangés, mais le
nombre des officiers a été majoré pour atteindre le chiffre de 26.
La place était alors aux ordres d’un gouverneur dont la fonction
se surajoutait aux deux autorités précédemment existantes qui ont
subsisté: le lieutenant du Roy et le major. La fonction de
gouverneur semble avoir été honorifique et souvent assumée par M.
de Gramont, également gouverneur de Bayonne. En fait la permanence
du commandement était assurée sur place par le « Lieutenant
du Roy ». Celui-ci disposait alors d’un appartement de 4
chambres et 4 cabinets dans la vieille caserne (18), car le pavillon
(10) était devenu le logement du Gouverneur, qui comprenait alors 6
chambres. Le pavillon (11) était resté, avec 4 chambres et 4
cabinets, le logement du major et de son aide. Les officiers
comprenaient l’encadrement des unités d’infanterie, ainsi qu’un
aumônier, un chirurgien major, un apothicaire, un officier du génie,
un officier d’artillerie et un commissaire de guerre. Ils étaient
alors logés dans 26 chambres réparties comme suit : 6 chambres
pour officiers dans chacun des bâtiments (25) et (26), 3 chambres
pour officiers dans la caserne (19), 11 chambres pour officiers dans
la caserne (18). A cette date, grâce à l’utilisation de quelques
chambres supplémentaires dans les bâtiments (15) et (22), ce qui
portait le nombre de chambres à 54, la capacité en logements pour
soldats restait de 537. Cet effectif permettait la mise sur pied de
neuf compagnies d’infanterie, ce que selon le rédacteur du
mémoire, Mr le Maréchal de Vauban
estimait suffisant pour la défense de la place. Il n’y avait point
de caserne pour la cavalerie, mais les plans indiquent deux écuries,
respectivement à sept et à quatre stalles dans les pavillons du
Lieutenant du Roy et du Major, pour les chevaux des
officiers et des courriers.
Avec
la transformation en casernes des bâtiments (12), (15) et (22), les
capacités de logement de la citadelle crûrent à partir du projet
de 1773, qui les chiffre, hors les pavillons officiers, à 4
officiers et 660 hommes, chiffres confirmés par le rapport de 1830
qui en donne la répartition suivante : 78 dans le bâtiment
(24), 6 dans le bâtiment (22), 252 dans le bâtiment (19), 170 dans
le bâtiment (18), 48 dans le bâtiment (12) ainsi que dans le
bâtiment (15), soit 660 au total. En 1776, le bâtiment au sud de la
porte royale abrite au rez-de-chaussée la cantine et au 1er
étage le logement de la garde d’artillerie.
En
1834, cette capacité fut ramenée à 11 officiers et 600 hommes, et
ceci en incluant le bâtiment à restaurer, prévu pour 76 hommes,
récemment acquis rue de la citadelle juste avant la porte
Saint-Jacques. En 1866, l’effectif de la place fut ramené à 380
hommes pour une capacité des bâtiments de 404 hommes. Sans doute,
les conditions de logement réglementaires s’étaient-elles
améliorées entretemps en application du règlement de 1824, qui
prévoyait l’attribution à chaque soldat d’un lit individuel
métallique sur châlit. Le règlement de 1856 prescrivit que la
contenance des chambres serait désormais réglée pour un volume
d’air de 12 m3 par homme. En revanche, les besoins en
défense avaient crû. En 1870, en effet, l’armement de la
citadelle en temps de guerre fut fixé à 1 200 hommes, comme
l’indique le projet du génie de cette date.
Les
courriers adressés au secrétariat d’État par le « Lieutenant
du Roy », M. d’Armendaritz et le major Dujac, dans les
années 1684 à 1686, donc à l’époque de l’inspection de Vauban
traitent essentiellement de problèmes de discipline, notamment de
punitions de prison infligées à des officiers pour « congé
outrepassé » ou « mauvais traitement à la femme
d’un bourgeois ». Ils nous apprennent qu’à cette date
des compagnies des régiments de Normandie et de Picardie
appartenaient à la garnison.
52.3-
La chapelle
La
chapelle, prévue par Vauban comme il le fit dans toutes les places
du royaume, fut aménagée entre 1686 et 1689 dans le bâtiment (14).
Le culte catholique étant en effet religion d’État, les soldats
étaient tenus de participer aux offices religieux. Ses dimensions
étaient de 13,5 mètres sur 7,5 mètres environ, avec une hauteur
sous plafond de six mètres, avec une tribune sur un tiers de la
longueur. La façade louis quatorzième du bâtiment construite
alors, est percée de deux fenêtres rectangulaires monumentales, de
1,2 m de large sur 2,4 m de haut, à partie sommitale en demi cintre
et d’une troisième de forme ronde d’oculus de 1,5 m de diamètre,
au-dessus de la porte. Celle-ci d’un mètre et demi de large à
double battant, encadrée de pilastres en grès rouge, est surmontée
d’un linteau gravé d’une croix qui fut martelée à la
Révolution, quand la chapelle devint une écurie. Le plan du sieur
Masse de 1700 indique l’emplacement de l’autel et de la table
sainte ainsi que l’existence d’un escalier d’accès à la
tribune et d’une pièce à usage de sacristie. Le lanternon du
pavillon de la porte royale qui constituait de fait le clocher de la
chapelle dominant à près de vingt mètres, portant la cloche
fleurdelisée gravée d’une scène de la Passion du Christ, pouvait
dès lors prendre le nom italien de « campanile ».
53- Les SOUTERRAINS de la CITADELLE
Les
souterrains sont de deux sortes: passages souterrains permettant à
la garnison d’effectuer des mouvements entre la citadelle et les
dehors d’une part, abris souterrains permettant à la garnison de
se mettre à l’abri des bombardements d’autre part. A
l’exception de l’ancienne casemate d’artillerie et du passage
souterrain permettant d’accéder à la poterne placée sous la
porte royale, ils sont tous postérieurs à l’inspection de Vauban.
53.1-
Les passages souterrains : caponnières de liaison et gaines de
circulation
L’ensemble
des ces gaines de circulation et caponnières de liaison permet
d’assurer en toute sécurité la communication entre le corps de la
citadelle d’une part, les dehors, le chemin couvert et la place
d’armes extérieure d’autre part. Deux passages souterrains, sur
les petits fronts, permettent d’accéder, depuis les bâtiments
(12) et (22), situés respectivement au-dessus de la porte royale et
de la porte du secours, par des escaliers empruntant les puits des
ponts-levis, à des poternes situées au pied des courtines en leur
milieu, au niveau des fossés, sous les ponts-levis. On peut ainsi
faire procéder à des contre-attaques dans les fossés par des
éléments d’infanterie fournis par la garnison. Le premier de ces
deux passages sous la porte royale et la poterne correspondante
semble avoir été aménagé lors des travaux effectués dans la
citadelle, au cours des années 1643-48. Le passage et la poterne de
la porte du secours ont été aménagés lors de la construction de
cette porte du secours et de la Tour-porte qui la défend, à
la suite des travaux commandés par Vauban et exécutés par Mr Ferry
entre 1686 et 1689.
Du
côté de la porte du secours21,
la garnison peut en outre communiquer tant avec la demi-lune qu’avec
la place d’armes située à son Est par un ensemble de caponnières
de circulation. De la poterne située sous le pont-levis, deux portes
latérales permettent de déboucher dans le fossé. De cette poterne
une caponnière, sorte de galerie construite à travers les piliers
du pont, permet d’atteindre la demi-lune. Elle se continue sous la
demi-lune par un souterrain qui permet de déboucher, par une rampe
en pente montante, sur le haut de la demi-lune derrière le corps de
garde. Une autre caponnière de liaison, aménagée sous les piliers
du pont reliant la demi-lune au glacis extérieur, permet de
déboucher dans le fossé en avant de la demi-lune. De ce fossé
l’accès à la place d’armes est assuré par un ensemble de deux
escaliers situés dans la contrescarpe, constituant ce que l’on
nomme un « un
double pas-de-souris divergent ».
Trois portes, enfin sont aménagées dans la contrescarpe du chemin
couvert, la première dans le prolongement de la caponnière sous le
pont, les deux autres au pied du pas-de-porte d’accès à la place
d’armes. Elles étaient les entrées des galeries de contre-mines
aménagées dans la contrescarpe, sous le chemin couvert, pour
protéger l’extrémité Est de la citadelle, mais elles
constituaient aussi des gaines de circulation qui prolongeaient les
caponnières permettant l’accès à la place d’armes sans avoir à
cheminer dans le fossé. Ces caponnières de liaison ont été
construites en même temps que la demi-lune Est vers 1728. Cet
ensemble constitué par la demi-lune, ses abris et ses accès
souterrains, les caponnières de liaison, le double pas-de-souris
divergent accédant à la place d’armes, les galeries de
contre-mines, est, bien que de vingt ans postérieur à sa mort, en
tous points exemplaire des constructions de Vauban. Très bien
conservé, il constitue aujourd’hui un excellent outil pédagogique,
y compris avec l’erreur du mauvais flanquement de la demi-lune par
les bastions encadrant, du premier système de Vauban et de
l’évolution qu’il marquait par rapport aux autres parties de la
citadelle, oeuvre de ses prédécesseurs.
Les
caponnières de circulation, protégées latéralement par des murs à
créneaux de fusillade et couvertes comme nous les observons
aujourd’hui, sont des reconstructions du XIXe siècle datant sans
doute des travaux réalisés entre 1831 et 1834. A l’origine, vers
1728, elles étaient selon toute vraisemblance non couvertes et
protégées latéralement par des talus en terre damée parés
intérieurement de murets maçonnés encastrés dans les saignées
visibles dans les piliers des ponts.
Le
mémoire de 1770 regrette la non-existence d’autres sorties sur les
longs côtés de la citadelle pour accéder aux chemins couverts
aménagés dans les fausses brayes, ce qui aurait multiplié les
possibilités de manoeuvres et de réactions offensives par la
garnison en cas d’attaque de la citadelle.
53.2-
Les abris souterrains
Leur
grande importance est soulignée dans les mémoires en raison de la
vulnérabilité des casernements aux tirs d’artillerie en temps de
guerre. Les bâtiments n’étant pas protégés par les remparts de
la citadelle, comme cela fut le cas dans les citadelles construites
postérieurement, et leurs murs n’étant pas à l’épreuve du
canon auquel ils étaient exposés, la garnison devait en cas
d’attaque se réfugier d’avance dans les souterrains, dont
l’importance conditionnait donc la capacité de résistance de la
place.
Le
mémoire de 1718 en donne un descriptif complet : les
souterrains de la citadelle sont des caves voûtées, en majorité à
l’épreuve de la bombe22,
arme apparue au XVIIe siècle. Ces caves sont situées en sous-sol
des casernements où l’on descend par des degrés en pierre de
taille. Les bâtiments, vestiges de la vieille caserne (18, 24, 25 &
26) n’en comprennent pas. Celles situées sous les bâtiments de la
courtine Ouest (14 & 15) ne sont pas à l’épreuve de la bombe,
arme n’existant pas encore lors de la construction des casemates
d’artillerie. En bref, les seuls véritables abris souterrains
n’existent que sous les bâtiments construits entre 1686 et 1689
par François Ferry, après l’inspection de Vauban. Leur aération
est assurée par des soupiraux placés le long des façades au ras du
sol et donnant sur la place d’armes intérieure. Le nombre total
des abris souterrains disponibles est de seize en 1718:
-
Deux souterrains, derrière le revêtement de la courtine entre les
bastions (1 et 4), l’un au-dessous de la chapelle (14), clair et
propre pour servir d’hôpital de guerre pour les blessés, l’autre
au-dessous de la cantine (15), clair et propre et capable de contenir
le vin nécessaire à la garnison, de 9 toises de longueur chacun sur
12 pieds et demi de largeur et 9 pieds de hauteur sous la clef de
voûte. Leur aération est assurée par les fentes aménagées lors
de l’obturation des embrasures à canons. Ces deux souterrains, qui
se situent de part et d’autre du puits du pont-levis de la porte
royale, sont, en effet, les anciennes casemates d’artillerie,
prévues pour quatre canons, appartenant à une première rénovation
du château fort médiéval en ruines. Ils ne sont pas à l’épreuve
de la bombe n’ayant environ que 2 pieds d’épaisseur à la clef.
-
Trois souterrains au-dessous de l’arsenal (20/21): deux de 7 toises
de longueur chacun sur 16 pieds de largeur et 12 pieds de hauteur, et
un transversal plus petit, entre les deux précédents, lequel a 16
pieds et demi de longueur sur 9 pieds et demi de largeur et 12 pieds
de hauteur, correspondant au passage en plein cintre menant à la
porte du secours. Les grands sont clairs, le petit est obscur, et
tous les trois sont capables de contenir 225 hommes. Tous ces
souterrains peuvent être regardés à l’épreuve de la bombe ayant
trois pieds d’épaisseur à la clef. En 1770, un grand four à pain
a été aménagé dans l’abri souterrain Nord, réduisant d’autant
la capacité en abris.
-
Sept souterrains sous le corps de caserne (19), ayant au total une
longueur de 18 toises 4 pieds sur 16 pieds de largeur et 12 pieds de
hauteur. En 1770, le nombre des abris est réduit à 3, car les deux
souterrains Ouest ont été convertis en citerne à eau23,
en épaississant leurs parois. Les cinq suivants ont été remaniés
pour n’en plus faire que trois qui sont donnés comme clairs et
propres et capables de contenir respectivement: 75 hommes, 75 hommes
et 36 hommes. Tous ces souterrains peuvent être regardés à
l’épreuve de la bombe ayant trois pieds d’épaisseur à la clef.
-
Deux souterrains en plein cintre, clairs et propres, sous le pavillon
(10) du lieutenant du Roy, qui servent à son usage, l’un de 9
pieds et demi de longueur, l’autre de 12 pieds et demi sur 12 pieds
de largeur et 10 pieds de hauteur sous la clef. Ces souterrains
peuvent être regardés à l’épreuve de la bombe ayant trois pieds
d’épaisseur à la clef.
-
Deux souterrains semblables sous le pavillon du major (11) qui
servent aussi à son usage.
En
bref, tous les bâtiments autres que la vieille caserne sont dotés
de caves ayant valeur d’abris souterrains. Leur capacité totale
est donc de 411 hommes en 1770, ce qui est insuffisant pour la
garnison. Mais en extrapolant ces chiffres, on s’aperçoit qu’ils
suffisaient, avant l’aménagement de la citerne demandée par
Vauban, dont Sicre de Cinq-Mars, l’auteur du mémoire de 1770,
conteste d’ailleurs l’utilité, à une garnison chiffrée à 537
hommes.
Un
dernier souterrain existe sous la demi-lune de la porte du secours
(8), souterrain en plein cintre, obscur et ne recevant de jour que
par la porte d’entrée, de 7 toises 3 pieds de longueur sur 2
toises 2 pieds de largeur et 1 toise 4 pieds et demi de hauteur sous
la clef. Un entrepôt de 7 toises 3 pieds de longueur, 1 toise de
largeur et 1 toise deux pieds de hauteur sous la clef lui est
contiguë. Les dimensions données par le rapport de 1770, légèrement
supérieures, s’avèrent erronées. Celles données par le schéma
de la planche 13, réalisé à partir de la source cartographique n°
30, sont confirmées par la visite des lieux. Ces souterrains sont
aussi à l’épreuve de la bombe ayant une masse de terre au dessus
de l’extrados de leur voûte qui vraisemblablement est de trois
pieds d’épaisseur à la clef. La capacité de l’abri, qui est de
150 hommes, semble être considérée comme l’effectif nécessaire
à la défense de la demi-lune Est. En ajoutant cette capacité à
celle des abris internes de la citadelle, la capacité totale des
abris, de 560 environ alors, reste insuffisante à une garnison
portée à 660 hommes à la fin du siècle.
54- L’ARMEMENT de la CITADELLE
Les
mémoires des ingénieurs du roi puis les rapports des officiers du
génie, complétés par les plans et croquis qui y sont joints,
renseignent avec précision sur l’armement de la citadelle.
54.1-
Canons
Le
plan de 1700 indique une vingtaine d’emplacements de canons le long
des parapets dont deux dans chaque flanc de bastion. Salmon, dans son
mémoire de 1718, rapporte la présence, dans la citadelle, de 19
pièces de canon, tant de fonte que de fer, qui sont sur le ventre au
bout de la place d’armes contre l’arsenal, dont le détail est :
-
12 canons de fonte: 2 pièces de 24 livres, 4 pièces de 16, 4 pièces de 8 et 2 pièces de 4 ;
-
7 canons de fer: 3 pièces de 8 livres et 4 pièces de 4.
Ces
canons, en fer ou en fonte, constituent bien l’armement de la
citadelle et non une réserve destinée à une éventuelle armée de
campagne. En effet, les canons de campagne, qui devaient être plus
légers et maniables, étaient fabriqués en bronze et munis d’anses
de manœuvre coulées dans la masse.
Le
même mémoire dénombre 17 369 boulets en pile tant sur la place
d’armes que dans les bastions, qui se répartissent en : 6 509
du calibre de 24, 6 014 du calibre de 16, 4 762 du calibre de 12, 84
du calibre de 8, mais aucun boulet de 4. Les canons de ce calibre
étaient sans doute uniquement chargés à mitraille et non à
boulets.
A
la même date, l’inventaire comprend en outre 60 bombes.
En
1866, l’armement de la place est fixé à 28 bouches à feu, puis à
32 bouches à feu en 1870, chiffre confirmé en 1873.
54.2-
Arsenal
L’arsenal,
dont le mémoire de Vauban de 1685 regrette l’absence, fut
construit entre 1686 et 1689 par François Ferry comme l’indique le
plan tracé par Masse et daté de cette année, confirmé par le plan
de 1700 et par le mémoire de 1718 qui en donne une description
détaillée ainsi que l’inventaire.
Le
bâtiment de l’arsenal (20 & 21) est adossé à la vieille
caserne Est. Il consiste au rez-de-chaussée en deux grandes pièces
de 7 toises de longueur chacune sur 3 toises de largeur. La première
(20), abrite neuf affûts de canon : 1 pour une pièce de 24
livres, 2 pour deux pièces de 12 et 2 pour deux pièces de 8. Dans
la seconde (21), se trouvent diverses pièces détachées et autres
effets d’artillerie ainsi que du plomb. L’étage au-dessus de ces
deux pièces (20 & 21), est une grande salle d’armes qui occupe
toute la longueur, soit 16 toises 3 pieds sur 18 pieds de largeur.
Garnie de râteliers tout autour, elle contient de l’armement
d’infanterie : 425 fusils, 119 carabines et 100 piques.
Le
mémoire de 1770 indique que la salle d’armes aménagée alors
au-dessus de la chapelle pouvait contenir 1 100 fusils. Concernant
l’arsenal, il précise qu’il est divisé en deux parties au
rez-de-chaussée par le passage conduisant à la porte du secours. Il
donne aux deux grandes pièces qui le composent, des dimensions plus
petites : 5 toises et 4 pouces de longueur pour l’une et 6
toises 4 pieds et 4 pouces pour l’autre. Seule la première (20)
sert alors à l’artillerie, l’autre (21) contient des vivres:
lard, boeuf salé, morue salée, fromage, beurre, chandelle etc.
L’étage au-dessus, précédemment salle d’armes, sert alors de
grenier pour blé, farine, légumes, riz, etc., dont il peut contenir
2.900 sacs, tandis que l’étage supérieur constitue un autre
grenier, de même grandeur que le précédent, réservé aux mèches,
cordes, ficelles, sacs à terre, et effets légers de grand volume.
Ce
mémoire de 1770 souligne que cette quantité de vivres « est
fort au-dessus de celle qui est nécessaire pour une place de cette
espèce, suivant la supposition de M. le Mal de Vauban qui dit dans
son instruction pour la défense que, quelque petite que puisse être
une place, on doit toujours compter sur un mois de tranchée ouvert »
(d’autonomie). En 1841, la citadelle dispose de 113 jours
d’approvisionnements pour 600 hommes.
54.3-
Magasins à poudre
Le
mémoire de 1718, confirmé par celui de 1770, décrit deux petits
magasins à peu près égaux, cotés (16 et 17), qui n’ont chacun
que 3 toises de longueur sur 2 toises de largeur et 2 toises de
hauteur sous la clef de voûte (6 m x 4 m et 4,20 m de hauteur) ne
contenant alors que 8.960 livres de poudre mais ayant une contenance
de 20 000 livres chacun, soit 40 000 livres de poudre au total,
« poudre enchappée et engerbée jusqu’à la clef, ce qui
est plus que suffisant pour la défense d’une pareille place »
suivant l’estimation de M. de Vauban. Le rédacteur note que ces
magasins, voûtés en tiers point à l’épreuve de la bombe, sont
sujets à l’humidité car trop proches des égouts des toits des
bâtiments, dont la distance n’est que de 4 pieds. Il faut noter
que les murs latéraux ne sont pas renforcés de contreforts comme
dans les magasins à poudre construits postérieurement par Vauban.
Les toits en tuiles résultent d’une restauration qui fit
disparaître les dalles de pierre et l’épaisse couche de terre qui
en formaient la toiture d’origine. La poudre y était conservée
dans des tonneaux en bois engerbés sur deux étages en planches de
bois, dont le niveau inférieur était isolé du sol par des plots en
pierre pour les préserver de l’humidité. Des ouvertures en forme
de meurtrières en assuraient la ventilation. Par mesure de sécurité,
le fer y était proscrit ; les gonds et serrures étaient
confectionnés en bronze.
Le
mémoire de 1770 nous apprend que la citadelle, en 1721, après la
guerre de 1719, contenait 67 800 livres de poudre dont une partie
était stockée dans un souterrain sous la caserne (19). Le rapport
de 1834 donne, à chacun des magasins, une capacité de 132 barils
soit 13 800 kg de poudre. En y ajoutant la capacité du souterrain de
l’arsenal dont la superficie de 400 m2 permet de stocker
27 000 kg de poudre, le stock alors possible dans la citadelle est de
54 500 kg.
Les
murs de confinement, liés aux impératifs de sécurité, autour des
magasins à poudre apparaissent clairement sur les plans de 1689 à
1715. Leur reconstruction, prévue par les projets de 1866 et 1870,
n’a pas été effectuée. Leurs vestiges, notamment autour du
magasin à poudre Nord (17), existent encore.
55- Les CAPACITES LOGISTIQUES de la CITADELLE
Les
ressources logistiques de la citadelle, non indiquées dans le
mémoire de Vauban de 1685, sont précisées par les mémoires de
1718 et de 1770, puis au siècle suivant, par les légendes des plans
de 1827 et 1834.
55.1-
Alimentation
En
1718, il n’y a point de magasins de vivres et de fourrages dans la
ville. Il n’y en a point non plus dans la citadelle où l’on a
pratiqué des chambres en galetas pour les soldats dans les greniers
qui pourraient servir à mettre des vivres. A cette même date, il
n’existe qu’un four dans la citadelle qui ne peut cuire que 400
rations de pain en 24 heures, auxquels s’ajoutent deux fours à ban
dans la ville qui ne peuvent cuire ensemble que 800 rations en 24
heures. Il n’y a pas de moulin dans la citadelle, ce que l’auteur
du rapport regrette.
En
1770, sont mentionnés deux fours nouveaux, construits donc
postérieurement à 1718, vraisemblablement lors des travaux
effectués vers 1728 : sous l’arsenal (21), un grand four de 9
pieds de diamètre pouvant cuire au moyen des relais 7 fournées dans
les 24 heures à raison de 280 rations par fournée, ce qui fait par
jour 1 960 rations et un petit four à l’une des extrémités de
l’arsenal (20), de 7 pieds de diamètre pouvant cuire au moyen de
relais 7 fournées dans les 24 heures à raison de 112 rations par
fournée, ce qui fait par jour 784 rations supplémentaires, soit au
total 2744 rations par jour. Ces deux fours sont encore aujourd’hui
visibles et en bon état. A cette même date, le bâtiment d’entrée
(15) abrite une cantine et son souterrain sert de cave capable de
contenir en barriques, assez de vin pour en fournir une bouteille par
jour à chaque soldat pendant 45 jours.
Les
plans de 1827 et 1834 montrent, dans la partie sud de l’arsenal
(20), une cuisine commune pour 640 hommes ainsi que, dans et sous
l’arsenal, une boulangerie avec un magasin pour 330 quintaux
métriques de farine et deux fours donnant une capacité totale de 1
500 rations, ce qui confirme grossièrement les données précédentes.
A cette date, comme déjà indiqué, une partie de l’arsenal est
utilisée pour le stockage de vivres.
55.2-
Eau
Toute
citadelle devait disposer d’un approvisionnement en eau suffisant
pour soutenir un siège. Le mémoire de 1718, après avoir précisé
que la citadelle ne dispose pas de citerne, mentionne son très bon
et très beau puits de 120 pieds24,
soit une quarantaine de mètres, de profondeur, qui ne tarit jamais
et qui peut donner au moins quarante barriques25,
soit douze mille litres, de très bonne eau chaque jour, soit vingt
litres par homme et par jour. Le mémoire de 1770 mentionne un grand
puits, auquel il donne une plus grande profondeur d’environ 148
pieds, quarante-neuf mètres26,
muni d’une superstructure fragile. Il faut 3 minutes pour la levée
d’un seau de l’époque contenant 100£27
d’eau et plus de 2 heures de manoeuvre le matin et le soir pour
couvrir le besoin de la garnison. Ce puits est équipé au XVIIIe
siècle d’une roue en bois dite « à écureuil » d’un
diamètre d’environ 7 à 8 mètres, mu par des hommes placés à
l’intérieur, activant un treuil sur lequel s’enroulait la corde
pour descendre et remonter le seau. L’eau était versée dans un
réservoir latéral d’une contenance de 16 pieds cube (soit environ
575 litres), ou 288 pots, ce qui n’est pas suffisant pour une
distribution réglée matin et soir à toute la garnison. Un
réservoir trois fois plus grand est alors jugé nécessaire. En
1831, le puits est donné pour une profondeur de 45 m, un diamètre
de 2 m, de 2 à 4 m de hauteur d’eau selon la saison et un débit
de 7 000 litres par jour. Le remplacement de la roue et du treuil en
bois est prévu dès 1831 en raison de leur vétusté et de la
dangerosité de la manœuvre, « plusieurs
soldats étant blessés chaque année ».
Prévue à nouveau en 1833, la mise en place dans le puits d’un
système de pompes est réalisée en 1836.
Le
rapport de 1770 mentionne en outre l’existence d’une citerne,
construite depuis 1718, sans doute lors des travaux de 1728, dans les
souterrains de la partie Est de la caserne neuve, le bâtiment (19).
Cette citerne à l’épreuve de la bombe a une contenance d’environ
5 000 pieds cubes d’eau à 18 pots le pied cube28,
soit 90 000 pots, soit 180 m3,
capable d’être remplie complètement trois fois par an, dans ce
climat fort pluvieux, par les eaux de pluie ruisselant des toits. Les
plans de 1831 et 1834 ne lui donnent qu’une contenance de 74 à 78
m3,
ce qui représente environ une semaine de consommation de la
garnison.
55.3-
Hôpital
La
création du premier hôpital militaire date de 1629, par Richelieu.
Mais le soutien « Santé » de la garnison de la citadelle
ne semble avoir été véritablement pris en compte qu’à partir
des guerres de la révolution. En effet, en 1718, il n’y a aucun
hôpital ni civil ni militaire dans la ville. Une maison
particulière, située dans le faubourg entre la porte d’Haraconcia
et la porte Saint-Jacques semble-t-il, « dont
le Roy paye le loyer »,
sert
d’hôpital pour les soldats de la garnison, comme cela était alors
l’usage. Sa capacité était réduite à 6 lits, soit 12 malades
pour 537 hommes, car dans les hôpitaux on ne plaçait alors que deux
hommes par lit. En effet, dans les hôpitaux également, chaque lit
était occupé par plusieurs malades29.
Selon la norme préconisée par Vauban qui prévoyait une capacité
d’accueil de un malade pour 25 soldats, il eut fallu dans cette
citadelle une capacité de douze lits pour héberger 24 malades. Le
souterrain sous la chapelle (14) aurait servi d’hôpital en cas de
siège. Ce mémoire de 1718 ne précise pas la présence de médecins
ou chirurgiens dans les effectifs officiers. Celui de 1770 indique
pour la première fois que parmi les vingt-six officiers on comptait
un chirurgien major et un apothicaire. Ce changement s’effectua au
cours du XVIIIe siècle qui vit la naissance progressive d’un
service de santé aux armées.
Le
plan de 1827 mentionne l’achat en 1793 d’un bâtiment au bord de
la Nive, vers le camping municipal actuel, dit « bâtiment de
la manutention » qui servait de magasin de lits et, pendant une
période, d’infirmerie avec 24 lits. Le même plan de 1827 indique
l’existence d’un hôpital militaire dans Ugange, installé dans
la maison « Naguila » semble-t-il, ce que confirme
le plan de 1830. En 1828, est prise la décision de principe de
supprimer cet hôpital et de le remplacer par une simple infirmerie
régimentaire. Mais tous les projets concernant la citadelle de
Saint-Jean-Pied-de-Port sont alors reportés, car la priorité est
donnée à la place de Bayonne. Finalement on prévoit, en 1834,
d’installer un hôpital temporaire pour 80 malades dans l’ensemble
des deux bâtiments à restaurer, achetés en octobre 1831 en haut de
la rue de la citadelle à côté de la porte Saint-Jacques (actuel
relais de Saint-Jacques-de-Compostelle), avec l’intention initiale
d’y loger 76 hommes. La mise en oeuvre de cette décision tarde
puisqu’il faut attendre le rapport de 1873 pour apprendre
l’installation récente d’un hôpital-infirmerie dans ce
bâtiment. Entretemps, l’infirmerie a nomadisé entre le bâtiment
(22) de la citadelle et des maisons en ville, dont « celle
de Mme Elissondo », maison en mauvais état située au bord
de la Nive, où elle est en 1863. Elle retourne à la citadelle
qu’elle quitte vers 1870 pour être transférée dans le bâtiment
situé à proximité de la porte Saint-Jacques. Entretemps, en 1860,
existe un projet de construction d’un hôpital de 200 lits dans le
faubourg d’Ugange (vers le stade municipal actuel). En 1866, les
besoins de la place sont fixés à 27 malades et 5 infirmiers pour un
effectif de 404 hommes.
55.3-
Hygiène
Aux
coins intérieurs des bastions, le long des courtines Nord et Sud,
quatre latrines rectangulaires sont construites par François Ferry,
entre 1686 et 1689, en encorbellement au-dessus des fossés. Leurs
conduits d’évacuation (« les ravines par où s’écoulent
les jumondis de latrines ») descendent le long des escarpes
et passent en souterrains sous les fossés et les fausses brayes pour
déboucher à mi-pente de l’éminence.
56- Les CAPACITES LOGISTIQUES de la CITE
Les
mémoires de Vauban en 1685, de Salmon en 1718, puis de Canut et de
Touros en 1753 décrivent également les capacités logistiques de la
cité. Elles sont constituées par ses ressources naturelles,
essentiellement ses ressources agricoles susceptibles de subvenir aux
besoins de la garnison ou d’une armée en campagne, ainsi que par
le nombre et la qualité de ses artisans capables de fabriquer et
réparer leur habillement, leurs équipements, éventuellement leurs
armes et munitions.
Vauban
indique brièvement que les vallées des Nive sont fertiles et
forment un « assez bon pays où il croit pain, vin, viande
et fourrage ». Salmon, plus précis, est moins optimiste en
précisant :
Les
vallées aux environs de cette ville sont cultivées en jardins,
prairies et terres labourables qui ne sont pas des plus fertiles, le
terrain étant graveleux et pierreux ne produit que médiocrement la
subsistance des habitants de la ville et de la campagne. Les coteaux
des petites montagnes sont en partie cultivés en vignobles qui
produisent un petit vin léger passablement bon pour la consommation
ordinaire. Le surplus de ces petites montagnes, de même que les plus
hautes des environs sont incultes et ne produisent que des pâturages
assez maigres.
Salmon,
en 1718, souhaite la création d’une fontaine dans la ville :
Il
n’y a point de citerne, de puits, ni de fontaine dans la ville,
mais il y a quelques sources au dehors fort à portée et les
habitants se servent de l’eau de la rivière qui est très bonne,
excepté lorsque la fonte des neiges la rend trouble et bourbeuse. On
pourrait construire une fontaine dans la ville, y ayant une source
assez à portée qui donnerait au moins 10 barriques d’eau par
jour.
En
1753, Canut émet le même souhait car si une fontaine existe dans la
ville, elle est privée :
Il
y a une fontaine dans la ville, dans la maison d’un particulier,
qui sert uniquement à son usage : on pourrait en faire une
publique qui donnerait environ 10 barriques d’eau par jour.
Salmon
s’inquiète de la vulnérabilité des deux moulins royaux :
A
cinquante toises en dessous de la ville, il y a deux moulins à eau
sur la rivière de Nive qui pourraient moudre 150 sacs de blé dans
24 heures, mais la ville n’étant point fermée, l’ennemi
pourrait facilement les détruire. Il y a d’autres moulins aux
environs qui sont tous hors de portée de pouvoir être garantis si
l’ennemi les voulait détruire.
La
capacité des fours à pain lui semble insuffisante :
Il
y a un four dans la citadelle qui ne peut cuire que 400 rations de
pain en 24 heures. Deux fours à ban dans la ville qui ne peuvent
cuire ensemble que 800 rations en 24 heures.
Il
déplore l’absence d’entrepôt :
Il
n’y en a point de magasin de vivres et de fourrages dans la ville,
ni aucun bâtiment destiné à cet usage.
Il
préconise une fréquence hebdomadaire pour le marché :
Il
n’y a d’autre commerce dans cette ville que le marché qui s’y
tient de quinze en quinze jours où il se vend quelques étoffes et
toiles à l’usage du pays, des denrées, des bestiaux. Il serait
avantageux pour les habitants et pour la garnison qu’il y eut un
marché qui se tient au moins une fois la semaine.
Enfin,
il note l’absence de manufacture :
Il
n’y a aucune manufacture présentement dans la ville. On assure
qu’il y en avait une autrefois où il se fabriquait de fort beaux
draps, l’eau de Nive étant très excellente pour les teintures et
beaucoup de facilité et de proximité pour tirer d’Espagne les
laines les plus fines et les plus propres pour les draperies.
En
1753, Canut note l’existence d’une papeterie, ce qui est confirmé
par le tableau des professions donné plus bas :
Il
y a seulement une papeterie au faubourg d’Uhart, sur la rivière
d’Arnéguy ; il s’y fabrique du papier assez bon qui se
débite dans la province et en Espagne.
Sur
tous les autres points, la rédaction de Canut reprend celle de
Salmon.
En
outre, Salmon et Canut font le point des commerçants et artisans de
la ville. Le tableau comparatif ci-après indique une certaine
progression de l’activité artisanale, dont la création d’une
papeterie au cours du siècle :
PROFESSION
|
1718
|
1753
|
||
Maîtres
|
Garçons
|
Maîtres
|
Garçons
|
|
Marchands
Chirurgiens
barbiers
Perruquiers
Apothicaires
Armuriers
Serruriers
Selliers
Forgerons
ou maréchaux
Tailleurs
Menuisiers
Chapeliers
Tisserands
Bouchers
Cordonniers
Charpentiers
Maçons
Boulangers
Blattiers30
Couteliers
Chaudronniers
Vitriers
Teinturiers
Boutonniers
Corroyeurs31
Papetiers
|
10
5
1
1
2
4
3
1
1
4
2
3
2
2
|
12
6
1
1
0
6
6
2
0
4
0
6
0
0
|
5
2
2
2
2
2
2
6
2
2
2
3
6
5
1
6
2
2
1
1
1
4
2
1
|
4
1
2
1
2
14
12
|
TOTAL
|
41
|
44
|
64
|
36
|
Enfin
Salmon note que « il n’y a aucun hôpital fondé à la
ville pour les pauvres », ce que Canut confirme.
57- Les QUALITES et DEFAUTS de la CITADELLE
Lors
de son inspection du 6 décembre 1685, Vauban jugea la citadelle trop
petite pour assurer une défense d’une durée suffisante et
contenir les munitions nécessaires. Il en estima les défenses
correctement conçues bien que manquant de dehors, mais les logements
mauvais et en médiocre quantité, les magasins trop petits et les
accès difficiles. Il regretta l’absence d’arsenal et de
chapelle. Il lui reprocha « d’être commandée par les
hauteurs voisines à ne pouvoir demeurer dans les bastions »,
bien que la portée des canons de cette époque rendait cet
inconvénient moins rédhibitoire qu’il ne le devint cent ans plus
tard. L’impossibilité de construire, sur trois de ses fronts,
fossés, chemins couverts et dehors constituait cependant un défaut
dès lors que les revêtements des bastions et des courtines, vus sur
toute leur hauteur, pouvaient être pris à partie par les tirs
directs d’artillerie capables d’y créer des brèches, dans la
mesure où un ennemi serait parvenu à réaliser les travaux de
terrassement importants nécessaires à l’installation de canons
sur les versants très pentus de la montagne.
Mais
Vauban, dont les mémoires et rapports postérieurs confirment le
jugement, souligna l’importance capitale de cette citadelle en
raison de sa situation stratégique même s’il jugeait sa taille
insuffisante et ses abris souterrains trop restreints. « Il
suffit de dire qu’elle est à l’entrée du passage de Roncevaux
pour juger de sa conséquence et d’ajouter que la France n’a
point d’autre place de ce côté et qu’elle n’est qu’à une
lieue ou deux de ses plus grands ennemis et que, soit qu’on ait
égard à l’offensive ou à la défensive, il est de toute
nécessité d’y avoir un lieu sûr afin que sa résistance puisse
donner le temps au pays de se rallier et de se mettre en état de le
secourir si on était sur la défensive et de pouvoir contenir les
munitions nécessaires à une offensive. ».
Malgré les travaux réalisés de 1686 à 1700 à la suite de son
inspection, il restait inquiet sur la valeur de la frontière des
Pyrénées et écrivit dans son Projet
de Paix pour le Roi,
fait à Plaisir le 2 février 1706 : « Nous
ne sommes couverts que par Bayonne inachevé et Saint Jean Pied de
Port valant tous deux peu de choses »32.
Les événements ne lui donnèrent cependant pas raison dans
l’immédiat. Quand la frontière fut menacée, lors des guerres de
la Révolution française d’abord, puis sous le Premier Empire, des
travaux de campagne durent être rapidement effectués afin de fermer
le passage empruntant le col de Roncevaux et les ports de Cize. La
citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port devint alors la pièce centrale
d’un camp retranché qui couvrit progressivement tout le bassin
géographique. Elle remplit son rôle comme pivot des opérations
défensives. Il fallut attendre l’invasion de 1814 pour mesurer
l’insuffisante couverture de cette partie de la frontière des
Pyrénées
Au
début du XIXe siècle, la fortification bastionnée conserva son
intérêt militaire. L’ordonnance du 1er août 1821
classa la place de Saint-Jean-Pied-de-Port dans la première série
des places de guerre, classement confirmé par la loi du 10 juillet
1851. La paix revenue, les défenses de la citadelle furent
régulièrement entretenues, maintenues en état et ainsi conservées
en leur état primitif sans modification notoire ni aucune addition
tout au long du XIXe siècle. Chaque année, furent réalisés des
travaux de réparation des toitures, de blanchiment des façades, de
restauration des ponts-levis, de remise en état des talus et fossés,
ainsi que des travaux d’amélioration des batteries d’artillerie.
Ainsi en 1841, la citadelle fut encore jugée capable de soutenir un
siège, et en 1870, les fortifications et les bâtiments furent
encore jugés en bon état. Cependant, à mesure que l’artillerie
se modernisait et que ses capacités en puissance et en portée
s’accroissaient, il devenait sans cesse plus crucial de tenir les
hauteurs qui la dominaient, à commencer par Gastellumendy et
Curutchamendy. Il fut envisagé au cours du XIXe siècle d’y
construire des ouvrages fortifiés permanents importants, sur les
emplacements mêmes des redoutes établies sous la Révolution et
l’Empire. Mais les projets de modernisation et d’amélioration,
parfois ambitieux restèrent sans suite, ce qui eut pu entraîner des
conséquences regrettables si la frontière avec l’Espagne avait
été réellement menacée.
La
nouvelle révolution technique majeure que connut l’artillerie
durant la seconde moitié du XIXe siècle, avec l’apparition du
canon rayé à tir rapide et de l’obus explosif qui permettaient de
bombarder avec une efficacité redoutable une place à plusieurs
kilomètres de distance, condamna la fortification bastionnée, telle
la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port. Le temps de l’architecture
bastionnée était définitivement révolu après trois cent
cinquante ans de bons et loyaux services aux frontières. Aussi
fut-il finalement décidé, en 1870, de mettre fin aux projets
d’amélioration de ses fortifications et de faire de la citadelle
un simple casernement de temps de paix, ce qu’elle fut jusqu’en
1925. La citadelle fut déclassée comme ouvrage militaire en 1920 et
rachetée en 1936 par la municipalité pour le franc symbolique. Elle
abrita une unité du 49e régiment d’infanterie de
Bayonne jusqu’en 1925, puis le centre mobilisateur du 9e
bataillon de chasseurs pyrénéens jusqu’en 1939. Une compagnie du
18e régiment d’infanterie de Pau y stationna en 1938
puis une seconde la rejoignit en 1940. Les travaux d’aménagement
de la citadelle en collège, conduits en 1986, ont été positifs en
provoquant la destruction de quelques ajouts récents, l’abreuvoir
à chevaux aménagé près du puits ou la prison en ciment armé,
construite dans le bastion Saint-Jacques.
* * *
Ainsi,
la citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port, qui nous est parvenue
quasiment intacte, en l’état où elle était lors de son
achèvement au début du XVIIIe siècle, en 1730, sans avoir subi ni
modification notable ou dommage grave, ni restauration mutilante ou
addition défigurante, présente un grand intérêt culturel et
patrimonial. Elle permet en effet de contribuer à la connaissance de
l’architecture militaire du début du XVIIe siècle, en présentant
un exemple représentatif d’une citadelle bastionnée primitive de
l’époque baroque, dont elle respecte le schéma de principe avec
sa forme barlongue, quasi rectangulaire, ses remparts, ses quatre
bastions et quasiment aucun dehors. Elle est d’abord un exemple
rare d’une réalisation des ingénieurs militaires de la première
école française de fortification, nommément de l’ingénieur
du Roy Pierre de Conty d’Argencourt, l’ingénieur préféré
de Louis XIII. Ayant conservé une casemate d’artillerie de la
Renaissance et ayant été achevée par l’adjonction d’un ouvrage
en forme de demi-lune à la manière de Vauban, elle constitue un
témoin unique de l’histoire de la naissance et de l’épanouissement
de la fortification bastionnée en pleine évolution aux XVIe et
XVIIe siècles, au cours de la période conduisant des premiers
essais de la Renaissance aux chefs d’oeuvre du classicisme de
Vauban à la fin du XVIIe siècle. Elle présente une grande unité
architecturale, tant au plan des fortifications et des façades
tournées vers l’extérieur qui furent édifiées sous le règne de
Louis XIII, qu’au plan du décor des façades donnant sur la place
d’armes intérieure et de la monumentalisation des accès, qui
datent du règne de Louis XIV. Sa taille humaine, son unité de
conception, le pragmatisme de sa construction, l’équilibre réalisé
entre une application rigoureuse des principes de la fortification
bastionnée, illustrée sur son front Est, et leur adaptation aux
contraintes géographiques du relief montagneux sur les autres
fronts, lui confèrent une valeur pédagogique et didactique
indéniables, comme support d’une illustration concrète de la
genèse de la fortification bastionnée. Elle témoigne aussi des
progrès tout au long du XVIIe siècle de la tactique défensive liés
à l’évolution de la fortification bastionnée : après
l’abandon des casemates d’artillerie, transformation des parapets
avec embrasures à canons en parapets talutés permettant le tir en
barbette, remplacement des simples revêtements en maçonnerie des
remparts par des parements en carreaux et boutisses avec contreforts
intérieurs, construction de poternes et de tenailles, développement
des dehors et des enceintes de combat, création d’abris
souterrains à l’épreuve de la bombe, ainsi que d’un réseau de
caponnières de liaison et de gaines de communication, protégé des
vues et des coups, aménagement de places d’armes extérieures et
de galeries de contre-mines. Elle a conservé intacts tous ses
bâtiments et ses installations intérieures dont nous connaissons
par les textes qui nous sont parvenus les caractéristiques d’époque
et l’usage. Elle abritait, au début du XVIIIe siècle, une
garnison de cinq cent cinquante hommes dont quinze officiers, placée
aux ordres d’un « Lieutenant du Roy », dont
l’armement consistait en piques, fusils et carabines auxquels
s’ajoutait une vingtaine de canons. Son arsenal, ses magasins à
poudre et à vivres, sa boulangerie souterraine, sa citerne et son
puits de 40m de profondeur lui conféraient une autonomie de plus de
cent jours, bien supérieure au mois prescrit par les instructions
longtemps restées en vigueur de Vauban. Ainsi, son état de
conservation et la connaissance détaillée que nous avons de son
organisation et de son agencement ainsi que de ses capacités
militaires et logistiques, permettent aisément d’expliquer la vie
et le fonctionnement d’une telle citadelle aux XVIIe et XVIIIe
siècles, en les plaçant dans leur cadre historique et géographique.
Symbole de la destinée militaire de la cité, cette citadelle fut
pendant de nombreux siècles un élément majeur de l’histoire de
la frontière. Elle présente ainsi un intérêt et un attrait
indéniables, tant pour des amateurs éclairés qu’aux plans
pédagogique et touristique. Son classement « Monument
historique » survenu le 22 janvier 1963 garantit sa qualité
patrimoniale.
1
Voir en annexes les biographies des ingénieurs cités.
2
Cf. sources manuscrites n° 04-b.
3
Cf. sources manuscrites n° 15.
4
Cf. sources manuscrites n° 04-c et 04-d.
5
Voir le plan de la citadelle de la planche n° 14, et sa légende de
la planche n° 15.
6
Voir photographie n° 4.
7
Les chiffres entre ( ) renvoient au plan de la planche n°14 et à
sa légende de la planche n°15.
8
Voir planche n°16.
9
Voir glossaire.
10
L’ingénieur Jean Fabre, « déjà âgé en 1629 »,
et contemporain d’Argencourt fut le premier à préconiser
l’établissement de corps de garde : Cf. supra § 26.
11
Au pont-levis rudimentaire à chaînes du XIII° siècle,
succédèrent deux types plus performants encore en usage à
l’époque moderne: le pont-levis à flèches constitué de deux
flèches en bois relevant le tablier en quelques instants grâce à
un système de contrepoids et le pont-levis à bascule dont le
tablier mobile pivote autour d’un axe horizontal tandis que la
partie arrière agissant en contrepoids bascule dans un puits
aménagé à cet effet.
12
Voir glossaire.
13
Voir glossaire.
14
Voir photographie n° 9.
15
Voir photographie n° 8.
16
Voir le plan de la planche n°14 et sa légende de la planche n°
15.
17
Voir photographie n° 5 et 2. Le style de ce lanternon rappelle
celui construit par Salomon de Brosse au sommet du pavillon central
du palais du Luxembourg, entre 1615 et 1624.
18
Cf. source cartographique n° 24-b.
19
C’est en 1824 seulement que, par souci d’amélioration des
conditions d’hygiène, il fut décidé de doter les soldats de
lits individuels. Au XVIIe siècle, la citadelle de Lille, première
grande réalisation de Vauban, avait une garnison de 3 000
hommes.
20
Ainsi M. de Salmon complète la connaissance que nous pouvons avoir
par ailleurs du « Régiment de la Chastellenie de Navarre à
Saint-Jean-Pied-de-Port » qui constituait au XVIIIe siècle
avec le régiment de Mixe et les compagnies franches d’Arbéroue
et d’Ostabarret, les formations de milice de la Basse Navarre. Les
milices du Béarn et de la Navarre avaient été réorganisées par
François Febus.
21
Voir planche n° 16 et photographies n° 7 et 8.
22
Voir note de bas de page n° 70.
23
Voir la description de cette citerne au § 55-2 ci-après.
24
1 Pied = 0,33 m. soit 3 pieds = 1 m.
25
Barrique: mesure d’environ 300 litres
26
Une cinquantaine de mètres est peut-être la profondeur réelle, si
le pied en usage localement était plus grand que le pied en usage
courant en France.-
27
Il s’agit vraisemblablement de la ‘pinte de Paris’ qui vaut 48
pouces cube, soit 0,93 litre. Le seau descendu par la roue contenait
donc 93 litres.
28
Le pot vaut donc environ 2 litres
29
Il en fut ainsi à l’Hôtel-Dieu de Paris jusqu’en 1781 ;
seuls les chevaliers de Malte faisaient figure de précurseurs car
dès le XVIIe siècle, chaque malade disposait d’un lit à
l'hôpital de La Valette et les contagieux étaient isolés.
30
Blatier : Revendeur de grain, s’écrit blaetier au XIIIe
siècle, dérive du mot ‘blé’.
31
Corroyeur : Artisan procédant à la préparation des cuirs en
croûte.
32
Cf. source manuscrite n° 02 ; cette phrase est extraite du
mémoire de Vauban, intitulé « Projet de Paix fait à Plaisir
le 2 février 1706 », dont il faut relativiser la pertinence
car son souci en écrivant ce texte est de convaincre Louis XIV de
construire la paix en Europe.
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